Le Conseil national de transition (CNT) a adopté jeudi deux projets de lois d’amnistie, au profit la junte, pour les coups d’Etat qui ont conduit au renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020 et à la mise à l’écart du président de transition Bah Ndaw en mai 2021.
“Aucune poursuite judiciaire ne peut être engagée contre les auteurs des infractions. On ne peut pas poursuivre des responsables pour des infractions comme complot militaire, insoumission, etc.”, a précisé le président de la commission des Lois du CNT, Souleymane Dé.
Ces nouvelles lois mettent donc à l’abri ’Assimi Goïta, président de transition, et les membres l’ex-CNSP, l’ancienne junte qui tient une partie du pouvoir à Bamako, contre toute action judiciaire future qui pourrait être engagée contre elle, pour toute une série de crimes et délits commis pendant les deux coups de force.
Le premier coup d’Etat a renversé le président Keïta le 18 août 2020; tandis que la deuxième a conduit à l’arrestation du président de transition et son Premier ministre Moctar Ouane, le 24 mai 2021, après leur décision de former un nouveau gouvernement dans lequel ne figuraient pas les putschistes.
Ces projets de loi ont été votés par le Conseil national de transition (CNT), qui tient lieu de Parlement, par “99 voix pour, 2 voix contre et 2 abstentions”, a annoncé le ministère de la Justice dans un communiqué.
Le Dr Bouréma Kansaye, maître de conférences à l’Université des sciences juridiques et politiques, cité par Jeune Afrique, estime que de telles amnisties sont “le fait de gouvernements faibles” et peuvent être vues, au sein de l’opinion publique, comme “une prime à l’impunité, car on pardonne a priori des faits qui sont jugés impardonnables.”
Cette mesure d’amnistie était prévue par la Charte de la transition. “Les membres du Conseil national pour le salut du peuple et tous les acteurs ayant participé aux évènements allant du 18 août 2020 à l’investiture du président de transition bénéficient de l’immunité juridictionnelle [et] ne peuvent être poursuivis ou arrêtés pour des actes posés lors desdits évènements“, affirmait la charte.
Cette amnistie au profit des militaires est adoptée alors que le commissaire Oumar Samaké, chef de la Force spéciale antiterroriste (Forsat), a été placé en détention, en début du mois de septembre, pour son rôle présumé dans la répression de manifestations, avant le putsch, le 10 juillet 2020.
Cette manifestation, organisée après des semaines de mobilisation contre l’ancien président IBK, avait dégénéré en plusieurs jours de troubles à Bamako, provoquant, selon l’opposition, 23 morts et, selon l’ONU, 14 manifestants, dont deux enfants, tués pendant la répression.
Il sied de rappeler que ce n’est pas la première fois que des auteurs d’un coup d’Etat au Mali bénéficient d’une amnistie.
Les auteurs du coup d’État du 22 mars 2012 contre Amadou Toumani Touré en avaient bénéficié, nonobstant les protestations des organisations de défense des droits humains contre le “projet de loi d’entente nationale” prévoyant l’amnistie pour des auteurs de crimes (dont enlèvement, assassinat et complicité d’enlèvement et d’assassinat) commis pendant le conflit armé de 2012 .
Cette amnistie concernait les faits commis “entre la période allant du 21 mars, date du début de la mutinerie” de militaires ayant débouché, le 22 mars, sur le renversement d’ATT, jusqu'”au 12 avril 2012, date de la prestation de serment du Président de la République” par intérim, ainsiq ue le notifie France 24.
Parmi ces faits figurent la mutinerie l’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat, l’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, les destructions d’édifices, l’opposition à l’autorité légitime, les violences et voies de fait, l’homicide volontaire et involontaire, le pillage et les atteintes aux biens publics.
Les ONG internationale et la société civile malienne avaient déploré l’arrêt des procédures à l’endroit du général Amadou Haya Sanogo, chef de la junte militaire à la tête du coup d’État en 2012.
Besoin de justice pour les victimes e
Craignant que de telles mesures ne soient un frein important à la lutte contre l’impunité et aux droits des victimes, elles estiment que la réconciliation nationale ne doit pas se faire au mépris de la justice, et sans une reconnaissance par l’État de ses responsabilités pour les crimes graves commis dans le cadre du conflit.
Comme l’a souligné le Secrétaire Général de l’ONU, M. António Guterres “[l]a réconciliation ne saurait se substituer à la justice ni même ouvrir la voie à l’amnistie pour les crimes les plus graves“, a écrit la Fédération internationale pour les droits de l’homme (Fidh) sur son site.
Pour ces ONG, le droit des victimes à la vérité, à la justice, et à des mesures de réparation est une obligation de l’Etat du Mali.
“Nos organisations invitent l’État à déployer tous les efforts nécessaires, afin que toutes les allégations de violations graves des droits humains et du droit international humanitaire bénéficient d’un traitement judiciaire adéquat et fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites indépendantes, impartiales et efficaces.”, ajoute ReliefWeb, un portail d’informations humanitaires fondé en 1996.