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Loi portant statut de l’opposition : LES OBSERVATEURS OPINENT

Nos interlocuteurs ont commenté la pertinence du vote de ce nouveau texte et soulevé certaines insuffisances dans son application
Le texte a emprunté une voie véritablement royale. La nouvelle loi portant statut de l’opposition a été en effet votée le 19 février 2015 par une majorité écrasante des députés de l’Assemblée nationale : 140 voix, 6 contre et aucune abstention. La nouveauté dans ce texte est que l’opposition politique sera désormais dirigée par un chef de file qui aura les mêmes avantages que le premier vice-président de l’Assemblée nationale. Sur la question, nous avons recueilli les réactions de deux observateurs de la scène politique. Il s’agit de Me Amadou Tiéoulé Diarra, chargé de cours à l’Université et membre de la Société d’études Roberpierristes-France et du directeur résident du NDI au Mali, Dr. Badié H ima.

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Nos interlocuteurs ont d’abord donné leur appréciation sur la nouvelle loi. Pour Me Amadou Tiéoulé Diarra, une loi sur le statut de l’opposition n’est ni une question nouvelle, ni une préoccupation nouvelle. Il faut lier son existence aux exigences démocratiques de la IIIeme République. Selon lui, dans l’exercice du pouvoir, il est préférable d’avoir en face un interlocuteur agissant dans un cadre légal plutôt qu’un adversaire laissé libre d’agir comme cela lui convient. L’obligation de travailler dans la clandestinité sous la IIe République et les difficultés rencontrées lors de cette expérience avaient incité le président Konaré à faire initier une loi portant statut de l’opposition en 2000, c’est-à-dire deux ans avant de quitter le pouvoir. Sept ans après, le président Touré en 2007 au lendemain de sa réélection avait mis sur pied la commission Daba Diawara qu’il a chargé de revisiter l’arsenal législatif encadrant les activités politiques dans notre pays. Aujourd’hui, le président Ibrahim Boubacar Keïta a fait de l’actualisation du statut de l’opposition une préoccupation essentielle.
Le professeur de droit explique que la loi de 2000 initiée par le président Konaré se souciait surtout de préserver «l’expression plurielle » dont étaient porteurs les partis politiques et ne donnait pas d’indication par rapport à la manière dont il fallait garantir la possibilité de cet exercice au niveau des partis. Le président Amadou Toumani Touré a modifié le texte de 2000 pour instituer un chef de l’opposition qui serait un leader proposé par le plus grand groupe parlementaire d’opposition et qui serait nommé par décret. Tandis que la loi de février 2015 trace ce qui est aux yeux de Me Diarra un carcan légal. « On est passé de l’idéal d’Amadou Toumani Touré à la réalité légale d’Ibrahim Boubacar Keïta. On peut être étonné que face à une usure du système institutionnel qui appelle à faire le bilan du consensus prôné par Amadou Toumani Touré, le président Ibrahim Boubacar Keïta ait eu le souci de fixer le débat politique dans les limites de la légalité institutionnelle », a commenté Me Amadou Tiéoulé Diarra.
DES BAGAGES À PORTER. Pour l’expert, c’est au moment où nous avons le sentiment que la vie institutionnelle est dévoyée que le président de la République institue la normalité institutionnelle. « Est-ce une négation du mouvement de la pensée politique ou des citoyens comme acteurs de la vie démocratique ? Certainement pas. A l’étranger, il n’y a pas de situation similaire en France. Par contre, si c’est le système britannique qui nous inspire, il doit être dit que les faits ont précédé les idées. Chez eux, ce n’est pas un carcan. Chez nous, on peut y voir la subordination de la pensée plurielle au leadership d’un chef de file qui pourrait être guidé par une doctrine contraire à celle des composantes du cadre », a fait remarquer Me Amadou Tiéoulé Diarra. Selon lui, il y a lieu de s’interroger sur le positionnement quel pourrait adopter un parti politique aux visions différentes qui jouerait la carte de la légalité institutionnelle en entrant dans le cadre légal de l’opposition.
Après avoir apprécié la pertinence du vote de cette loi par le parlement, le directeur résident du National democratic institute au Mali (NDI), Dr Badié Hima, pense que le statut de l’opposition ne doit pas être considéré nécessairement comme un effet de mode. « Ce statut doit et va contribuer au renforcement de la gouvernance et des institutions démocratiques. Ce sont moins les honneurs et les avantages qui me paraissent les choses les plus essentielles que l’esprit. A travers ce vote massif, au niveau de l’Assemblée nationale, c’est la reconnaissance partagée du rôle de l’opposition dans une démocratie en construction, qui a besoin des idées de toutes les forces sociales et politiques. Il est très courant de voir dans nos pays à quel point les pouvoirs criminalisent les opposants, à cause l’expression des idées contraires, des idées alternatives. Comment la gouvernance se peut-elle être améliorée, être évaluée sinon que par la critique, par le débat contradictoire ? Celui-ci montre que chacun brûle d’envie de voir le pays se développer », a-t-il souligné.
Quel changement dans les rapports opposition/majorité la nouvelle loi va-t-elle apporter ? Me Amadou Tiéoulé Diarra estime que la structure de la nouvelle loi donne l’impression que l’opposition aura des « bagages à porter » dans la gouvernance du pays. Et du coup la notion de différence de programme tombera dans les relations entre opposition et majorité. Car l’opposition sera consultée et elle proposera. Selon lui, ce qui est cependant dommage, c’est de limiter l’accès au travail gouvernemental au périmètre de l’opposition telle que celui-ci est défini dans le cadre légal. « Quelque part il y a un hiatus. Du côté de l’opposition, le cadre légal correspond à l’affichage politique des partis qui s’y trouvent. Par contre, on est quelque peu étonné de voir que le chef de file de l’opposition légale doit traiter aujourd’hui concrètement avec un Premier ministre choisi en dehors des partis politiques. Or, l’idée centrale de la loi est de « fixer le débat politique » pour « assurer une alternance acceptée, pacifique et apaisée. Mais comment y parvenir si le ‘’chef de file’’ de l’opposition n’a pas pour interlocuteur un chef de gouvernement issu des rangs de la majorité ? », argumente l’analyste.
S’agissant de la question relative au rôle central du chef de file de l’opposition, le professeur d’université, Me Amadou Tiéoulé Diarra, souligne plusieurs hypothèses selon que le chef de file est issu de la majorité de l’opposition ou non. « Dans l’hypothèse où cela aurait été un seul parti politique qui constituait l’opposition, la question était simple, le rôle du chef de file aussi. Lorsque ce chef de file est issu du premier des partis d’opposition, plusieurs hypothèses sont possibles. Je n’aborderai que trois. La première prévoit que le porte-parole tentera de faire épouser la position de son parti par les autres formations. C’est un jeu complexe qui peut réussir ou non. Mais, deuxième hypothèse, le porte-parole peut aussi jouer au centrisme, à la fédération des idées. Là, il est possible qu’on évolue vers l’éclipse des autres formations politiques. Une troisième hypothèse, c’est l’éclatement.», suppute-t-il.
DANS L’ESPRIT ET LA LETTRE. Par rapport à cette question, le Directeur Résident du NDI estime que le rôle critique de l’opposition permet aux gouvernants d’améliorer, de réajuster, de corriger ou de renforcer au besoin, ou encore de s’expliquer à nouveau et mieux au besoin s’il a la conviction que son choix est le meilleur. « En ce qui concerne l’opposition, son travail de critique et de contre-proposition lui permet donner de la voix et de la visibilité à ses capacités de gestion, à sa vision alternative. Son travail permet aussi de donner un autre son de cloche aux citoyens qui en ont toujours besoin. Cette dynamique est vitale pour toute démocratie », a-t-il dit. Selon Dr. Badié Hima, sans une opposition de qualité et constructive et des gouvernants à l’écoute, la démocratie perd son sens.
Le chef de file de l’opposition pourra ne pas être un élu selon la nouvelle loi. Cela ne pose-t-il pas un problème ? En réponse, Me Amadou Tiéoulé Diarra pense qu’il faut analyser cette question en terme d’alternative. « On est dans une situation où l’opposition parlementaire existe et s’affirme comme telle. Dans cet ordre d’esprit et conformément à la loi, il est normal que le chef de l’opposition soit choisi et nommé parmi les membres du parti ayant le plus grand nombre de députés à l’Assemblée nationale. Une telle démarche se comprend. A l’inverse la possibilité de désigner comme le chef de file de l’opposition, un membre de parti faiblement ou pas du tout représenté à l’Assemblée Nationale ne pourrait se se concevoir. Sauf évidemment s’il s’agit d’un parti prompt à la mobilisation sociale par l’agitation. Auquel cas, la nomination d’un de ses membres comme chef de file de l’opposition viserait à soumettre leurs activités à des règles », a-t-il développé.
La nouvelle loi pourra-t-elle renforcer l’opposition dans son rôle de contrepoids politique ? Me Diarra n’y croit pas trop. Selon lui, la loi nouvelle montre ses objectifs spécifiques dans ses dispositions générales qui sont de « fixer le débat politique dans les limites de la légalité et du respect réciproque et assurer l’alternance acceptée, pacifique et apaisée ». Elle dissocie aussi le phénomène politique du fait social. Elle interdit les dynamiques d’un type nouveau. Et partant, le clivage programmatique est relégué au musée des oubliettes. Ce qui importe en dernière instance, c’est «^ l’alternance acceptée. »
Le directeur résident du NDI estime que c’est aux forces politiques maliennes de faire bon usage cette nouvelle loi. « Je sais qu’elles en sont capables. Pour ce faire, il faudra que la majorité et l’opposition, chacune dans son rôle, respecte l’esprit et la lettre de la loi », a-t-il dit. Selon lui, un texte ne vaut que par la capacité des acteurs à le mettre en œuvre. « Mais les meilleures conditions de sa mise en œuvre, a-t-il ajouté, restent l’accès de l’opposition aux médias publics. C’est le plus grand défi, parce qu’elle ne dira pas toujours ce qui plaît à l’oreille. Ainsi va la démocratie».

M. KÉITA

source : L Essor

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