Malheureuse coïncidence ou erreur d’approche stratégique ? Ce qui se passe actuellement sur le terrain, avec la recrudescence des attaques terroristes qui se propagent dans tout le pays, délocalisant, de ce fait, son périmètre d’action, limité jusqu’ici au nord du pays, tranche nettement avec la stratégie de l’Onu de réajuster son mandat en l’imputant de la mission de traquer les terroristes dans le pays.
En fin de mois de juin dernier, comme on s’y attendait : le mandat de la Minusma a été prorogé d’un an supplémentaire. Cet objectif majeur répondait d’ailleurs d’une demande expresse du gouvernement du Mali, qui venait d’ailleurs de signer le texte de l’accord de paix, devenu inclusif, car adopté par toutes les parties, y compris la CMA qui avait trop longtemps tergiversé là-dessus. En fait, la logique du gouvernement était donc de parvenir à une nouvelle prolongation du mandat de la Minusma, redéployé et réadapté à l’exigence de la faisabilité de l’accord de paix qui venait de rentrer en vigueur, dont tout le monde s’accordait à dire qu’avec sa mise en œuvre effective sur le terrain, on entamait alors la phase la plus difficile de ce processus de paix.
Dès lors que les parties, y compris la communauté internationale, avaient déployé tant d’efforts pour en arriver là, il était donc impérieux d’y consacrer le maximum d’attention et de précaution pour éviter que le processus de paix, ainsi fragile, ne puisse connaître de nouvelles remises en cause, susceptibles de nous replonger en arrière ; du temps où le climat de confiance était la denrée la plus rare entre les parties maliennes, lesquelles ont dû puiser du meilleur d’elles-mêmes, grâce à la sagacité du chef de file de la médiation, pour baliser le chemin, allant à la paix.
C’est dans ce contexte de paix retrouvée que le mandat de la Minusma a été revu et corrigé par le conseil de sécurité de l’Onu qui, à l’unanimité de ses membres, a adopté ce nouveau mandat de la Minusma. Il l’a été, nous a-t-on confirmé par des sources diplomatiques crédibles, avec la vision stratégique que la Minusma sera en quelque sorte le gendarme pour la surveillance des modalités d’application de l’accord. Et cela, dans toutes ses phases. La Minusma, selon les dispositions de l’accord de paix, en collaboration avec l’UA (MISAHEL), l’OCI, l’UE, et la CEDEAO, assiste le CSA dans le suivi de la mise en œuvre de l’accord. C’est donc elle qui fera office de police dans la matérialisation de cet accord de paix, en fonction des missions stratégiques assignées à celui-là. Tenez ! Le CSA, dont la Minusma a un rôle d’assistance, aura pour missions :
– assurer le suivi, le contrôle, la supervision et la coordination de l’application effective par les Parties de toutes les dispositions de l’Accord, et cela sans préjudice du mandat confié à la MINUSMA par le Conseil de Sécurité ;
– élaborer un chronogramme détaillé de mise en œuvre des dispositions pertinentes de l’Accord et veiller à son respect ;
-assurer l’interprétation des dispositions pertinentes de l’accord en cas de divergences entre les Parties ;
-concilier, le cas échéant, les points de vue des Parties ;
-encourager le Gouvernement à prendre toutes les mesures jugées nécessaires à la mise en œuvre effective des dispositions de l’accord.
Nous y sommes : la Minusma est au cœur du processus d’application de l’accord de paix dont elle s’intéresse évidemment à tous les aspects pratiques. Et c’est justement sur ce terrain que de nombreuses interrogations concernent ce réajustement du mandat par le conseil de sécurité en un moment justement où l’on appréhende clairement, que la principale condition de la paix sur le terrain, après tant de traumatismes vécus par les communautés, est liée à la garantie accordée par celles-ci, toutes tendances confondues, à la problématique de la sécurité, par laquelle tous les autres éléments de cet accord de paix se tiennent.
Les communautés maliennes, dont l’implication donnera une chance à ce processus de paix, ne croiront à la paix lorsqu’elles sentiront que leur sécurité est parfaitement garantie sur tout le territoire national. On le voit bien, quand il y a des menaces qui s’accumulent dans leur vécu quotidien, et qui seront de nature de briser leur rêve en faveur de la paix, les populations, quelles qu’elles soient, ne soutiendront pas aussi facilement qu’on le croit les initiatives de paix dans le pays qu’elles pourront d’ailleurs assimilées à des chimères.
Si tel est le cas : on aura du mal à gagner plus vite et plus efficacement qu’on ne croit à la paix qui nous mobilise tous aujourd’hui. Et c’est à cela que le conseil de sécurité de l’Onu devait s’atteler au moment où il décidait de réviser le mandat de la Minusma d’autant que l’accord de paix lui-même, qui avait été signé par les parties, prévoyait, dans plusieurs de ses dispositions, le rôle stratégique qu’elle devait jouer dans le cadre de la mise œuvre dudit accord de paix.
Et bien ! Voilà que ce qui se passe sur le terrain, à peine le mandat de la Minusma revu et corrigé, n’est pas en phase avec cet autre objectif stratégique, celui de garantir la paix. Et pour cause ? Depuis que le conseil de sécurité de l’Onu a soulagé la Minusma de la mission de traquer les terroristes dans le pays, ces derniers ont poussé des ailes en s’attaquant à tout, et à l’échelle de tout le pays ; réduisant à néant l’espoir de paix que nourrissent les populations qui vivent désormais, partout dans le pays, la psychose des attentats terroristes.
Ces derniers, à Nara, Fakola, Messeni, Goudam, Gao, les attaques terroristes se multiplient, y compris à l’encontre de la Minusma elle-même qui perd hommes et matériels. Les six soldats de la paix, qui ont été tués par les terroristes, sur l’axe Goudam Tombouctou, en début de ce mois, à quelques jours seulement de la révision du mandat de la Minusma, étaient révélateurs du degré d’un tel hiatus entre la réalité du terrain et cette révision du mandat de la Minusma, intervenue, comme on le voit aujourd’hui, en l’absence de toute approche stratégique sécuritaire crédible.
Les terroristes, par leur mode opératoire, et leur propension à étendre le théâtre du conflit sur tout le pays, menacent dangereusement la paix au Mali. Par ricochet, ils annihilent gravement, et d’une manière irréversible, les efforts de la Minusma pour matérialiser le processus de paix, en tant que gendarme de la surveillance des modalités de la mise en œuvre de l’accord de paix. Pendant ce temps, comme par envoûtée par les magiciens de ces djihadistes terroristes, hors de la loi, la Minusma se trouve du coup allégée d’une de ses missions spécifiques, qui lui aurait permis de gagner quelque avancée sur le terrain de la paix, celui d’empêcher, par tous les moyens, tous ceux qui viseraient par leurs actions, comme elle en a d’ailleurs le droit, à torpiller le processus de paix.
Elle aura mieux gagné sur ce terrain en ayant dans son portefeuille onusien le droit de combattre les terroristes. Dommage que les gendarmes du monde ne l’ont pas aperçu de cette manière.
Par Sékouba Samaké