Lorsque l’on parle d’ATT, beaucoup pensent au bilan économique, mais il est bon pour l’histoire de rappeler que son bilan est avant tout politique et social. Il faut se souvenir qu’il est le père de la démocratie malienne. Ainsi, son action se partage en deux séquences historiques, la première durant la transition des années 90 où il met en place les institutions de l’Etat moderne, et la seconde après son élection en 2002, où il met en œuvre les infrastructures du développement économique et social.
Il a organisé la transition, mis en place de nouvelles instances à travers la constitution. Des gens qui n’auraient jamais pu arriver au pouvoir, il faut le dire, ont eu le droit de se présenter de façon démocratique. Tous les Maliens, contrairement à ce qui se passait partout, tous ceux qui voulaient compétir ont pu le faire sans crainte. Et il s’est fait un devoir que tous ceux qui avaient participé à la transition ne soient pas dans la compétition, à commencer par lui-même. S’il avait voulu, il aurait pu participer à cette élection et il aurait gagné, comme tous les militaires qui l’organisent. Mais pourquoi tricher avec le peuple ?
Lui, voulait être un héros qui donne un nouveau souffle à la nation. Et quand il a fini la transition; en héros, il a décidé de quitter son pays, afin de ne même pas peser sur ce que ses successeurs allaient faire. Il a pu ramener l’armée dans les casernes, et laisser les civils faire ce qu’ils avaient à faire. Et ainsi, mis en place les bases d’une démocratie comme il n’y en a jamais eu dans toute la sous-région jusqu’à aujourd’hui.
Il agissait pour l’honneur, parce que c’était un militaire qui croyait en des valeurs. Et le premier des honneurs pour un militaire, est celui de servir la patrie et non les honneurs de la République. Il avait un sens patriotique hors du commun. C’était son moteur. Il aimait le Mali plus que tout. Il avait un sens du devoir profond. Il était dévoué à la cause du peuple, des plus faibles et avait un attachement particulier pour la cause des femmes et des enfants. C’était un vrai Malien. Quelqu’un qui ne voulait pas avoir honte. Quelqu’un qui ne cherchait pas l’argent. Il pouvait, s’il l’avait voulu, en prendre ou enrichir ses proches comme beaucoup le font. Il faut rétablir ces vérités-là car, de nos jours, les gens préfèrent se servir que de servir le peuple. Alors il est important pour moi, qui ai travaillé avec lui, dans son intimité, de le faire. Il est bon que de l’intérieur, ces vérités soient connues.
La démocratie n’est appréciée à sa juste valeur que quand l’on sort de deux régimes totalitaires, comme ce fut le cas du Mali. Il faut retracer ce parcours : des indépendances avec Modibo Kéita jusqu’au coup d’État de Moussa Traoré, de là jusqu’aux années 90. C’est plus de 30 ans où le Mali, après un départ prometteur, ne parvenait plus à avancer. L’empire, qu’était le Mali, n’a fait que reculer. Il est essentiel de fixer le contexte historique. Sans cela, les actes importants deviennent dérisoires. Il faut rappeler aux gens qu’au moment des indépendances, tous les pays voisins du Mali – la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Sénégal, le Bénin et le Niger -acceptaient le leadership du Mali. Ainsi le RDA est créé au Mali. Nous étions vraiment le Maliba. Nous étions la ressource, la réserve intellectuelle, la réserve historique, le grand empire. Donc, c’est chez nous que les grands hommes des pays frères venaient à l’école, Les Houphouët Boigny et autres venaient à l’école de Mamadou Konaté, y recevaient un enseignement et étaient encadrés. D’ailleurs, peu de gens savent qu’Houphouët était député du Nord parce que les gens du Sud ne voulaient pas de lui. Ce rappel historique est important, parce que beaucoup de gens ne savent même pas comment c’était tout ça.
Les choses ont dégénéré, lorsque Modibo s’est radicalisé, lorsque l’armée a pris le contrôle à la suite de la milice. Donc, une continuité militaire. Parce qu’en réalité, le socialisme de Modibo s’appuyait sur l’armée pour imposer ce qu’il voulait au peuple. Parce que c’est l’essence à l’époque, de ce qu’est la Chine, de ce qu’est la Russie. C’est comme ça qu’est conçu le socialisme : par la puissance des armes. Aussi, quand Moussa Traoré et ses compagnons renversent le régime de Modibo Kéita, le peuple est déjà habitué à être sous le joug d’un chef suprême auquel tout le monde doit soumission. C’était cela le Mali et l’Afrique en général. Quand les Moussa Traoré arrivent, ils n’ont pas changé le système. Ils ont juste enlevé le civil qui était là et continué avec l’ossature militaire qui était déjà en place, en mettant bien sûr leurs hommes. Entre-temps, les autres pays ont évolué et nous ont dépassé sans plus se soucier de notre puissance historique.
C’est à ce moment qu’apparait ATT, un moment où notre pays ne faisait plus l’admiration des autres, où les Maliens étaient tout juste bons à être des éboueurs, dont on se moquait en France. Au terme du régime de l’UDPM, il vient avec un nouveau groupe pour mettre en place la démocratie.
Il a travaillé avec toutes les tendances pour essayer de l’enraciner. S’il y a eu un vrai démocrate, un père de la démocratie au Mali, c’est sans aucun doute ATT. Or à chaque fois que le processus démocratique, qui a besoin d’un temps de construction, est en marche, il est interrompu par un groupe de militaires. C’est presque comme si la démocratie n’était qu’une transition à des régimes militaires qui refusent le pouvoir du vote.
Ainsi, dès qu’on a enlevé ATT, la transition démocratique au Mali s’est arrêtée. Et on est reparti 30 ans derrière. C’est la situation d’aujourd’hui. Or aucun régime ne vaut la démocratie. Comment expliquer cela sans sembler partisan ou s’attirer les foudres du pouvoir du jour ? Que le Mali ne peut être la propriété d’aucun groupe quelle que soit sa force, mais celle du peuple dans son ensemble et que sans la règle fixée par Nelson Mandéla, à savoir : un homme, une voix, toutes les décisions sont arbitraires.
C’est cette loi de Mandela qu’ATT a voulu inculquer au Malien. Au forceps, en l’absence d’une classe politique réelle. C’est cela son plus haut fait d’arme qui est méconnu et qui mérite d’être mis en exergue. C’est un militaire qui montre l’exemple de ce qu’est le rôle d’un soldat qui aime sa patrie.
Comme beaucoup de militaires, qui ont abjuré leurs engagements une fois au pouvoir, il aurait dû normalement s’accrocher au pouvoir. Dire que c’est nous seuls qui pouvons sauver le pays, tant que ça ne va pas, c’est nous qui nous battons. Dieu merci, pour ce que l’histoire retiendra, son obsession a toujours été de faire un grand Mali, redonner au Mali sa vraie place et non comment se maintenir au pouvoir.
Cela parce que depuis la Charte de Kurukanfuga, la culture malienne est démocratique et qu’elle n’est pas dictatoriale. Le Mali est un pays de grande culture. C’est dans ça qu’il a baigné. Il ne se prenait pas pour un militaire qui devait soumettre les gens par la force. Je me souviens de lui avec grande affection, c’était quelqu’un à qui, même moi, jeune conseiller, pouvais dire «vous avez tort». On ne dit pas «Tu as tort à un dictateur», à plus forte raison à un dictateur militaire. Mais, lui, écoutait et défendait son point de vue et se rangeait s’il avait tort, mais avait souvent raison. Il était humain. Il allait voir les mères de ses amis disparus. Et quand, un jour, je lui ai dit «Kaou, vous donnez toujours des broutilles» il me répondit «Mais Madani, je fais ça chaque semaine», ce qui montrait sa grandeur d’âme. Il était facile d’accès et ne se baladait pas avec une armée autour de lui. Il était simple. Il demandait qu’on rende service à ses amis d’enfance. Certains ministres refusaient et il ne les y contraignait pas.
Si vous voulez écrire quelque chose sur lui, il faut lui rendre sa place dans l’histoire. Et, dans l’histoire du Mali moderne, lui est le père de la démocratie. On a tué son rêve le jour où des mutins ont pris d’assaut Koulouba pour fuir le front. Ce jour-là, il aurait pu faire tirer sur les gens, lui aussi. Il n’a pas voulu. Lorsque le chef du protocole a annoncé que le Général Gamou pouvait être sur Bamako en 2h, ATT a décliné se refusant de voir une confrontation de soldats maliens. Il n’a même pas voulu partir et il a fallu le faire sortir de force.
Pendant tout le temps de son exil, il n’a pas cherché à déstabiliser, un tant soit peu, ceux qui étaient là. Il s’est muré dans le silence. Il n’a pas critiqué. Il n’a pas dit quoi que ce soit. Il n’a pas cherché à se justifier. Il n’a pas cherché à accuser. Quelque part, parce qu’en officier, il ressentait comme un échec personnel de ne pas arriver à faire ce qu’il voulait faire. Voilà, c’est son regret. Pourtant, cet échec n’est pas comme les autres le ressentent, car ce n’est pas d’avoir perdu le pouvoir son regret : c’est de voir que ce qu’il avait essayé de faire n’avait pas été suffisamment bien compris, a été détruit. Il savait dans quoi on mettait le Mali. Quand on repartait vers là où, lui, l’avait fait quitter.
Le Mali vit sur ses acquis…
Or les 20 ans de démocratie malienne, c’est lui, y compris ce qu’il n’a pas fait. Car c’est lui qui permet ça. Donc, son premier bilan est politique. Il y a évidemment les grandes réformes qu’il a initiées : les logements sociaux, la gratuité de la césarienne qui a permis à plus d’enfants de naître et moins de femmes mortes en couche, l’Assurance Maladie Obligatoire, qui lui a valu tant d’insultes avant que les gens ne se rendent compte des bienfaits, le Bureau du Vérificateur qui est le principal instrument d’indexation de la corruption au sein de l’Etat, qui marquent son empreinte sociale. De même, la révolution infrastructurelle qu’il mis en œuvre est sans précédent. Il n’y a pratiquement pas de route. Quand il part, il y a ça, il y a ça, il y a tel nombre de kilomètres, il y a tel nombre de périmètres irrigués, tel taux de couverture énergétique… Et jusqu’aujourd’hui, il n’y a que ça, parce qu’il n’y a eu aucun progrès depuis. Ce qu’il a laissé, on l’a dégradé, on ne l’a pas amélioré. C’est ça la réalité. Le Mali vit sur ses acquis.
Le Mali était respecté au niveau international et sous-régional. Sous son mandat, le Président de l’Union Africaine était malien, celui de l’UEMOA, le Secrétaire général adjoint de la Cédéao, le Secrétaire général adjoint des Nations Unies, le Directeur Général d’Onusida, le Directeur Général de l’IUT, tous étaient Maliens, témoignant du rayonnement diplomatique du Mali qui retrouvait ses atours de puissance régionale. D’autant que la Côte d’Ivoire était dans sa situation difficile. Et beaucoup ignorent que c’est au Mali que tout le monde se réfugie à cette époque. Nous sommes la terre d’accueil. La famille du Président Ouattara, la famille de tous les dignitaires, celle des Ivoiriens qui cherchent à fuir, c’est au Mali que tout le monde se retrouve. Et ils pouvaient aller chez eux, revenir chez nous, repartir dans le monde en passant par Bamako dont l’aéroport était devenu celui du nord de la Côte d’Ivoire. ATT trouvait le moyen d’être l’ami de Gbagbo et d’être en même temps l’ami d’Alassane, d’être l’ami de tout le monde. D’accepter que Kadhafi vienne investir chez nous, en même temps que les Français soient là, que les uns et les autres soient là. Il a refusé à la France tout ce qui lui semblait indigne pour les Maliens, sans passion, ni colère, ni insulte. Le Mali, n’a jamais été autant une force centrale dans la sous-région qu’à son époque. Nous étions la première puissance politique de la sous-région, comme dans les années avant l’indépendance et comme avant la colonisation. C”est au Mali que ça se décidait. C’est l’héritage. C’est cet exemple que les militaires qui nous dirigent aujourd’hui doivent suivre et non écouter le chant des sirènes qui, tôt ou tard, se révèlent être des monstres.
En résumé et c’est d’actualité, il faut une constitution démocratique à laquelle tout le monde se soumet. Et une fois qu’un peuple s’est donné une constitution, ce même peuple ne peut fonctionner en dehors de la constitution. Or, aujourd’hui, nous fonctionnons en dehors d’elle. Ce qui n’est pas acceptable. Il faut donc renouer avec la loi et organiser des élections. La constitution confère la légitimité. En dehors d’elle, il n’y a pas de légitimité. Une phase de transition est un régime d’exception. Or l’exception ne peut devenir la règle et ne peut être une phase de légitimité car la loi et les droits du peuple sont suspendus.
Or ceux qui se donnent la responsabilité d’organiser une révolution, ne peuvent pas être juges et arbitres. Un jour ATT m’a dit : «je ne pouvais pas organiser quelque chose et avoir le sifflet en bouche ou chercher à blaguer les gens pour me maintenir au pouvoir. C’est la volonté du peuple librement exprimée par le vote qui doit compter. Et il ne faut pas croire que la démocratie, c’est seulement faire des élections. Sa véritable mission est d’obliger ceux qui sont au pouvoir à rendre des comptes au peuple, à justifier leur action et en être responsables, que cela soit le droit à l’électricité ou à l’éducation, la santé ou l’emploi. Je ne pouvais pas faire respecter ces règles si moi-même, l’arbitre, ne donnais pas l’exemple».
Je souhaite que les dirigeants de cette transition méditent cet exemple. Et pour être des exemples, ils sont obligés de faire comme ATT, qui était un militaire comme eux, et de faire en sorte que le Mali reparte sur des bases saines.
Pour ma part, je préfère croire qu’ils respecteront les engagements pris en prenant le pouvoir, ainsi que les serments solennels pris devant tous les Maliens qu’ils montreront l’exemple de comment l’on respecte sa parole malgré les délices du pouvoir, qu’ils mettront le Mali au-devant de tout comme ce fut le cas d’ATT. Dieu veille.
Madani Tall Ancien Conseiller Economique du Président ATT
Officier de l’Ordre National Promotion 2006 pour services rendus à la nation.
Source : Le Challenger