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L’imbroglio Dadis

Fatou Bensouda, Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), vient très rarement à Conakry (elle devrait venir chaque année), mais bizarrement – après 3 années de léthargie – elle arrive en grandes pompes. Personne ne doute de cette coïncidence avec les évènements récents liés à l’alliance entre Moussa Dadis Camara et Cellou Dalein Diallo (CDD).

capitaine Moussa Dadis Camara ancien puschite junte militaire Guinéen

Après avoir rappelé sommairement l’état des relations entre la Guinée et la CPI – la Guinée étant partie au Statut de Rome depuis le 14 Juillet 2003 -, notamment sur le dossier du 28 Septembre, il conviendra d’essayer de voir les tenants et aboutissants de cette visite, qui vient à point nommé pour le pouvoir et qui a ouvert la boite de Pandore, tant les conséquences sont imprévisibles, l’une des premières aboutissant à l’inculpation de Dadis.

 

Rappel historique des relations Guinée/CPI

Le 14 Octobre 2009, Luis Moreno-Ocampo, Procureur de la CPI, confirme que la situation en Guinée fait l’objet d’un examen préliminaire, suite aux massacres survenus le 28 Septembre 2009, et compte tenu d’informations selon lesquelles des crimes relevant de la compétence de la CPI pourraient avoir été commis.

Le 21 Octobre 2009, le Ministre guinéen des affaires étrangères Alexandre Cécé Loua rend visite à La Haye à Fatou Bensouda, Procureure adjointe de la CPI. Il présente les mesures adoptées par les autorités guinéennes pour s’assurer qu’une enquête en bonne et due forme sera ouverte à propos des allégations de crimes. Il affirme que les instances judiciaires nationales sont disposées à exercer leur mandat et en mesure de le faire, ce qui exclut donc d’office la CPI dans ce dossier.

Le 19 Février 2010, à l’issue de sa première visite en Guinée, Fatou Bensouda indique que « en tant que Procureur adjoint de la CPI, je retire de cette visite, le sentiment que des crimes de l’ordre de crime contre l’humanité ont été commis ». Elle ajoute que « la Guinée peut aussi devenir un exemple. Si les Guinéens jugent les principaux responsables de ces crimes atroces, cela servira la paix et la réconciliation en Guinée ».

Le 24 Mai 2010, une autre mission se rendra encore à Conakry, et le 10 Novembre 2010, à l’issue de sa seconde visite en Guinée, Fatou Bensouda rappellera une nouvelle fois les principes ci-dessus évoqués.

Enfin le 19 Novembre 2010, une nouvelle déclaration de la CPI visait à prévenir les violences électorales avec la mort de 7 personnes depuis la proclamation des résultats et l’instauration de l’état d’urgence. Bref une année 2010 très remplie, où la Guinée faisait l’objet de toutes les attentions.

Avec l’élection d’Alpha Condé, quasiment le black-out

Y a t-il un lien entre l’élection d’Alpha Condé et le fait que la CPI s’est faite de plus en plus rare en Guinée ? La question mérite néanmoins d’être posée, car en dehors d’une visite de Fatou Bensouda les 5 et 6 Avril 2012 (toujours en tant qu’adjointe), plus rien.

À cette occasion, elle osa déclarer que l’enquête faisait des progrès significatifs avec l’inculpation d’une – une seule – personnalité de haut rang, et assurait qu’elle « veillerait personnellement à ce que l’instruction aboutisse dans un délai raisonnable à la tenue d’un procès d’assises ».

Il faudra néanmoins attendre une première visite à Conakry du 2 au 4 Juillet 2015, en tant que Procureure de la CPI cette fois – Luis Moreno Ocampo, son prédécesseur n’est jamais venu –, pour que Fatou Bensouda (venue pour la quatrième fois à titre personnel), semble s’intéresser sérieusement à la Guinée, même si le Bureau de la CPI a effectué 11 visites dans le pays.

 

La première visite de la Procureure de la CPI

La question a été posée à Fatou Bensouda, de savoir ce qui motivait sa visite en tant que Procureure de la CPI (elle a été nommée en Juin 2012), le journaliste voulait sans doute savoir, de manière subliminale, s’il existait un lien entre sa venue et le projet d’alliance entre l’UFDG et le FPDD de Dadis Camara.

Elle a précisé qu’elle avait été invitée par le Garde des Sceaux dès le mois d’Octobre 2014, précisant que « ce sont des questions de calendrier et de disponibilité qui ne m’ont pas permis d’honorer cette invitation auparavant. Mais c’est quelque chose qui était prévu…».

On rappelle que Cheick Sacko, nommé fin Janvier 2014 a donc mis plus de 9 mois – sans doute après le 5èmeanniversaire des massacres, ou la sortie scandaleuse d’Alpha Condé à Kassa (voir ci-après) – pour inviter la CPI. On ne peut donc pas dire que ce dossier ait constitué une priorité pour lui. Pourtant il a déclaré que « c’est une honte que la CPI soit là. On aurait pu éviter cela ». Étonnamment si la CPI est là, c’est quand même parce que Cheick Sacko l’a invitée, ou aurais-je mal compris ? sic…

De même c’est lui qui affirmait lors d’un entretien à Jeune Afrique le 20 Juin 2014, qu’il est avocat de formation, a pratiqué le pénal en France pendant 25 ans, et assurait que les lenteurs de la justice on les retrouve partout. Il indiquait surtout que « comparer les délais de procédures guinéens avec ceux qui existent dans la plupart des pays du nord, cela n’a d’ailleurs pas beaucoup de sens. Le plus important c’est que les choses avancent, même lentement ». Il n’a sans doute pas entendu parler des affaires du pseudo-attentat de Juillet 2011, des affaires de Womey, Saoro, Galakpaye et Diécké, qui ont eu lieu après les massacres du stade et qui ont pourtant été jugés en Guinée, preuve que la justice guinéenne peut être expéditive lorsqu’elle le veut.

En fait Fatou Bensouda ne pouvait pas confirmer un lien entre sa venue et les derniers évènements, ce qui serait apparu comme une collusion entre la CPI et le régime d’Alpha Condé, dont la dernière sortie à ce sujet, consistait à dire qu’il fallait laisser tomber cette affaire : « j’ai demandé aux blancs de laisser l’affaire du 28 Septembre parce qu’il y a eu celles de 1985, de 2006 et de 2007 et ils n’ont pas fait l’objet de poursuite », disait-il le 25 Octobre dernier à Kassa. Alpha Condé voulait donc qu’on enterre ce dossier, chacun ayant remarqué par ailleurs, que les crimes et assassinats de la première république ont été – comme d’habitude – occultés.

Au terme de sa mission de 2 jours en Guinée, Fatou Bensouda a finalement tenu une conférence de presse en compagnie du ministre de la Justice. Elle a indiqué qu’elle « est venue faire le point sur l’enquête judiciaire menée par les autorités guinéennes sur les crimes du 28 Septembre 2009, … mais aussi, s’informer de la possibilité de tenir un procès d’assises dans un délai raisonnable ». Chacun pourra constater qu’elle disait strictement la même chose 3 ans auparavant. Même pas honte…

Fatou Bensouda réaffirmera qu’elle a une absolue confiance aux juges dont le travail effectué jusqu’à présent le prouve. Sans doute faisait-elle allusion à la notion de présomption d’innocence et de culpabilité, si chère à Alpha Condé. Dans cette affaire, il y aurait 14 nouveaux inculpés, mais on ne sait plus s’il faut compter 14 nouveaux inculpés en plus des 8 précédents (ce qui ferait une vingtaine aujourd’hui), ou 14 depuis 2010, tellement les déclarations sont confuses et contradictoires, la non divulgation des noms de ces récentes inculpations ajoutant à l’opacité judiciaire. Est-ce parce que les Mathurin Bangoura, Mamadouba Toto Camara n’ont pas les patronymes attendus ou parce que les liens de ces nouveaux inculpés avec les massacres sont très éloignés ?

 

L’inculpation de Dadis seulement 5 ans après, même pas honte

Bilan du Garde des Sceaux

À l’issue de la visite de la Procureure, Cheick Sacko avait indiqué que Dadis serait prochainement auditionné, comme s’il ne l’avait pas été à 2 reprises1. De qui se moque t-on ?

À ceux qui ne sont pas au fait des procédures pénales, Cheick Sacko a rappelé l’indépendance de la justice guinéenne, et notamment le fait que « seul le pool de juges décide des personnes à auditionner ou à inculper, le cas échéant ». On rappelle que jusqu’au 8 Juillet 2015, Dadis Camara n’avait toujours pas été inculpé, soit :

  • parce que les magistrats n’avaient rien contre lui (ce qui paraît peu probable), l’inculpation étant délivrée aux personnes contre lesquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteurs ou complices, à la commission d’une infraction… Pour un témoin assisté – ancien statut de Dadis – les éléments à charge sont moins lourds que pour un inculpé.
  • parce qu’il n’était pas question, pour des raisons électorales et sécuritaires, d’inculper Dadis – lui qui ne représente rien paraît-il (selon les RPGistes) -, avant les élections.

Dadis finalement inculpé

Il n’a pas perdu de temps le Ministre de la Justice, car dès le 6 Juillet (2 jours après le départ de Fatou Bensouda), 3 magistrats débarquent à Ouagadougou pour interroger une troisième fois Dadis et finalement l’inculper. Il faut croire que la justice guinéenne a les moyens… On l’ignorait d’autant qu’on se rappelle les reports des procès en forêt, pour cause de budget !!!

Sur le papier, cela ne choque personne que Dadis soit inculpé. En revanche, on a du mal à comprendre pourquoi il a fallu attendre tout ce temps pour le faire. Chacun aura compris qu’être présumé responsable des massacres ne posait pas de problème à Alpha Condé, qui voulait même enterrer le dossier, mais faire alliance avec CDD est le crime le plus absolu, d’où ces gesticulations, qui traduisent la fébrilité du pouvoir.

Que s’est-il passé comme élément nouveau depuis les interrogatoires de Février 2014 (et non depuis Septembre 2009) qui aient pu modifier son statut de témoin assisté à inculpé ?

Sur la base du Traité de la CPI

À entendre les divers comptes-rendus, les magistrats ont évoqué l’article 28 du statut de Rome, qui évoque la responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques, afin de l’inculper de complicité d’assassinats, de séquestrations, de viols, de coups et blessures contre les manifestants du 28 Septembre.

Évidemment chacun imagine bien que cette justification existe depuis l’origine – l’ONU l’avait évoqué dès Décembre 20092 – et que si Alpha Condé ne l’a pas mise en œuvre, c’est pour des raisons qu’il devrait expliquer clairement, car sa volonté actuelle de mettre Dadis hors d’état de nuire est évidente. Je suis particulièrement étonné de voir que tout le monde félicite l’inculpation de Dadis, mais rares sont les personnes qui rappellent qu’elle est bien tardive. Même au sein de la FIDH, on trouve un courant qui regrette l’inculpation très tardive de Dadis, cependant que d’autres estiment que « c’est Dadis lui-même qui, en se déclarant (candidat à la présidentielle), a inséré de la politique dans ce dossier, en tentant de monnayer sa candidature contre son impunité ». Doit-on comprendre que s’il était resté tranquille, il bénéficierait d’une impunité ? La déclaration est suffisamment ambiguë, qu’elle mérite des explications. Sans doute fait-on allusion à un accord exil/impunité, ce qui montre bien que la résolution du dossier du 28 Septembre n’est pas une priorité pour ce régime, pourtant pas concerné directement.

Alpha Condé pourra toujours essayer de faire croire que cette inculpation est celle de Fatou Bensouda, mais cet écran de fumée – la visite de cette dernière à Conakry – ne vise qu’à camoufler sa propre décision d’inculper Dadis, non pas pour sa responsabilité présumée dans les crimes du 28 Septembre, mais pour un crime beaucoup plus grave, son alliance avec CDD. Mais personne n’est dupe, car la CPI n’est toujours pas en charge du dossier. En outre Dadis étant inculpé pour complicité, cela signifie qu’il n’est pas l’auteur principal. C’est surprenant eu égard à l’histoire officielle jusqu’à présent distillée par le pouvoir. Ceci étant, il est fort probable que ce soit la France qui ait poussé Fatou Bensouda à faire du tourisme à Conakry !!!

Les conséquences de l’inculpation

En droit, juste sur cet aspect ponctuel, comment prouver que Dadis qui a demandé au patron des bérets rouges Toumba de protéger CDD par exemple, peut-il être responsable de ceux-ci, dont l’un a quand même tiré sur CDD ? Qui est responsable de ce dernier ? Dadis ou Toumba ? N’étant pas au stade et n’ayant pas l’habitude d’écrire ses ordres, il est donc difficile d’accuser Dadis directement, mais simplement de complice. Mais s’il n’est que complice, cela signifie que l’auteur principal est ailleurs. Serait-ce Toumba Diakité alors ? Mais pour quelle raison ? Parce qu’il agissait sous les ordres de Dadis ? Mais dans ce cas, pourquoi inculper Dadis en tant que complice et non comme auteur principal ? Et dans ce cas, pourquoi Toumba a toujours affirmé que Dadis l’avait envoyé pour protéger les leaders ? Il ne s’agit pas de faire le procès ici de cette affaire, mais ceux qui voudraient nous faire croire qu’il ne faut se limiter qu’aux apparences, ne doivent pas oublier que les faits et le droit ne font pas toujours bon ménage. En outre comment présenter la tentative de meurtre de Toumba sur Dadis comme un évènement isolé, alors que cela ne blanchirait pas Toumba de ses propres crimes ?

Le chemin est encore long, et si tout ce beau monde se retrouvait à Conakry – Dadis, mais aussi Toumba, Sékouba Konaté, Moussa Keita -, nul doute que cela pourrait déboucher sur des surprises dont le pouvoir ne veut absolument pas en ce moment, d’où sa volonté d’intimider à tout prix, de faire bois de mille feux pour reporter après les élections, tout ce « foutoir ».

Car dans l’immédiat cette inculpation n’a aucune conséquence sur la carrière politique éventuelle de Dadis (ça ne l’empêche toujours pas de se présenter à l’élection présidentielle par exemple), mais en revanche lui permet d’accéder au dossier, c’est-à-dire de pouvoir examiner ce qu’on lui reproche. On sait que sous le pouvoir d’Alpha Condé les griefs sont souvent fantaisistes (consommation de chanvre indien, désertion et violation des consignes…).

Entre la liberté complète – avec un statut de présumés innocents, tels Claude Pivi et Tiegboro Camara, dont ils n’ont pas à se plaindre pour l’instant -, le contrôle judiciaire (pour limiter ses déplacements, voire ses activités) et la détention provisoire, le choix est large. Néanmoins, il ne faut pas oublier la « jurisprudence Alpha Condé », c’est-à-dire sa relecture des textes, aboutissant à considérer Dadis comme un présumé coupable – à l’image de Nouhou Thiam et de ses compères3 – pour conclure que le retour de Dadis ne serait pas de tout repos.

Tentative d’explications

De la visite de la Procureure

Tout le monde sait bien qu’Alpha Condé est passé par la petite porte pour accéder à la présidence et qu’il ne doit son salut qu’au soutien des militaires. Or agir contre ces militaires, c’était risquer de déstabiliser un régime, qui se serait écroulé comme un château de cartes. On a donc tiré sur la corde en allongeant les délais d’instruction4, pour nous endormir. Une telle action judiciaire aurait définitivement dissuadé les hauts responsables de l’État, de la police et de l’armée guinéennes, d’utiliser les armes à feu pour le maintien d’Alpha Condé au pouvoir contre la volonté de la majorité des Guinéens. La communauté internationale est davantage sensible à la stabilité du régime qu’à la justice pour ces 60 morts.

Aujourd’hui il ressort de la visite de Fatou Bensouda que son message anesthésiant est le suivant : « la CPI ne dort pas, on est avec vous, surtout pas de violences, un procès aura lieu sans doute, mais rien n’est sûr – en Décembre[sous-entendu après les élections], voire au début de 2016 [selon le Garde des Sceaux] ». CQFD. Chacun aura noté non seulement qu’elle ne détaille pas le contenu des violences, mais en outre qu’elle outrepasse ses pouvoirs, car la CPI n’est compétente qu’à l’égard des crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide et crimes d’agression5 pouvant être commis sur le territoire de la Guinée ou par ses ressortissants, y compris les meurtres de civils et des violences sexuelles. Comment imaginer que des militants puissent commettre de tels crimes ???

D’ailleurs ne dit-elle pas que « le deuxième objectif [de sa visite] est que la CPI a une mission préventive. Nous interpellons tous les acteurs politiques à responsabiliser leurs militants à la base ». Quelle honte !!! Elle l’a donc dit, dans son esprit, il ne peut s’agir que des violences de la population (et notamment des militants de l’opposition), et non celle des gendarmes et policiers pourtant autorisés par une loi à tirer sur les citoyens. Comment peut-on « cibler » un parti politique – personne n’est dupe -, alors que le mandat de la CPI est de juger des individus ?

Si certains en doutaient, le résumé de quelques-unes de ses interventions en dit plus long que des discours. Elle est venue sur ordre (vraisemblablement la France socialiste qui soutient ce régime, choquée par la candidature et l’alliance de Dadis, voire des États-Unis, qui considèrent que la venue de ce dernier en Guinée, pourrait occasionner des tensions difficilement maîtrisables) et son objectif est d’essayer de nous endormir jusqu’aux élections (pas de Dadis en Guinée avant les élections).

De la fébrilité du pouvoir

J’ai écrit 3 textes récemment sur l’alliance entre l’UFDG et le FPDD, mais au vu des contresens parfois entrevus, il convient de rappeler très succinctement l’essentiel de ce qui y était dit.

Face à l’alliance entre Dadis et CDD, Alpha Condé a flairé le danger (voir ci-après). Il a donc mis en branle sa machine propagandiste pour pointer l’immoralité de cette alliance, comme s’il était le mieux placé pour le faire.

J’ai donc rappelé qu’Alpha Condé est le dernier à pouvoir invoquer la morale en politique, lui le disciple de Machiavel, qui protège des criminels potentiels (toutes les personnes inculpées dans le cadre du 28 Septembre), mais en réprime d’autres pour des motifs fallacieux, voire pour des délits dont la peine n’excède pas 6 mois.

J’ai examiné le projet d’alliance en tant que tel, d’un point de vue juridique, pour n’y découvrir aucune violation légale. Dadis est un citoyen libre, et il l’est d’autant plus qu’il a été autorisé à intégrer et à devenir le président d’un parti politique, tout en sachant qu’il pourrait se présenter à l’élection présidentielle. Évidemment c’est le gouvernement d’Alpha Condé qui l’a autorisé, et s’il en est ainsi, ce n’est que de la seule responsabilité d’Alpha Condé qui n’a pas voulu inculper Dadis précédemment, alors que ce dernier est « officiellement » en convalescence depuis 5 ans. Involontairement CDD est pour ainsi dire allé au bout de la logique d’Alpha Condé pour mettre ce dernier face à ses contradictions.

Que craint Alpha Condé ?

Même si les RPGistes tentent de minimiser le poids réel de Dadis, le limitant à une majorité (donc pas la totalité) des 5% de guerzés, c’est oublier d’une part que le vote est communautaire, et que la communauté forestière dans son ensemble, a retrouvé sa fierté avec l’avènement de Dadis en 2008, puisque certains les considèrent comme des sous-hommes.

En outre la communauté forestière est très présente dans les forces de sécurité, (police et gendarmerie) et l’armée. Certains ont été intégrés à l’armée, et les paranos du régime actuel estiment sans doute qu’ils ne sont pas fiables. D’autres jeunes forestiers, pourtant recrutés par Dadis, ont été écartés et en ressentent sans doute une frustration, qui peut rejaillir à l’occasion d’échéances électorales. La vérité d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui. La réponse n’est donc pas simple de savoir comment se comportera la communauté forestière, mais en tous cas suffisamment dérangeante pour jeter le trouble dans l’esprit du pouvoir, or l’imprévisibilité est ce qu’il y a de pire pour un régime, quel qu’il soit.

Par ailleurs, il est bon de rappeler que les manifestants du 28 Septembre refusaient la candidature de Dadis Camara eu égard à sa promesse de ne pas se présenter, et non Dadis en tant que représentant d’une communauté à proscrire. Aujourd’hui tout le monde voit que ce sont les RPGistes qui rejettent les autres, car il faut être RPGiste (se soumettre) ou rien du tout (se démettre) pour avoir voix au chapitre.

De même, si l’article 28 du statut de Rome permet certes d’inculper Dadis (comme complice), il pourra s’étendre à Sékouba Konaté6 pour les mêmes raisons, et pour Alpha Condé lui-même en tant qu’actuel Ministre de la Défense. L’effet boomerang est en marche…

Enfin, les victimes risquent maintenant de harceler l’État guinéen (aujourd’hui incarné par Alpha Condé), pour obtenir réparation sur le plan civil. On s’étonne que les juristes guinéens n’aient pas engagé des actions sur ce plan. L’État a peut être indemnisé 4 individus dans des conditions très particulières (voir Jean-Marie Doré), mais en fait ce sont toutes les victimes qui doivent être indemnisées par l’État et au lieu de stigmatiser une seule des 4 personnes qui le sont déjà, les citoyens devraient demander des comptes à l’État, car c’est lui qui doit indemniser les autres victimes.

Quid de Dadis ?

Dans l’immédiat, Dadis est inculpé. Tout le monde (le pouvoir comme la communauté internationale) va tenter de le dissuader de rentrer au pays. Car s’il rentre, Alpha Condé n’aura que 2 choix, soit le mettre en détention préventive (présumé coupable comme Nouhou Thiam), mais nombreuses seront les personnes qui ne comprendront pas le traitement différent réservé à ses ex-collaborateurs (Pivi et Tiegboro), soit l’exfiltrer vers la CPI par un tour de passe-passe, dont la visite de Fatou Bensouda avait pour objectif principal d’en étudier les modalités, mais là encore personne ne comprendrait cette démarche. On a donc du mal à imaginer qu’Alpha Condé laisse Dadis faire sa campagne électorale en forêt sans réagir. Les risques sont donc grands pour Dadis de rentrer en Guinée.

Toutefois, si Dadis ne rentre pas, son avenir sera reporté après les élections et son sort n’intéressera plus personne, son chemin étant alors balisé vers la CPI, sa présence à Conakry n’étant souhaitée ni par le pouvoir, ni par la communauté internationale (à l’image d’un Gbagbo). La balle est donc dans le camp de Dadis, même si le risque est grand d’y laisser des plumes. Sans doute lui fait-on croire que Toumba est toujours dans les parages et que cette fois-ci il ne ratera pas son coup. Ce qui fait penser qu’Alpha Condé et la France instrumentalisent sans doute ce dernier. D’ailleurs certains sites proches du pouvoir s’obstinent à demander à Dadis de ne pas rentrer dans son pays ??? pour ne pas déranger Alpha Condé.

Dadis est imprévisible et c’est bien là le problème pour Alpha Condé qui se voyait reconduit pour un second mandat dès le premier tour. Rien n’est perdu encore pour sa fraude à venir, mais à condition que le grain de sable n’enraye pas la machine…

Pourtant ce n’est ni à Alpha Condé seul, encore moins à la communauté internationale de décider du sort des Guinéens en général, de la Guinée en particulier. Lorsqu’on veut mettre sous le boisseau un dossier qui a défrayé la chronique en son temps, on risque de récolter ce que l’on a semé. Si la Guinée veut avancer, il est temps de mettre à plat les nombreuses zones d’ombre et les non-dits, qui pourrissent les relations sociales. Ce serait ça le vrai changement.

 

 

Gandhi, citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).

 

1 Dadis a déjà été entendu auparavant, une fois par des juges burkinabés et une fois par des juges guinéens. Il n’y avait pas eu d’inculpation à ce moment.

2 Une commission rogatoire internationale avait été émise par les juges en charge de l’affaire en 2011, afin qu’il soit entendu en qualité de témoin par les autorités judiciaires du Burkina Faso. Cette audition avait finalement eu lieu en 2013.

3 Colonel Sadou Diallo, les lieutenants Kémo Condé et Mohamed Condé, et l’adjudant Mohamed Kaba.

4 Un délai normal est de 2 ans, même si on peut le prolonger de 6 mois en 6 mois en en motivant expressément les raisons.

5 La répression de Womey rentre dans ce cadre par exemple.

6 Dans le rapport d’ICG (International Crisis Group) du 26 Octobre 2009 (pages 7 et 8), il est rappelé que c’est Sékouba Konaté qui a recruté les fameuses milices libériennes au sein des bérets rouges, milices vraisemblablement responsables des viols du 28 Septembre. Ces milices étaient-elles sous la responsabilité de Dadis (garde présidentielle) ou du Ministre de la Défense d’alors ?

 

Source: guinee58

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