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Mali : 60 ans d’un parcours heurté

COMMÉMORATION. Le 22 septembre 1960, le Mali déclarait son indépendance. Depuis, le pays a connu trois rébellions armées et quatre coups d’État. Retour sur une histoire particulière.

 

Le 15 septembre dernier, alors que la toute nouvelle junte au pouvoir tentait de convaincre la Cedeao de l’accompagner dans son plan de transition, le Mali tournait aussi une page de son histoire. Moussa Traoré, l’ancien président qui a dirigé le pays pendant près de 22 ans, venait de décéder à Bamako, à l’âge de 83 ans. Trois jours plus tard, son cercueil, enveloppé dans le drapeau national vert, jaune et rouge, est présenté dans un camp militaire de la capitale. Dans l’assistance, des militaires en tenue de cérémonie, ainsi que le colonel Assimi Goïta, chef du Comité national de salut public (CNSP), au pouvoir depuis le coup d’État perpétré un mois avant. Curieuse ironie de l’histoire, quand on sait que c’est également un putsch militaire qui a conduit Moussa Traoré à la tête du Mali, le 19 novembre 1968.

Moussa Traoré effectue le premier coup d’État en 1968…

Ce jour-là, le pays compte tout juste huit années d’indépendance. Son premier président, Modibo Keïta, un Malinké musulman enseignant de formation, y a instauré un régime socialiste où il « prône le rapprochement avec le bloc soviétique, sans pour autant négliger la main tendue des Américains », explique Manon Touron dans son livre Le Mali, 1960-1968. Exporter la Guerre froide dans le pré carré français. Moussa Traoré, d’abord président du Comité militaire de libération nationale, puis président de la République à partir du 19 septembre 1969, va s’atteler à tout déconstruire.

À la faveur d’un modèle libéral, ce Malinké, ancien élève de l’école d’officiers de Fréjus, supprime, par exemple, les terres paysannes collectives – dans un pays où les agriculteurs comptent pour 90 % de la population – et autorise la vente libre des produits agricoles. Il remodèle aussi les entreprises publiques, jugées trop coûteuses pour le jeune État. Les réformes économiques voulues par le président se mettent rapidement en place. Moussa Traoré mettra autant de volonté à verrouiller le système politique. Seul est autorisé le parti au pouvoir, et toute manifestation est durement réprimée. Le milieu scolaire et universitaire, dans sa majorité hostile au régime militaire, est épié. Des agents des renseignements vont même dans les écoles pour écouter les cours des professeurs.

Dans les années 1970, Moussa Traoré tente de donner le change en faisant adopter par référendum une nouvelle Constitution qui instaure la IIe République. Celle-ci prévoit la formation d’une Assemblée nationale et impose l’élection d’un président tous les cinq ans au suffrage universel. Mais, en 1976, le président coupe court à toute pluralité politique en fondant l’Union démocratique du peuple malien (UDPM), parti unique, ainsi que l’Union nationale des femmes du Mali et l’Union nationale des jeunes du Mali, des organisations auxquelles toutes les femmes et tous les jeunes se doivent d’adhérer. Les premières élections de cette IIe République, organisées en 1979, illustrent bien la mainmise du chef de l’État sur la sphère politique malienne : étant le seul candidat au scrutin, Moussa Traoré est réélu sans mal à la tête du pays. Comme dix ans auparavant, il se dit prêt à plus d’ouverture.

Mais dans les faits, le régime policier instauré dix ans auparavant est toujours à l’œuvre. En 1980, des manifestations étudiantes sont lourdement réprimées. Leur leader, Abdoul Karim Camara, dit « Cabral », décède même sous la torture, le 17 mars de la même année. En 1990, lassée par deux décennies de dictature militaire, la société civile organise la contestation. L’avocat Mountaga Tall et Abdramane Baba Touré fondent le Congrès national d’initiative démocratique (CNID) et l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema). Avec l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) et l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), ils exigent désormais le respect des libertés individuelles et l’instauration du multipartisme.

À l’heure où François Mitterrand conditionne désormais l’aide et le soutien financier français à une « démocratisation » et au « multipartisme » de ses partenaires, leur combat gagne en visibilité. La réponse de Moussa Traoré sera implacable. La manifestation du 22 mars 1991, qui réunit des milliers d’étudiants, est réprimée par les armes. Le soulèvement, qui se poursuit jusqu’au 24 mars, fera officiellement 106 morts. Le régime de Moussa Traoré, discrédité de toutes parts, sera renversé deux jours plus tard par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (ATT). C’est désormais le Comité de transition pour le salut du peuple, un autre organe militaire, qui prend la tête de l’État malien. En 1991, en seulement trente ans d’existence, le Mali a donc déjà connu deux coups d’État et une dictature.

 

… et pourtant tout avait bien commencé avec Modibo Keïta

Tous les espoirs étaient pourtant permis à l’aube de la décennie 1960. Le 14 janvier 1959, le Sénégal et le Mali – que l’on appelle encore le Soudan français – s’unissent avec le Dahomey et la Haute-Volta pour fonder la Fédération du Mali. Le Sénégalais Léopold Sédar Senghor en est le président, le Malien Modibo Keïta, son chef du gouvernement et président de l’Assemblée fédérale. Deux fervents défenseurs du panafricanisme et d’un fédéralisme africain. Mais l’union s’étiole rapidement.

Les représentants de la Haute-Volta et du Dahomey Maurice Yaméogo et Alexandre Adandé font volte-face quelques jours après, sous la pression de la Côte d’Ivoire et de son leader Félix Houphouët-Boigny. Le 4 avril, la Fédération devient indépendante, mais des tensions entre le Sénégal et le Mali et des divergences sur la marche à suivre font exploser la Fédération dans la nuit du 19 au 20 août 1960. Le Sénégal, désormais seul, proclame son indépendance. L’état d’urgence est décrété, et les dirigeants maliens sont expulsés de Dakar. Le rêve d’une union fédérale africaine prend fin. Mais signe l’avènement au pouvoir du premier maire élu de Bamako, Modibo Keïta.

Entré dans la politique après la Seconde Guerre mondiale, l’imposant président – il mesure près de deux mètres – s’attelle, dès le début de son mandat, à s’affranchir de l’influence de l’ancienne puissance coloniale. Le 20 janvier 1961, il demande l’évacuation des bases militaires françaises du pays. Un an plus tard, il se distingue de ses voisins, rattachés au franc CFA, et met en circulation le franc malien. D’inspiration socialiste, Modibo Keïta lance la création au Mali de grandes sociétés d’État, telles que la Société malienne d’import-export (Somiex), l’Office des produits alimentaires du Mali (Opam) ou encore Air Mali. Dans le secteur agricole, l’État met en place des coopératives et des groupements ruraux, encadrés par l’US-RDA (Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain), devenu le parti unique.

Toutefois, l’inflation des prix et les difficultés d’approvisionnement vécues au quotidien par la population tranchent avec l’enrichissement des fonctionnaires qui semblent être les seuls à récolter les fruits du système mis en place par le président. Le mécontentement s’installe chez les Maliens. En réponse, Modibo Keïta durcit le ton et crée le Comité national de défense de la révolution (CNDR). Objectif ? Faire régner l’ordre et lutter contre les « ennemis » du régime. À cela s’ajoute en 1963 un premier conflit armé entre Touaregs et militaires, lequel conflit durera jusqu’en 1964. En 1968, le contexte, explosif, est favorable à la prise de pouvoir par la force du lieutenant Moussa Traoré. Modibo Keïta est arrêté et envoyé en prison à Kidal. Il meurt le 16 mai 1977, à l’âge de 61 ans, dans des circonstances non élucidées. Mort en détention, le premier président du Mali ne sera jamais jugé.

L’accalmie sous Konaré et ATT…

Ce n’est pas le cas pour Moussa Traoré. En 1993, l’ex-chef d’État sera condamné à mort pour « crimes de sang » en première instance, pour son rôle lors des manifestations de 1991. Pour la première fois, un chef d’État africain doit répondre de ses actes devant la justice de son pays. Sa peine sera finalement commuée en détention à perpétuité en décembre 1997 par le nouveau chef de l’État, Alpha Oumar Konaré. Élu démocratiquement en 1992, il a pris la suite d’Amadou Toumani Touré, celui-là même qui a renversé Moussa Traoré, lequel a accepté de remettre le pouvoir à un régime civil. C’est lui aussi qui gracie Moussa Traoré – accusé d’avoir détourné pendant son règne plus de 2 milliards de dollars d’argent public – en 2002, lors de son second mandat. Cette année-là signe aussi le retour d’ATT, élu président de la République. Il le demeurera jusqu’en 2012, année déterminante dans l’histoire du Mali.

… avant le chaos à partir de 2012

Dès le mois de janvier de l’année 2012, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), allié aux groupes Ansar Dine, Mujao et Aqmi, mène des attaques sur les camps militaires maliens et les villes situées dans les régions de Gao, de Tombouctou et de Kidal. Ces actes remettent en cause l’unité territoriale du Mali. Les Forces armées maliennes sont sérieusement mises en difficulté. Le 22 mars, le capitaine Amadou Haya Sanogo, qui dénonce l’incapacité des autorités à gérer le conflit qui sévit dans le nord du pays, renverse le chef de l’État et instaure une transition. Les institutions sont dissoutes et la Constitution est suspendue. Pendant ce temps-là, les rebelles continuent d’avancer sur le territoire malien. Le 1er avril 2012, la rébellion touarègue finit par prendre le contrôle des trois régions du Nord. Ansar Dine souhaite imposer la charia.

Le MNLA, quant à lui, réclame l’indépendance de l’Azawad. Un acte condamné de façon unilatérale par les différents partis maliens ainsi que par l’Union africaine et la communauté internationale. Quelques mois plus tard, le 11 janvier 2013, devant la progression des groupes djihadistes au-delà de la ligne de cessez-le-feu et la prise de la localité de Konna, l’état d’urgence est déclaré dans le pays. Le Tchad vole au secours du Mali avec un nombre important de soldats. La France, elle, sollicite l’accord de l’ONU pour déclencher une intervention militaire, l’opération Serval, afin de libérer le pays. Dans un premier temps, les djihadistes reculent. L’opération Barkhane prend le relais de l’opération Serval.

Mais le conflit se déplace. C’est désormais au centre du Mali, dans la région de Mopti, que les attaques s’opèrent. Mêlées aux conflits intercommunautaires, les violences sont toujours plus meurtrières. La situation s’enlise. Les troupes françaises, de plus en plus critiquées. D’autant plus que les attaques se sont élargies à la région. Le Burkina Faso, le Niger et le Tchad comptent eux aussi leurs morts.

L’ère IBK : des années de piétinement

Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), élu en 2013, peine à rassembler le pays. Il est pourtant réélu en 2018 lors d’un scrutin contesté par l’opposition. Mais les élections législatives d’avril 2020 ne passent pas. Des dizaines de milliers de manifestants sortent dans les rues pour réclamer sa démission. La Cedeao propose alors la démission de trente et un députés dont l’élection pose question, dont le président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné. IBK refuse cependant de dissoudre l’Assemblée nationale. Le 18 août 2020, vers 16 h 30, Ibrahim Boubacar Keïta et son Premier ministre, Boubou Cissé, sont arrêtés par une garnison de militaires en révolte. Le président démissionne sur les ondes de l’ORTM, à minuit le 19 août 2020. C’est le quatrième coup d’État qu’enregistre le Mali depuis son indépendance.

En ce 22 septembre où le Mali célèbre le 60e anniversaire de son indépendance, c’est un ancien militaire et ex-ministre de la Défense, Bah N’Daw, 70 ans, qui a été choisi comme président de la transition au Mali. Ainsi en a décidé le collège composé d’un peu plus d’une quinzaine de membres, dont sept de la junte, le reste des places revenant au Mouvement dit du 5 Juin, aux syndicats, aux anciens groupes rebelles ou à la société civile. C’est le chef des putschistes au pouvoir depuis le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août, le colonel Assimi Goïta, qui en a fait l’annonce sur l’ORTM.

Par Marlène Panara

Le Point-fr

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