Tôt ou tard, nous Maliens, seront obligés de laisser les postures d’orgueil, pour raisonner sur la nature de notre démocratie et l’essence de notre nation.
Contrairement aux idées reçues, personne n’a jamais réglé la question touareg, car si les colons l’avaient réglé, Modibo Kéita n’aurait pas eu à le faire, Si Modibo avait réussi Moussa Traoré ne se serait pas trouvé en pleine rébellion à la chute de son régime, et si lui l’avait résolu, les vingt ans de démocratie n’en auraient pas pâti. Pendant 50 ans nous n’avons fait que colmater les brèches.
La vérité est que les solutions jusqu’ici appliquées n’ont fait que repousser le problème à la prochaine génération de haine et de désolation. Le fait est que l’intermittence entre la guerre et la négociation qui prévaut fait perdre au Mali le vrai chemin qui est celui du développement.
Posons en premier lieu que tous ceux qui ont participé aux différentes tentatives de résolution du problème étaient de bonne foi, patriotes et engagés. Pour autant, cela n’a pas suffi à empêcher qu’à chaque décade le Mali sombre dans une crise qui met notre pays en retard.
Ces acteurs qui sont toujours vivants : AOK, ATT et IBK ont été présidents et Premiers ministres durant la période ; Baba Akhib Haïdara, Médiateur de la République aujourd’hui présidait un comité ad hoc sur le problème du Nord, Sada Samaké était ministre de l’Intérieur à l’époque et l’est aujourd’hui encore ; Ousmane Sy était chargé de la décentralisation et l’est encore maintenant ; Dioncounda Traoré et Modibo Sidibé ont tour à tour en tant que ministres des Affaires étrangères sillonné l’Afrique pour porter les propositions maliennes ; Soumaïla Cissé en tant que ministre des Finance ; Nock Ag Attia, Zeidane Ag Sidalamine, Ould Zahabi et le sage Ag Erlaf ont pacifié les récalcitrants à la paix ; sans oublier l’inoxydable Aly Nouhoum Diallo et le général Diagouraga, ni Soumana Sako qui ont contribué à cimenter cette paix. Et Ag Hamani a démontré que l’on pouvait injustement voir massacrer toute sa famille, et rester digne fils du Mali.
Le président Rawlings a servi de parrain à la flamme de la paix ; Boutros-Boutros Ghali n’a ménagé aucun effort de l’ONU ; la France de Mitterrand avec Edgard Pisani, sans oublier le CICR, le HCR, l’Eglise norvégienne et les différentes agences comme la Banque mondiale ou l’AFD, le Pnud qui envoya Ellen Johnson-Sirleaf, directrice du bureau pour l’Afrique et actuelle présidente du Libéria, l’Algérie incontournable, la Mauritanie, l’OUA et la Cédéao, tout le monde était présent entre 91 et 96 pour régler la crise malienne et pourtant nous revoilà à la case départ avec les mêmes problèmes et globalement les mêmes acteurs.
N’allons pas croire que c’est faute de vouloir, car le modèle de paix malien a été considéré par tous comme l’exemple à suivre, car AOK et IBK ont tout fait pour faire respecter le Pacte national, ATT tout pour éviter le désastre en 2006, Ousmane Sy tout pour une décentralisation réussie, Soumaïla Cissé a même mis sa vie en danger pour sauver du lynchage les employés du Parem. Alors admettons que la bonne volonté y était mais que cela n’a pas suffi à stopper le cycle de la violence.
Ce n’est pas faute non plus de solutions réalistes, pour que chacun se souvienne et que les jeunes générations sachent, voici les grandes lignes du modèle appliqué : 1) l’amélioration des relations entre les militaires et les populations civiles ; 2) médiation par des personnalités nationales et internationales ; 3) la décentralisation de la gestion du conflit ; 4) réconciliation par la société civile ; 5) désarmement et démobilisation des ex-combattants ; 6) appui à la réintégration des ex-combattants. Tout y est passé. Pourtant cela n’a pas marché, car ce n’était qu’un pansement.
– 17 conférences et 50 réunions intercommunautaires ont été organisées avec toutes les communautés, la société civile et les acteurs étatiques.
– 11645 combattants ont été désarmés par Sadio Gassama, président de la commission de démobilisation et chef d’état-major de l’armée de terre.
– 3000 ex-rebelles ont été cantonnés entre Léré, Ménaka, Bourem et Kidal
– 2000 ex-combattants ont été intégrés dans l’administration, la police, la douane et l’armée
– 500 millions de dollars ont été déboursés pour financer 9000 ex-combattants dans la vie civile
– 9511 personnes dans les trois régions ont bénéficié du Programme d’appui à la réinsertion socio-économique des ex-combattants du Nord Mali, dont 2.416 à Kidal, 3801 à Gao, 3294 à Tombouctou.
Et pourtant nous sommes revenus à la case départ. Pis, depuis le funeste 21 mai 2014 le Mali a perdu toute forme d’autorité sur Kidal, et n’y exerce aucune forme de souveraineté. Pis, nous allons négocier en position de faiblesse en appliquant ces mêmes solutions qui ont montré leurs limites. Pis, nous allons continuer à nous taper sur la poitrine jusqu’à y faire un trou.
Ces rébellions que l’on peine à résoudre nous ont couté beaucoup de temps, beaucoup de morts, énormément de milliards. Et pendant que nous Maliens dépensons notre énergie à nous entredéchirer ou à colmater nos brèches depuis 50 ans, les pays voisins utilisent la leur pour évoluer et se développer.
Tant que les solutions ne s’attaquent pas aux racines du mal, il n’y aura jamais de solution définitive. Ainsi, jusqu’à ce que la démocratie gagne les régions, qu’elles deviennent des pôles de développement, que les gouverneurs y soient élus et non nommés, que des ressources exécutives y soient déployées, il n’y aura pas de paix définitive. Les régions doivent prendre le relais du développement pas seulement à Kidal, car nous devons refuser les exceptions, mais dans tout le Mali.
Sans les réformes courageuses que demande la gravité de la situation, IBK ne sera pas au rendez-vous de l’Histoire et la prochaine génération devra subir la désolation. Or notre vrai fierté ne doit pas se faire d’orgueil, mais d’inventer un nouveau modèle de « vivre ensemble ». Pour paraphraser le président Ouattara. Dieu veille.
Madani Tall, président de l’ADM
SOURCE: L’Indicateur du Renouveau