L’opération de passation, d’exécution et de règlement du marché relatif a l’acquisition des 1000 tracteurs par le ministère malien du Développement Rural, n’a ni été libre encore moins transparente. De bout en bout, le dossier a été piloté, à l’époque des faits, par l’ancien ministre du Développement Rural, Bocari Tréta, aujourd’hui, PCA de la BMS-Sa et M. Oumar Kodjo, DFM (Directeur des Finances et du Matériel) dudit département et actuellement à la tête de la Direction des Finances et du Matériel du département de l’Élevage et de la Pêche.
Le marché relatif à la fourniture des 1.000 tracteurs et accessoires, en quatre lots, d’un montant total de 13,66 milliards de FCFA hors taxes (HT), a été lancé le 30 avril 2015 dans la dynamique de la phase pilote du programme d’équipements Agricoles. Compte tenu des enjeux liés à l’amélioration de la productivité et de la compétitivité du secteur agricole, de l’importance des ressources déployées et du caractère innovant du mécanisme de financement.
Toutefois, le marché du début à la fin, a relevé de nombreux dysfonctionnements qui se sont caractérisés par des manquements plus criards les uns que les autres.
Manquements à tous les niveaux du marché
À l’époque, avant le lancement du marché, le DFM du Ministère du Développement Rural, M. Oumar Kodjo, n’a pas procédé à une détermination de besoins. Il a lancé un avis d’appel à la concurrence dans le cadre d’un appel d’offres international restreint sans recueillir et recenser, au préalable, les besoins réels des acteurs qui sont dans ce cas de figure des exploitants Agricoles.
En outre, aucun document administratif déterminant les besoins des exploitations Agricoles à la base n’a été élaboré au préalable. Dans ces conditions, il est difficile de déterminer la base sur laquelle le nombre, les caractéristiques techniques et la capacité de remboursement ont été déterminés par le DFM dans la préparation de ce marché. Ainsi, dans le cadre de la dépense publique, la non-détermination des besoins en matière de marchés publics est susceptible d’occasionner des acquisitions de biens et/ou services non conformes aux besoins des utilisateurs.
Par ailleurs, le Ministère du Développement Rural dirigé à l’époque, par le Dr Bocari Tréta, a lancé la procédure de passation du marché, sans disposer de crédits suffisants. En effet, le financement total du programme n’était pas acquis le 30 avril 2015, date de lancement de la procédure de passation du marché. Sur un montant total de 6,83 milliards de FCFA correspondant à la subvention de l’État dans le financement de l’opération, le département du développement Rural disposait d’une dotation budgétaire de 2 milliards de FCFA inscrite pour le compte du Fonds National de l’Agriculture. La dotation budgétaire a été portée à 5 milliards de FCFA par une loi modifiant la loi de Finances de l’exercice 2015. La non-disponibilité de crédits budgétaires suffisants est une violation des règles des marchés publics.
Délit d’initié
L’opération du marché des 1000 tracteurs au Mali est l’histoire d’une transaction opaque, d’un marché de gré à gré, déguisé entre l’État et un fournisseur sélectionné (sans appel d’offres, ni consultation restreinte) par l’ex « sinistre » du Développement Rural le D Bocari Tréta et le président de l’APCAM (l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali) Bakari Togola. C’est aussi, l’histoire d’un grossier délit d’initiés, d’une opération fumeuse montée de toutes pièces pour les rétro-commissions et les pots de vin par l’ex du Développement Rural, Oumar Kodjo, celui-là même qui se trouve, aujourd’hui, à la tête de la DFM du Ministère de l’Élevage et de la Pêche.
Mais le hic qui titille dans cette opération, c’est que le marché des 1000 tracteurs a été attribué à un fournisseur d’engrais qui ne pouvait qu’importer les tracteurs? Pourquoi le marché des 1000 tracteurs n’a pas été passé à “Mali-Tracteurs”, une entreprise installée aux portes de Bamako où l’État est actionnaire, qui emploie la main-d’œuvre locale et paie des impôts. Le montage de cette opération douteuse a fait du ministre du Développement Rural et son DFM, des acheteurs, des gestionnaires et des vendeurs de tracteurs. Si l’unique intention des autorités était de faciliter l’acquisition de tracteurs par les paysans maliens, pourquoi n’ont-elles pas mis en place un mécanisme simplifié qui allait permettre aux agriculteurs qui éprouvent le besoin d’avoir des tracteurs et qui en ont les moyens de bénéficier de la subvention de 50% du prix?
S’agissant de prix, la presse d’État qui a couvert l’opération “Tracteurs” du 22 septembre 2015 a clamé que, subventionné à 50% par l’État, le prix du tracteur reviendrait au paysan malien à six millions de francs CFA. Après enquête, l’opposition a décelé une grosse arnaque dont le paysan malien a été victime.
Les tracteurs livrés par Toguna SARL sont de marque Foton du nom de la multinationale chinoise spécialisée dans les engins lourds, les camions et les moteurs. Foton vend un tracteur de 50 chevaux avec les accessoires (charrue, herse, remorque) à 10.000 dollars US, soit environ 5 millions FCFA. Livré à Bamako, le tracteur a coûté en tout et pour tout 5 millions 900.000 FCFA. Comment peut-on acquérir un tracteur à ce prix et le vendre au paysan malien à un prix soi-disant subventionné à 6 millions?
Si l’opération était transparente et honnête, le tracteur subventionné aurait dû revenir au paysan malien à 2 millions 950.000 FCFA.
Manifestement, l’opération des 1000 tracteurs a été une autre histoire de surfacturation dont les finances publiques et le paysan malien ont fait les frais. Un tracteur qui a effectivement coûté 5 millions 950.000 FCFA est facturé à l’État à 13 millions 600.000 FCFA. C’est ainsi que les 1000 tracteurs ont coûté 13 milliards 600 millions de francs CFA comme l’Essor et l’ORTM l’ont si bien révélé.
En bloc, nous sommes indiscutablement devant un nouveau scandale de l’ère IBK dont les principaux protagonistes sont les mêmes que ceux du GIE de l’engrais frelaté, à savoir l’ancien Ministre du Développement Rural, le Dr Bocari Tréta, aujourd’hui PCA de la BMS, son DFM Oumar Kodjo, actuellement DFM du Ministère de l’Élevage et de la Pêche et le président de l’APCAM, Bakary Togola.
Le régime protège-t-il les siens ?
Une certitude : le président de la République IBK, a promis au peuple malien tout entier qu’il serait “désormais intraitable” vis à vis des “dérives” qui émaillent sa gouvernance depuis son accession au pouvoir et qu’il combattrait particulièrement ” les rétro- commissions”. Aussi, le 29 mai 2015, lors du Conseil Supérieur de l’Agriculture, le Chef de l’État avait promis de sévir contre ceux qui sont impliqués dans l’affaire de l’engrais frelaté. Ces paroles prononcées, solennellement, n’ont pas été suivies d’actes et toujours est-il que les scandales continuent d’éclater au sein du régime d’IBK avec les mêmes acteurs.
Le président va t-il continuer à couvrir de son autorité les histoires douteuses de milliards, de marchés de gré à gré, de délits d’initiés, de surfacturations et de rétro-commissions?
Toutefois,vouloir développer le Mali est une intention louable. Mais peut-on, sous couvert de développement, monter des opérations dans lesquelles l’État et les maliens sont grugés?
La lutte contre la pauvreté et pour le développement du Mali passe par des pratiques de bonne gouvernance et une utilisation rationnelle et honnête des maigres ressources de notre pays. «Se mettre au service de la veuve et de l’orphelin ne dispense pas pour autant, quant l’occasion s’en présente, de défendre le veuf et l’orphelin », a dit Pierre Dac.
Cyrille Coulibaly
Le Nouveau Réveil