Au Mali, la réconciliation est partout, au cœur de toutes les actions politiques. Dans son brillant premier roman, L’orgueil du désert, Djènèba Fotigui Traoré passe par le syndrome de Stockholm pour nous faire comprendre que la réconciliation est possible dans les différends qui nous opposent. Dans le pays, c’est le temps des grands discours du Président Dankan Koné dont la devise est qu’ « il faut toujours impressionner la masse », et du ministre de la Sécurité, Faye Sidibé, contre la rébellion qui se manifeste à nouveau dans le nord du pays. Alors qu’au sud du pays, le même quotidien banal se poursuit : des bus qui passent et repassent, les bureaucrates qui rejoignent leurs postes, bousculade dans les transports en commun, souffrance, fatigue et la pauvreté. Pour faire de l’affaire-rebelle aux autres citoyens à travers la presse, le président use d’une stratégie, qui s’avère bien payante, surtout dans nos démocraties de pacotille : « Tout le monde a le droit de savoir, l’information est capitale pour la survie de la démocratie. Mais pourtant, il faut que le peuple ne sache que ce qu’il doit savoir, le reste, il doit l’ignorer, complètement. »
Binta, le personnage principal, est la fille du ministre de la Sécurité. A la veille de son mariage avec Iba Diakité, elle est enlevée dans la capitale par un groupe rebelle dirigé par Ag Mahmoud. Son père, las de résister, finit par craquer car « même la résistance à ses limites. Elle a ses limites qu’elle ne peut pas franchir. » Il démissionne. Binta n’éprouve que de la haine, une haine primitive pour Ag Mahmoud, qui la viole et finit par la mettre enceinte. « De la haine à l’amour, il n’y a qu’un pas, ma belle fée du Sud, un tout petit pas qu’on peut inconsciemment franchir », lui avait pourtant dit le chef rebelle. Elle donnera naissance au « fils du rebelle » : « je crois que c’est pour cela que je l’aime. Je ne l’aime pas en tant que mon fils mais en tant que le fils du rebelle, le fils de Ag Mahmoud, le grand rebelle, mon rebelle au cœur d’or, mon rebelle qui se bat pour les autres. (…) Maintenant, je peux me l’avouer, le dire haut et fort, je l’aime. J’aime cet homme cet homme plus que tout le monde. Je l’aime au point de renoncer à toute ma famille… » Entre-temps, après la chute du guide El Halal ( qui n’est autre que Khadafi), des centaines d’hommes sont venus d’El Comor. Des divergences les opposent à Ag Mahmoud, qui pense que « nous pouvons revendiquer un statut particulier pour les régions ; le climat et la nature elle-même légitiment cette revendication. Mais réclamer l’indépendance des trois régions me paraît absurde… » Ils l’assassinent et forment le mouvement rebelle « L’orgueil du désert ».
A l’opposé de Binta, Marlow qui vient aussi du Sud du pays, a rejoint la rebellion après qu’il eut été expulsé de son domicile « comme un vulgaire paquet de déchets. Ils ont tout démoli et ils ont construit un grand hôtel. » Pour lui, « il faut que ce régime change. Il faut que la situation s’améliore. Plusieurs décennies de liberté, nous ne progressons même pas d’un rien du tout. Ce peuple manque d’organisation et de décisions. » Le livre aborde d’autre questions relatives au pouvoir, à la polygamie, et surtout à l’hypocrisie de la société dans laquelle nous vivons.
Née en 1987, Djènèba Fotigui Traoré, diplômée en Lettres modernes et Professeur à l’Institut de formation des maîtres de Koutiala, écrit joliment un récit à deux voix : celles de Binta et de la narratrice. Au fil des pages, apparaissent des anaphores qui donnent au texte des souffles poétiques.
L’orgueil du désert, Djèneba Fotigui Traoré, La Sahélienne, 110 pages
Source: journaldumali