En philosophie politique, la volonté générale désigne celle du peuple par chacune de ses parties visant le bien de tous (l’intérêt général), y compris pour son intérêt propre. Ce «concept fécond» a été particulièrement développé par Jean-Jacques Rousseau dans «Du contrat social». Mais comme l’intérêt général est rarement suivi et que les intérêts particuliers l’emportent le plus souvent, la souveraineté du peuple ne serait alors qu’une fiction politique si l’intérêt général n’était institué, c’est-à-dire s’il ne trouvait à s’exprimer dans des organisations publiques, symboliques et administratives, notamment dans l’institution du gouvernement.
Mais cette institutionnalisation est elle-même autant une solution qu’un problème puisque l’intérêt général est souvent détourné au profit de ceux qui l’instituent. Sans institution, l’intérêt général n’existe guère, on en convient ; mais quand il est institué, il n’existe parfois pas davantage. Où voulons-nous en venir ? C’est que le respect de la volonté générale doit être institué comme un baromètre pour évaluer notre progression vers le changement devant aboutir au «Mali Kura». Depuis la fin de la première République, nos décideurs ont rarement tenu compte de la volonté populaire dans la prise de décision. Ce respect n’a rarement existé en dehors des discours démagogiques.
Mais, le Colonel Assimi Goïta vient d’envoyer aux citoyens deux signaux d’espoir comme pour leur dire qu’il est à l’écoute de son peuple. Il s’agit du retrait du CNT du projet de loi sur la police territoriale et l’ouverture d’une enquête suite à l’attribution scandaleuse de la 2e tranche des 12 566 logements sociaux de Bamako par la Commission… Le projet de loi et la publication de liste des bénéficiaires ont soulevé une vive polémique, notamment dans les médias et sur les réseaux sociaux avec l’interpellation des autorités de la transition par l’opinion nationale. Et dans les deux cas, la réaction de l’autorité a été instantanée avec le retrait du projet de loi et l’ouverture d’une enquête sur les conditions d’attribution des logements sociaux.
Et suite à des «anomalies signalées» au ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat, de l’Aménagement du territoire et de la Population à travers les médias, le département a suspendu le processus d’attribution afin de procéder aux vérifications nécessaires. Mieux, comme l’a souhaité une grande majorité de Maliens, la Commission d’attribution a été dissoute. Il faut maintenant espérer que l’enquête demandée par le président de transition ne connaîtra le sort de toutes les enquêtes entreprises dans notre pays depuis trois décennies : Elles ont été abandonnées une fois les clameurs de protestations estompées ou classées sans suite pour des raisons diverses, comme la pression politique ! Par respect pour les principes et les valeurs qui doivent constituer les charpentes du «Mali Kura», cette enquête doit aller jusqu’au bout ; les résultats publiés et des poursuites engagées si nécessaires.
Au peuple aussi de comprendre que la poursuite des magouilles et des malversations n’est pas forcément une volonté délibérée de le berner. Nous devons comprendre que l’administration est sérieusement infiltrée par ceux et celles qui ont bâti leur existence autour de ces mauvaises pratiques. Et ils ne manquent pas de stratégies pour les perpétuer quelle que soit la volonté affichée au haut niveau pour les réprimer.
Extraire ces mauvaises graines ne se fera pas du jour au lendemain. Un pays voire une nation ne se bâtie en une journée, mais sur le long terme. Cet exercice est en partie lié au changement de mentalité, donc une œuvre de longue haleine. Et notre conviction est que tant que le «Malien aura toujours son habitude du gain facile le Mali ne bougera».
C’est plutôt le manque de réaction de l’autorité compétente qui doit nous inquiéter et nous pousser à réagir pour qu’aucune pratique indigne du «Mali Kura» ne puisse rester impunie. Et en la matière, le signe que Koulouba envoie à la nation ces derniers temps est très encourageant, suscite beaucoup d’espoir. On est en mesure de penser que nous n’allons plus prêcher dans le désert en dénonçant les mauvaises pratiques et leurs auteurs ; en réclamant que des suites judiciaires soient données aux enquêtes.
Comme l’a dit le jeune frère et très talentueux Sékou Tangara, à nous de veiller désormais à ce que «tout régime qui foulera au pied l’exigence de redevabilité se fasse recadrer par un contrôle citoyen de plus en plus soif de justice sociale». Il y dépend de l’avenir radieux de notre pays !
Moussa Bolly
Source : Le Matin