Le continent est placé haut dans l’agenda européen. Mais la mise en place d’un nouveau partenariat se heurte à certaines méfiances et malentendus explique Marie de Vergès dans sa chronique.
Chronique. L’une, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, appelle à bâtir avec l’Afrique « un partenariat entre égaux ». L’autre, Charles Michel, président du Conseil européen, dit vouloir « coécrire les nouvelles pages d’un avenir commun optimiste et positif ». Formules creuses de la part des nouveaux dirigeants de l’Union européenne (UE) ? Le doute est permis, tant ces grands serments sont brandis à intervalles réguliers pour évoquer la relation euro-africaine, sans que personne n’y accorde véritablement du crédit.
Pourtant, quelque chose est peut-être en train de changer. Il n’est pas anodin qu’Ursula von der Leyen comme Charles Michel aient réservé à l’Afrique leur premier voyage hors des frontières de l’Europe. L’une (en décembre 2019) et l’autre (début février) ont mis le cap sur Addis-Abeba, capitale de l’Ethiopie et siège de l’Union africaine. Un signal fort.
La peur des migrations
« Par rapport à il y a dix ans, l’Afrique est beaucoup plus haut dans l’agenda européen, confie un diplomate français à Bruxelles. Avant, seuls quelques pays s’en préoccupaient tandis qu’aujourd’hui, presque tous s’y intéressent – pour de bonnes ou de mauvaises raisons. » Parmi ces dernières figure la peur des migrations. Une inquiétude démultipliée en Europe par l’explosion démographique à l’œuvre sur le continent africain, où la population devrait doubler d’ici à 2050, pour atteindre plus de 2 milliards d’habitants.
Mais un autre ressort de cet intérêt est plus enthousiaste : l’Afrique, avec ses taux de croissance élevés, est un marché potentiel que l’on ne peut plus ignorer. La preuve, le continent est aujourd’hui courtisé de tous les côtés. Par les Chinois, bien sûr, mais aussi par les Turcs, les Indiens ou les pays du Golfe. Sans oublier les Britanniques qui, en janvier, en plein divorce avec l’UE, ont convié à Londres tout un aréopage de dirigeants africains pour parler business.
Dans cette course aux parts de marchés, l’Europe n’est pas la plus mal placée. Elle est le principal investisseur en Afrique et son premier partenaire commercial. Elle est aussi un pourvoyeur d’aide considérable, avec près de 20 milliards d’euros par an consacré par l’UE et ses Etats membres à divers programmes de développement.
L’activisme chinois
Mais il y a un paradoxe. Cette présence peine à imprimer face à l’activisme chinois, qui promet de dupliquer en Afrique les recettes de son décollage, en investissant massivement dans les infrastructures. L’Europe s’agace de voir la Chine présentée comme l’interlocuteur phare, quand le géant asiatique ne fait presque rien dans le domaine de la paix et la sécurité ni dans celui de l’humanitaire. Et si Pékin se drape dans sa politique de non-ingérence, grince-t-on dans les capitales européennes, c’est pour pousser ses pions sans avoir à se soucier de bonne gouvernance.
Le passé colonial continue de peser, même si 21 pays sur les 27 composant l’UE n’ont jamais eu de colonies
En face, l’Europe est suspectée de pratiquer la charité pour défendre ses intérêts. D’être avant tout mue par son désir de freiner les flux migratoires. D’agir vis-à-vis de l’Afrique selon un schéma paternaliste et sans réelle ambition politique. Le passé colonial continue de peser, même si 21 pays sur les 27 composant l’UE n’ont jamais eu de colonies.
Un « reset » est possible et le contexte s’y prête. L’accord de Cotonou, qui régit depuis 2000 la coopération entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), est censé expirer en février. Sa révision peut être l’occasion d’un nouveau départ. Pour l’heure, toutefois, les négociations avancent à pas de tortue, et les mécontents sont les plus audibles.
Certaines voix au sein de l’Union africaine se plaignent ainsi d’un cadre ACP jugé obsolète. Elles réclament de voir l’Afrique traitée toute seule et tout entière – alors que cet accord n’intègre pas le Maghreb et traite séparément l’Afrique du Sud. La balle est désormais dans le camp de l’Union européenne. Il lui incombe de faire la pédagogie de son projet. Pour désamorcer les critiques et, surtout, démontrer comment elle entend donner corps à ce partenariat d’« égal à égal » avec un continent voisin dont le destin lui est irrémédiablement lié.