Huit ans après le déclenchement de l’intervention militaire française au Mali, le bilan de la force Barkhane est très mitigé aux yeux de la population. Si l’arrivée des soldats a été saluée en 2013, aujourd’hui, de plus en plus de Maliens souhaitent le départ des forces françaises.
Le 2 février 2013, Mamadou Touré était de ces milliers de Maliens massés avenue de l’Indépendance de Bamako pour réserver un accueil digne à François Hollande, le « sauveur ». Quelques jours plus tôt, sur demande des autorités maliennes, la France lançait l’opération Serval pour stopper l’avancée djihadiste. Huit ans après, l’enthousiasme a disparu chez ce trentenaire bamakois. « Je ne pensais pas que nous en serions encore là en 2021. Toujours des morts et des territoires occupés », confie-t-il.
Même s’il avoue son désenchantement, il ne participera pas à la manifestation du 20 janvier prochain – jour de la Fête de l’armée malienne – contre « l’impérialisme français ». Pour les organisateurs de ce rassemblement, Barkhane est perçu comme une force d’occupation.
« Pour nous, Barkhane est un échec », assène Adama Ben Diarra, surnommé Ben le Cerveau, reconnaissable à sa casquette communiste toujours vissée sur sa tête. Ce dernier regrette que, « malgré ses moyens militaires de dernière génération, elle n’arrive pas à mettre en déroute 3 000 personnes qui roulent à moto ».
Barkhane moins efficace que Serval
Aujourd’hui membre du Conseil national de transition – le parlement de transition créé par les putschistes après la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta –, Adama Ben Diarra y fait entendre sa voix pour demander à la Russie de supplanter la France dans le pays.
Comme le souligne Modibo Galy Cissé, doctorant à l’université de Leiden aux Pays-Bas, qui mène fréquemment des enquêtes dans le nord comme dans le centre du Mali, les populations soutiennent que Barkhane est moins efficace que Serval.
« Depuis Barkhane, les groupes terroristes se sont réorganisés avant d’étendre leur zone d’action. Aujourd’hui, ils opèrent dans le centre du pays et ne cessent de gagner du terrain, comme en témoignent les attaques plus au sud », analyse-t-il. À Gao, porte d’entrée du nord du Mali, Barkhane ne dispose que d’une base. Elle assure des patrouilles régulières dans la zone mais peu dissuasives, selon un enseignant de la ville ayant requis l’anonymat.
« Barkhane mène des frappes dans certaines zones afin de calmer les ardeurs de ses détracteurs, précise le chercheur. Mais elle porte rarement secours aux armées du Sahel attaquées par les terroristes, en dépit de ses moyens aériens sophistiqués. »
« Nous continuons à souffrir »
De fait, une certaine défiance à l’encontre des forces étrangères s’est installée depuis quelques années au sein de la population locale. Barkhane est très souvent comparée à la force onusienne (Minusma) pour souligner son inefficacité. « Huit ans après le début de l’intervention française, nous continuons à souffrir », se désole l’enseignant.
Pour autant, les habitants de Gao ne demandent pas le départ de la force française : Barkhane effectue aussi des interventions sociales, sanitaires, économiques au profit de la population. Cet habitant assure lui-même en avoir bénéficié. « Mais il faut connaître les bons intermédiaires », précise-t-il.
Controverse
À Douentza, dans le centre du pays, Barkhane est au cœur des discussions depuis qu’elle a mené, le 3 janvier, un raid aérien qui a fait plusieurs morts, des civils rassemblés pour un mariage selon des villageois. Une thèse rejetée par l’armée malienne et la ministre des armées française Florence Parly, affirmant dimanche 10 janvier sur France Inter que la France avait « engagé deux avions de chasse qui ont éliminé des dizaines de djihadistes », et qu’il « n’y avait ni mariage, ni femmes, ni enfants ».
La polémique n’a pas cessé d’enfler depuis, renforçant le camp de ceux qui souhaitent voir Barkhane quitter cette zone, connue pour être un « repaire » de terroristes, explique un ressortissant de cette localité. Cette controverse montre, à ses yeux, la nécessité de dialoguer avec les groupes armés pour trouver une solution pérenne à la crise. Les Maliens ont déjà exprimé en 2019 leur volonté de négocier avec les terroristes lors du dialogue national inclusif. La France s’y est toujours opposée.
Source: La Croix