Jamais le silence n’est aussi important et valeureux que lorsque parler devient risqué, jusqu’à y perdre sa vie ou sa liberté. Lorsque dire ses pensées ou relater ce qui se passe réellement, devient un visa pour la prison, voire un écart. En ce moment précis, le silence devient le sport favoris des avertis, l’observation, la rivière des savants et la prière, un refuge pour tous.
Jamais grand-père, les paroles sacrées sur le silence n’ont été aussi vraies qu’aujourd’hui. Maitriser sa langue pour échapper aux courroux des princes, de la cour et du royaume. Quelle que soit la brûlure de la vérité sur ta langue, les pincements du savoir dans ton cœur et les migraines de la connaissance sur ta tête, silence ! Tais-toi !
Jamais ! “Remuez sa langue trois fois avant de dire mot” n’a eu de terrain propre à lui qu’aujourd’hui depuis l’avènement de la démocratie. Pas seulement les débats publics, les réunions, les appels téléphoniques ou même les vocaux, les princes n’aiment pas être dérangés. Ils détestent les bruits. Surtout les bruits hostiles !
L’adage : “C’est de la confrontation des idées que jaillit la lumière” vaut pour celui qui ne sait pas où il va. Nous, nous avons pris le sens unique. On ne compte pas s’arrêter et on ne veut pas entendre de voix discordante. On veut des “Oui Monsieur” ! “Ah bon mon colonel ? OK chef ! D’accord patron !” Rien que ça et jamais le contraire !
Oui grand-père ! Désormais ne pas être d’accord avec nous, c’est être apatride. Penser autrement que ce que nous dictons, c’est être contre notre régime. Et être contre le régime, c’est être l’ennemi du pays. Le pays désormais, c’est nous. Celui qui ne nous aime pas, celui qui n’est pas d’accord avec nous est un apatride.
Et le silence s’impose : écouter, observer et garder le silence ! Ne rien dire qui contrarie le sommeil des principes. Jouer de la bonne mélodie, vanter les exploits et taire les échecs ? Applaudir même si ça ne marche pas. Confondre hommes et institutions. Mélanger pays et Etat, pouvoir et régime. Faire aveuglement confiance et ne se poser aucune question. Suivre seulement !
Se complaire pour plaire ou se taire, le principe sacro-saint sur lequel se bâtit notre nouveau Mali. Ce ne sont plus les droits et libertés. Ce ne sont plus les principes démocratiques et républicains mais le Oui et le Non qui font le bon ou le mauvais. Hélas ! Cher grand-père ! Se taire ou se faire taire ! Voilà notre réalité.
A mardi prochain pour ma 225e lettre. Inch’Allah !
Lettre de Koureichy
Mali Tribune