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Lettre de Cheick Oumar Sissoko:

  1. le ministre, j’ai lu avec intérêt votre excellente contribution dans le journal L’Inter de Bamako, No720 du 17 février 2020. J’ai le plaisir de vous apporter certaines mises au point car pour la manifestation de la vérité, un grand intellectuel comme vous, ne doit rien escamoter pour le peuple malien. Vous avez dit dans ce passage: «…En fait, nous récoltons ce que nous avons semé, depuis 1968. La France a œuvré à l’instauration de régimes à sa dévotion: 1968 Charles de Gaulle et Jacques Foccart; 1992 François Mitterrand; 2013 François Hollande».

Après 1968, au lieu de venir directement à l’année 1992 qui consacre l’élection du président Alpha Oumar Konaré, il faut parler de mars 1991, où le Mouvement démocratique né en 1990 après le sommet franco-africain de La Baule de François Mitterrand, le 20 juin 1990, a eu à renverser le putschiste Moussa Traoré.

Vous êtes un grand intellectuel, cinéaste de formation et vous avez été un grand acteur du Mouvement démocratique de 1990-91. C’est vous qui avez visionné les images qui étaient sur tous les écrans des médias occidentaux. C’est la France de M. François Mitterrand à travers l’ONG France Liberté de la Fondation Danielle Mitterrand qui avait financé le Mouvement démocratique qui a renversé le régime CMLN-UDPM, le 26 mars 1991.

Moussa Traoré avait même parlé de cela au procès contre lui et son régime au palais de la Culture, en 1992-93 et personne ne l’avait démenti quand il disait qu’il avait les renseignements transmis par la sécurité d’État et qui étaient déposés sur son bureau au palais de Koulouba.

Monsieur le ministre, c’est la France de François Mitterrand qui a installé au pouvoir les démocrates, en 1992, dont leur chef de file était M. le professeur Alpha Oumar Konaré, ancien ministre de Moussa Traoré. Le chef des opérations militaires est le commandant de la garde présidentielle de Moussa Traoré, j’ai nommé le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (ATT). Les deux (02) hommes (Konaré et Touré) sont tous des produits du coup d’État du 19 novembre 1968. Le militaire ATT a été engagé dans l’armée malienne, en novembre 1969 et le professeur Konaré est rentré dans le gouvernement de Moussa Traoré, en 1978.

Vous avez sauté une étape qui est celle de l’année 2002 qui a été l’avènement du général-président ATT à la présidence du Mali à partir d’un pronunciamiento électoral sous le mandat du président français, M. Jacques Chirac. Il y a aussi l’étape de la transition de 2012 -2013, où un autre membre du Mouvement démocratique en la personne du professeur Dioncounda Traoré a été imposé aux Maliens par nos maîtres français sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy concepteur de la rébellion touareg de 2011-12 à travers ses commis de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

  1. le ministre, pour clore ce premier point, nous disons que 1968 est la suite logique de 1990, 1991, 1992, 2002, 2012-2013, 2013 et 2018. Sur ce point, je note encore que le plus grand crime des démocrates de 1990 – 91 a été de s’associer aux colonialistes français pour renverser le putschiste de 1968, Moussa Traoré que le président Charles De Gaulle et son conseiller Jacques Foccart avaient aidé pour s’emparer du pouvoir. Je vous rappelle l’histoire du docteur Charles Diané de la Guinée, un opposant guinéen des années 1970 qui a été condamné à mort par contumace après les événements de novembre 1970 à Conakry.

En mars 1985, il a été interviewé par la radio Africa N°1 et cette question lui a été posée: «Comment vous partez- vous associer avec le colonialisme portugais le plus acerbe du monde occidental pour renverser le président Sékou Touré ?» Réponse du docteur Diané: «Pour renverser Sékou Touré, même s’il faut s’associer avec le diable, il faut le faire et après on va voir…»

Il y a une autre anecdote du président John Jerry Rawlings: «Si vous êtes dans un puits et qu’il y a quelqu’un au bord du puits qui vous tend une corde pour sortir et cette personne va tuer dès votre sortie, qu’est-ce que vous allez faire ? Rester mourir dans le puits ou sortir et lutter contre celui qui veut vous tuer ? Moi, je prends la corde tendue et je vais me battre une fois sorti.»

  1. le ministre, les démocrates de 1990-91 n’ont pas pu se battre contre leurs mentors français. Ils sont comme l’esclave et son maître. Les politiciens français se sont imposés, depuis novembre 1968 jusqu’à nos jours. Ils ont leurs petits commis parmi nous qui ne réfléchissent pas mais qui exécutent les ordres de leurs maîtres.

Revenons au point suivant: «En 2014 et 2015, nous commettons l’erreur de donner notre confiance à l’Algérie et à la France pour nous pondre l’accord d’Alger qui est une corde à nœud à notre cou. La France, toujours elle, nous fait amnistier et libérer des criminels de guerre, en fait leurs protégés et figures de proue de leur complot».

Mais avant 2014 et 2015, il y a le premier accord sous la médiation algérienne signé entre le Mali et les groupes armés touaregs. C’est l’accord de Tamanrasset du 6 janvier 1991. La délégation malienne était dirigée par le chef d’État-major général des Armées, le colonel Ousmane Coulibaly et celui des groupes armés par Iyad Ag Ghaly. C’est cet accord qui a consacré à la démilitarisation des régions dans le Nord du Mali: Kidal, Gao et Tombouctou. Je pense que l’Algérie n’a rien à imposer au Mali si nous sommes des hommes «débout». Mais quand on signe des accords étant à terre, nous sommes obligés d’accepter.

Pendant la première rébellion de 1964, le président Modibo Keïta, avec son parti et son gouvernement, n’avait eu aucun problème avec leurs amis du Front de libération nationale (FLN) qu’il avait aidé durant la guerre de libération de leur pays, l’Algérie. Ce que les gens doivent comprendre, il y a les États et les hommes qui se trouvent à la tête de ces Etats. C’est aux Maliens de travailler pour leur pays et de garder leur maison: le Mali.

En 1992, des amis et moi ont eu l’occasion de causer avec certains leaders de l’Union soudanaise- Rassemblement démocratique africain (US-RDA) qui ne sont plus de ce monde (paix à leurs âmes) et qui nous avaient dit que la rébellion de 1963- 64 était aidée par le colonel Mohamed Chaabani, commandant de la Wilaya Sud de l’Algérie. Ce colonel est rentré en dissidence contre le pouvoir algérien dirigé par Ahmed Ben Bella. Il sera arrêté, le 8 juillet 1964, jugé, le 2 septembre 1964, condamné à mort pour haute trahison et fusillé, le 3 septembre 1964.

  1. le ministre, tous ces accords: Pacte national, Accord d’Alger de juillet 2006, Accord d’Alger de 2015, ont été accouchés par l’accord de Tamanrasset du 6 janvier 1991. C’est pour vous dire aussi que le Mali est tombé, depuis le 19 novembre 1968 et ce sont les domestiques français qui le gèrent.

Passons au troisième point: «Du reste, et c’est un secret de Polichinelle aujourd’hui que, dans l’Avenant secret imposé par les rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) au gouvernement malien comme condition de sa participation à la signature à Bamako, le 20 juin 2015 de l’Accord de paix d’Alger, figurent, entre autres, les exigences suivantes:

– «Les Forces de défenses et de sécurité (FDS) à l’intérieur de l’Azawad seront composées à 80% de ressortissants de l’Azawad ainsi qu’au niveau des postes de commandement»;

– “Pendant la période intérimaire, mettre en place des unités spéciales mixtes comprenant 80% de ressortissants de l’Azawad»;

– «Les zones de défense et de sécurité seront sous le commandement d’un ressortissant de l’Azawad»»

Quand le président Ibrahim Boubacar Kéita est arrivé au pouvoir, en septembre 2013, son gouvernement avait lancé une poursuite de haute trahison contre l’ancien président ATT. Qu’est-ce qui est plus grave que cet acte qu’il vient d’imposer au peuple malien et qui n’a pas été informé ? «Lorsqu’une zone d’ombre échappe au regard du peuple, il n’y a pas de République» (François Mitterrand).

Le président IBK est l’homme qui renie ses propres propos. C’est lui qui a critiqué l’accord d’Alger de juillet 2006.Il avait demandé à ce que la loi militaire soit appliquée aux militaires rentrés en rébellion contre la République du Mali. C’est lui qui avait lancé en marge des travaux sur l’accord d’Alger de 2015, cette diatribe à la médiation algérienne «Ne faites pas chez moi ce que vous n’acceptez pas chez vous». Et pourtant avec l’accord d’Alger de 2015, tous les déserteurs de l’armée sont revenus sans l’accord des autorités militaires de la transition dont le général Yamoussa Camara, ministre de la Défense. M. le ministre, c’est le président IBK qui a choisi l’Algérie contre l’avis de la France et de la CEDEAO.

Je vous rappelle encore les efforts fournis par le gouvernement algérien sous ATT, sous la transition du président Dioncounda Traoré et son Premier ministre de plein pouvoir, Dr Cheick Modibo Diarra, pour neutraliser les terroristes installés dans le Nord du Mali. L’Algérie n’a pas eu l’aval d’ATT, ni de Dioncounda et son Premier ministre Dr Diarra. Dioncounda a séjourné plusieurs mois à Paris en traitement et en préparation de son plan machiavélique de Konna 2013 et qu’est-ce que Cheick Modibo Diarra est parti raconter au Maroc lors de sa visite officielle ? M. le ministre, rappelez-vous des rapports entre le Royaume chérifien et Bilal Ag Cherif, président du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et l’aide financière apportée à cet homme par le roi Mohamed VI.

En 1963-64, les amis du président Modibo Keïta qui sont le roi Mohamed V et le président Ahmed Ben Bella avaient remis les têtes de la rébellion qui étaient baséés sur leurs sols respectifs.

En 1963-64, il n’y avait que les réfugiés maliens sur le sol algérien. C’est le dernier trimestre 1980 que le colonel Mouammar Kadhafi a lancé un appel aux Touareg du Mali et du Niger pour venir chez lui en Libye parce qu’il considère «qu’ils sont séquestrés dans ces deux pays-là». Voici les vrais termes du guide libyen. Iyad Ag Ghaly et ses amis sont venus de la Libye pour attaquer le Mali par Ménaka, en juin 1990. Ils pouvaient passer de la Libye au Mali sans passer par l’Algérie.

Pour l’argent, le président Alpha Oumar Konaré et son successeur, le général Amadou Toumani Touré, ont tous fait allégeance à Kadhafi. ATT est parti jusqu’à ouvrir un consulat de la Libye à Kidal. M. le ministre, il fallait seulement se limiter à votre citation qui est une vérité claire: «Nos responsabilités sont grandes. Il nous faut reconnaître nos déviations, erreurs et autres trahisons qui ont plongé notre pays et le Sahel dans la Merdre totale».

  1. le ministre, je ne défends nullement l’Algérie mais je donne mon point de vue. En 2012, avec l’occupation du Nord, l’Algérie a perdu même ses diplomates du consulat de Gao, enlevés par le Mouvement pour l’unicité et le jiha en Afrique de l’Ouest ( MUJAO) et elle n’a jamais négocié avec les preneurs d’otage. C’est le contraire du général-président ATT. M. le ministre, à travers le Nord du Mali, l’Algérie est visée et le gouvernement algérien en sait quelque chose plus que nous tous.
  2. le ministre vous avez dit «Kidal est le centre de toutes les tragédies que connaissent le Burkina Faso, le Mali et le Niger». Mais, un pays comme le Burkina Faso, à travers les actions de son ancien président, capitaine Blaise Compaoré, a participé à la propre tragédie de son pays, le Burkina Faso, en aidant et en logeant les groupes armés touaregs contre le Mali.

Pendant plus de deux (02) décennies, Blaise Compaoré a été en service commandé pour l’impérialisme occidental en Afrique de l’Ouest. Le Burkina Faso est l’arroseur arrosé. Depuis 1990 jusqu’à la chute de Blaise Compaoré, aucun officiel malien n’a eu à critiquer officiellement l’attitude du gouvernement burkinabé à l’égard du peuple malien. «Celui qui sème le vent, récoltera la tempête», dit le proverbe.

L’Ambassadeur Nicolas Normand dont vous parlez n’est rien qu’un fils de colonialiste à la retraite, en fin de mission et qui cherche quelque chose à mettre sous la dent. Quand il était en poste ici au Mali, il a discerné une médaille à l’actuel ministre du Dialogue social, du Travail et de la Fonction publique du président IBK, M. Oumar Hamadoun Dicko, en lui disant que: «C’est nuitamment qu’ils sont venus chercher son père pour aller l’exécuter». Ce n’est pas le rôle d’un diplomate dans un pays étranger à moins que ce ne soit un État non solvable comme disait le roi Hassan II en parlant du Mali, en 1980, qui venait de reconnaître la République arabe sahraoui démocratique et populaire. Mais cet ambassadeur a oublié les crimes coloniaux français en Afrique et dans le monde. Les crimes de la mission Voulet-Chanoine de 1898-1899 sont une goutte d’eau dans la mare.

  1. le ministre, vous avez parlé d’un point essentiel dans votre lettre au peuple malien: «le désarmement des groupes armés». L’actuel Désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) n’est rien d’autre que de la poudre aux yeux. Les vrais rebelles sont dans la nature avec leurs armes. Est-ce que la CMA a rendu ses armes lourdes comme stipule l’accord d’Alger ? Ceux qui avaient crié au massacre de leur communauté, en 1963-64, sont encore au-devant de la scène avec les horreurs quotidiennes dans le nord et dans le centre du Mali. Ils porteront cette responsabilité devant Allah.
  2. le ministre, il faut lutter absolument contre la corruption et que les Maliens dans leur ensemble apprennent à vivre avec leurs moyens licites. Pour lutter contre la corruption, on n’a pas besoin de moyens miracles. Il est très facile de contrôler tous les moyens et le patrimoine immobilier du Mali pour connaître les vrais propriétaires. Je ne vois pas un homme politique élu par les urnes capable de lutter contre la corruption au pouvoir.

Un homme élu avec l’aide de toute une mafia ne pourra jamais combattre cette mafia. N’importe qui au Mali ne peut être le président Modibo Keïta et son camarade de lutte feu Gabou Diawara. Les Maliens ont en mémoire l’opération Taxi à Bamako. Le véhicule de transport d’un membre du Comité militaire de libération nationale (CMLN) a été saisi. Il est parti dans sa tombe avec la haine du régime du président Modibo Keïta.

Vous avez dit: «Faire la mise en demeure à la France, aux Nations Unies, au Qatar, à la Mauritanie et à l’Algérie devenue amnésique, d’arrêter leurs jeux de soutien aux rebelles qui font corps avec Iyad Ag Ghali, et ils le savent». Cela revient au premier responsable à la tête du Mali qui a été plébiscité, en 2013 et en 2018, l’homme qui croit à ses amis français et mauritaniens que les Maliens qui l’ont élu. L’homme qui préfère être applaudi à l’étranger que dans son pays. Je lui rappelle la rencontre entre le Général De Gaulle et le leader nigérien du Sawaba, M. Bakary Djibo, président du gouvernement semi-autonome du Niger à la veille du referendum du 28 septembre 1958.

Voici les propos du général à M. Bakary DJIBO: «… Monsieur le Président, vous êtes le plus jeune et le plus valable (sic) de vos homologues de la région. Ne pensez-vous, lorsque dans les forums internationaux, vous prendrez la parole —-et cela je vous le garantis—- au nom des 100.000.000 d’hommes et de femmes de notre communauté, vos discours auront autrement plus d’impact, que lorsque vous parlez au nom de 3.000.000 de Nigériens ?

– Peut-être bien, Monsieur le Président, lui répondions-nous, mais ce sera toujours aux 3.000.000 de Nigériens que nous devrions d’être ce que nous somme».

Au président IBK, M. Bakary Djibo a choisi le Niger devant la communauté française.

  1. le ministre, la meilleure légitimité pour un leader, c’est la légitimité intérieure.

En 1990-91, il fallait engager un combat contre Moussa Traoré sans une intervention extérieure et surtout l’aide de l’ancienne puissance étrangère qui avait des visées sur le Sahara africain à travers son projet de l’OCRS de 1957.

Les Maliens sont ceux qui aiment une chose et son contraire. En 2012, nous avons eu un homme qui n’avait aucune dette sur lui, le capitaine Amadou Haya Sanogo devenu général qui voulait être notre De Gaulle selon ses propres termes, mais il a rejoint le camp des ténèbres. Je l’ai vu sourire le jour de sa libération mais pour moi, il doit se cacher. N’importe qui ne peut pas devenir le capitaine John Jerry Rawlings de 1979 et le 31 décembre 1981, un officier de poigne, courageux qui a dit des citations immémoriales: «Quand on a vécu toute sa vie à côté d’une poubelle, on finit par ne plus sentir son odeur, le cerveau ne la détecte plus. En effet, il normalise la puanteur. Le même principe est valable quand on a vécu toute sa vie dans une société de basse moralité».

Il est trop difficile à un peuple qui a pris goût de la chose facile et illicite de changer sauf si le miracle nous donne un homme providentiel qui n’a ni enfants, ni femmes donc qui n’a pas de sentiments.

Merci M. le ministre pour votre intelligente lettre ouverte au peuple malien qui est meilleure aux slogans de campagne du président Ibrahim Boubacar Kéita, en 2013 qui disait: «Le Mali d’abord», «Pour le bonheur du Mali», «Pour l’honneur du Mali» ou «Mettons le Mali en avant». Aujourd’hui, son palais est entouré d’une mare de sang avec les multiples massacres à l’intérieur de notre pays et jusqu’à présent, nous ne voyons rien venir à l’horizon. Il doit changer de cap pour ne pas être comme son prédécesseur Amadou Toumani Touré (ATT) qui a fait du rafistolage son mode de gouvernance. L’homme peut mourir avec dignité. Le roi Babemba Traoré est mort avec dignité.

Brin COULIBALY

 

source l inter de bamako

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