La lutte contre la corruption, érigée en priorité de la Transition, semble s’accélérer ces dernières semaines avec l’interpellation de plusieurs personnalités soupçonnées dans divers dossiers. Toutes bénéficient de la présomption d’innocence tant qu’elles ne sont pas condamnées,
Depuis plusieurs semaines, de nombreuses personnalités ont été arrêtées dans le cadre de la lutte contre la corruption. La dernière arrestation d’une personnalité d’envergure est celle d’Adama Sangaré, maire du District de Bamako depuis 2007, placé sous mandat de dépôt le 20 septembre dernier. Il est accusé d’avoir « effectué des morcellements, des attributions illégales de parcelles appartenant à l’État et des accaparements des terres ne relevant pas de leur compétence dans la zone aéroportuaire ». Adama Sangaré qui est un habitué de la maison centrale d’arrêt avait d’abord été incarcéré en octobre 2019 pour faux et usage de faux et atteinte aux deniers publics dans le cadre d’un dossier portant sur une marché d’éclairage public pour près de 500 millions de francs CFA en 2010, avant d’être remis en liberté en mai 2020, puis réincarcéré en mai 2021 dans la même affaire, avant d’être à nouveau libéré un mois plus tard, en septembre 2021. Pour certains observateurs, le cas particulier d’Adama Sangaré est une illustration parfaite de certains maux de la justice malienne : arrêter sans juger. Ce spectre plane sur l’ancien ministre de la Sécurité et de la protection civile, le Général Salif Traoré, accusé de « faux, usage de faux, détournement de biens publics et complicité d’abus de biens sociaux » dans l’affaire dite « Sécuriport ». Il a été placé sous mandat de dépôt le 30 août 2023, au camp 1 de Bamako. Cette nouvelle affaire qui porte sur un contrat de concession entre le Gouvernement du Mali et la Société Sécuriport LLC pour la fourniture d’un système de sécurité pour l’aviation civile et l’immigration est une des nombreuses qui visent d’anciens responsables sous la présidence IBK. Des procédures lentes Si les mandats de dépôt sont rapidement décernés, l’instruction des différents dossiers traîne en longueur. Inculpé puis arrêté le 26 août 2021 par la chambre d’accusation de la Cour suprême dans l’affaire de l’achat d’un avion présidentiel et d’équipements militaires, Soumeylou Boubeye Maiga est mort le 21 mars 2022 sans avoir été jugé. L’arrestation de l’ex-Premier ministre d’IBK avait été dénoncée par Cheick Mohamed Chérif Koné, ancien premier avocat général de la Cour suprême. Selon lui, cette juridiction n’était pas compétente pour instruire l’affaire. Le procureur général de la Cour Suprême Mamadou Timbo s’en était défendu affirmant que lorsque la haute cour de justice (compétente pour juger selon la Constitution de 1992) est inopérante, « l’instruction se poursuit à la Cour suprême ». Selon un analyste qui a requis l’anonymat, ces arrestations serviront à « étoffer » le bilan de la transition. Mais dans le fond, les affaires ne bougent pas. Dans le cadre des dossiers de l’achat de l’avion présidentiel et celui des équipements militaires, plusieurs personnes citées, notamment des opérateurs économiques, ne se trouvent pas au Mali. Un mandat d’arrêt vise également Moustapha Ben Barka, aujourd’hui vice-président de la BOAD. D’autres anciens ministres d’IBK, contraints à l’exil, sont visés depuis le 25 juillet 2022 par des mandats d’arrêts internationaux pour « crime de faux, usage de faux et atteinte aux biens publics » dans l’affaire dite Paramount, qui remonte à 2015. Il s’agit des anciens ministres de l’Économie et des finances Boubou Cissé et Mamadou Igor Diarra et de l’ancien ministre de la Défense et des anciens combattants Tiéman Hubert Coulibaly, ainsi que plusieurs opérateurs économiques, notamment Babaly Bah, ancien PDG de la BMS. Des procès possibles ? L’absence de ces personnes ainsi que les décès de certains responsables compliquent l’instruction de ces affaires. Madame Bouaré Fily Sissoko, ancienne ministre de l’Économie et des Finances de 2013 à 2015 est placée sous mandat de dépôt depuis le 26 août 2021 dans l’affaire dite de l’avion présidentiel et de l’achat des équipements militaires. Dans une lettre ouverte envoyée au président de la transition le 26 août 2022, elle avait réclamé la tenue de son procès. « J’avais placé tout mon espoir en la procédure en cours. Malheureusement, le temps que prennent les choses me préoccupe au plus haut niveau, notamment au regard de mon âge et de l’espérance de vie très limitée dans notre pays », indiquait-elle dans sa lettre. Mais, selon un analyste qui a requis l’anonymat, il sera difficile de tenir ces procès, car selon lui, « cela pourrait relever la faiblesse de certains dossiers ». Pour lui, « la justice joue la montre, le temps de la transition ». Aucune date n’a encore été indiquée pour d’éventuels procès et la justice communique très peu sur les affaires. Selon une source judiciaire, une cour d’assises spéciale devait être convoquée pour qu’un jugement ait lieu, mais sans donner plus d’explications, il ajoute simplement que cette cour n’est plus en « projet ». Cette source ajoute que la lenteur dans les procédures s’explique aussi par les changements intervenus au niveau des juridictions. Plusieurs juges ont été remplacés. « Avec un nouveau juge, c’est comme si la procédure reprenait de nouveau » , assure-t-il. Le dossier des masques COVID qui s’est traduit par l’interpellation de Youssouf Bathily, ancien Président de la Chambre de commerce du Mali et certains de ses collaborateurs depuis le 23 novembre 2022, n’a pour le moment pas non plus trouvé de suite. Il leur est reproché des malversations financières dans l’achat des masques COVID qui ont été distribués en 2020 peu avant la tenue du scrutin législatif. Des auditions en cours L’ancien Président de l’Assemblée nationale de 2013 à 2020, Issiaka Sidibé, croupit lui aussi à la Maison centrale d’arrêt de Bamako depuis le 9 août 2023. Accusé d’atteinte aux biens publics, l’ancien député a été mis aux arrêts, ainsi que son ex-Directeur financier et actuel Président de la Fédération malienne de football, Mamoutou Touré dit Bavieux, Modibo Sidibé, Secrétaire général de l’Assemblée nationale et du CNT, Demba Traoré, ancien comptable, et Anfa Kalka, ancien Contrôleur financier de l’institution parlementaire. Si les anciens dossiers patinent, des auditions ont été menées pour ceux récemment sortis des tiroirs. Selon nos informations, le président de la FEMAFOOT Mamoutou Touré a été entendu par un juge d’instruction le 27 septembre. Il a clamé son innocence des faits qui lui sont reprochés. Mamadou Diarrassouba, ancien questeur de l’Assemblée nationale et actuel membre du CNT, est également visé dans le même dossier, mais n’a pas été écroué en raison de son immunité parlementaire. Soupçonnés de malversations financières, Abdrahmane Niang, ancien Président de la Haute cour de justice, et deux de ses anciens collaborateurs, dont l’ancien Directeur administratif et financier Mamby Diawara, ont aussi été placés sous mandat de dépôt début septembre. Après deux semaines de détention, la santé de M.Niang, octogénaire, s’est considérablement dégradée, nécessitant une évacuation dans une clinique pour des soins. « Ristournes du coton » Outre ces affaires, Bakary Togola, l’ancien Président de l’Assemblée permanente des Chambres d’agricultures du Mali (APCAM) a lui aussi signé son retour en prison, après avoir été inculpé en septembre 2019 pour « détournement de deniers publics, sur la base de faux et usages de faux, soustraction frauduleuse et autres malversations estimées à plus de 9,4 milliards de francs CFA entre 2013 et 2019 », puis acquitté en novembre 2021.
Journal du Mali