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Les maliens et les télés NOVELA : L’adduction aux séries télévisées se porte bien

Œuvres cinématographiques sur des faits de société, les séries télévisées inoculent leur virus à tous les niveaux et suscitent beaucoup d’émotion chez des téléspectateurs maliens. Cette influence est diversement appréciée par les spécialistes et amateurs. Enquête…

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Les spécialistes des séries cinématographiques au Mali sont unanimes sur une chose : les séries télévisées suscitent aujourd’hui beaucoup d’engouement et d’émotion chez téléspectateurs. Elles occupent une place de choix dans notre vie de tous les jours. Cette contamination tous azimuts découle en grande partie de la série « Mari-Mar ». A l’époque, à l’heure convenue, les femmes abandonnaient toutes leurs occupations ménagères pour se positionner devant des postes téléviseurs. A tout prix.

Aujourd’hui, on en parle partout. A l’école, au marché et même aux bureaux. La famille Diallo à Baco-Djicoroni n’échappe pas à la règle, à ce vertige, devrait-on dire. Ici, les heures de feuilletons ne passent jamais inaperçues. Elles sont guettées, préparées… presque religieusement.

Il était 21 h 30 ce jour-là dans cette famille. Alors que de jeunes garçons regardaient un match de football, nous remarquions un brusque regroupement de dames dans le salon. Toute la famille était au rendez-vous pour le feuilleton « Saloni », une production indienne diffusée sur Africable Télévision.

Les femmes ont laissé en rade toutes leurs occupations ménagères. Les filles abandonnaient leurs exercices du jour. Bref, toute la famille se sentait concernée. Les garçons surent alors que l’heure du feuilleton était proche. Ils se plièrent à la volonté des amateurs de Saloni. « Nous n’avons pas le choix. Chaque début de soirée, c’est comme ça. Elles nous dérangent quand regardons nos matches », murmurait, la moue dubitative, un fan du championnat espagnol.

Dès que le feuilleton a commencé, c’est un silence de cimetière qui a enveloppé la concession. Tout le monde se concentrait sur le film, plus rien ne bougeait. Adijatou, une fille de M. Diallo à la vingtaine, le regard vif. Elle est de taille moyenne, mais bien loquace. Et de rompre le mutisme ambiant : « Saloni est devenu une habitude pour moi. Si je ne le regarde pas, c’est comme si j’avais raté une obligation que je devais remplir et puis quelque chose commence à me tracasser. Saloni est aussi mon personnage préféré. Elle joue le gentil dans le film, c’est vraiment mon idole ».

Amour, haine, pardon…

Selon Bréhima Ely Dicko, chef du département sociologie/anthropologie à la Faculté des sciences humaines de Bamako, on parle de feuilletons lorsqu’on fait allusion aux médias.

« Les nouvelles technologies de l’information et de la communication jouent un rôle de premier plan dans la réalisation des séries. On ne peut pas parler de feuilletons sans faire référence aux Ntic. Je fais déjà le constat que les nouvelles technologies sont en train de se développer. Ce développement en soi est une bonne chose, parce qu’ils nous permettent d’avoir accès à l’information. Mais cette information est variée. Elle peut-être audio comme visuelle », dit-il.

Il précise que le feuilleton est l’information visuelle qui n’est généralement pas l’actualité. « Il porte sur des faits de société et abordent différents thèmes qui marquent le quotidien.  Généralement, le constat des films révèle des thèmes d’amour, de haine, de pardon »…

« Les feuilletons qu’on voit sur nos chaînes, que ce soit Africable, ORTM, Maïcha TV, TM2, sont des films qui ont été produits à l’extérieur, notamment par des sociétés brésiliennes, mexicaines et indiennes. Je constate en tant que sociologue qu’il y a un engouement et un réel intérêt des Maliens pour ces feuilletons. Ils sont diffusés vers 19 h, à l’heure où les gens sont rentrés à la maison. Ça leur permet de se détendre. L’autre constat est que même les personnes qui n’ont pas été à l’école ont un intérêt autour de la chose. Par exemple, les mendiants, les bonnes… chacun regarde ces séries parce que les sujet traités dans les feuilletons, même si les acteurs sont étrangers, la langue utilisée est accessible à tous et facile à interpréter. Ce qui fait que même ceux qui n’ont pas été à l’école comprennent les scènes. Sur ce point de vue, c’est une bonne chose », fait-il savoir.

« Déperdition culturelle »

Pour notre interlocuteur, il y a aussi que des thèmes universels. « Partout dans le monde ce sont des choses qu’on rencontre et les sujets nous intéressent. Parfois on est amoureux. Il y a des moments où on veut se venger, donc on s’identifie à ces personnages, si bien qu’on prend part au film. On oublie que dans ces films, on essaie d’apprécier les personnages tel est bon, l’autre est méchant, ils sont aimés ou détestés par les téléspectateurs. On a l’impression que c’est vrai, si bien que le jour où on ne diffuse pas ou quand il a eu une coupure électrique, les téléspectateurs sont mécontents. Mais on peut regretter aussi le mauvais côté de ce phénomène, c’est-à-dire qu’on voit un autre mode de vie, qui est différent des modes de vie que nous avons hérités de nos parents. On voit des pratiques qui sont différentes de l’éducation que nous avons reçue comme le respect de l’autre, la salutation. On peut voir dans un film des gens qui s’embrassent, d’autres nus et certains qui insultent leurs parents. On voit autant de choses qui contredisent finalement tout ce qu’on appris jusqu’ici. Cela peut influer négativement sur les comportements des téléspectateurs qui n’arrivent pas à faire la part des choses. Ils ont tendance à reproduire ce qu’ils voient à la télé. Et cela peut amener ce qu’on appelle la déperdition culturelle en anthropologie », développe-t-il.

Mahamadou Talata Maïga, professeur chargé de psychologie à l’Université de Bamako, estime que depuis des années, les feuilletons ont envahi le petit écran et sont dans une certaine mesure des causes de changement de comportements dans notre société.

« Les conséquences sont nombreuses de façon générale. L’influence du comportement marque notre vie. Ces séries reflètent d’autres réalités, contraires aux nôtres, l’impact des comportements vestimentaires constituent le sujet central, les téléspectateurs imitent la manière d’habiller, de parler, de vivre ».

M. Maïga note aussi l’aspect physico-social. « Sur ce point, forcément on essaie d’être comme notre idole. On se comporte comme lui, surtout les jeunes qui sont les catégories les plus exposées. Cela peut créer un conflit générationnel. Cette conduite inspirée des  personnages des films est souvent mise en cause par les adultes, les enseignants, et de façon plus constante, les gens de la rue ».

Chaque feuilleton qui passe laisse un nombre de modèles, soit en tenue, soit en coiffure, soit en chaussure. Ces modèles sont demandés sur le marché et les jeunes n’hésitent plus en à faire des tenues de sortie quotidienne, proscrites par les mœurs de notre société.

Il faut aussi craindre parmi les conséquences l’accoutumance. « L’organisme va souffrir de ça, pendant toute une journée, nous sommes devant une télé, sans aucun mouvement, c’est une mauvaise habitude qu’il faut abandonner, sinon on devient sédentaire. Dans toutes les cultures il y a de bonnes choses, à mon avis le seul aspect des feuilletons c’est le divertissement, il nous évade contre la fatigue et le stress, mais il faut prioriser les films qui reflètent les réalités culturelles de notre pays », conseille le professeur d’université Mahamadou Talata Maïga.

 

CE QU’ILS EN PENSENT

Avis de Maliens sur les feuilletons

Pour de nombreux Maliens, les feuilletons exportés sont des couteaux à double tranchant. S’ils peuvent améliorer le vocabulaire de téléspectateurs soucieux de savoirs, ils n’en demeurent pas moins des véhicules d’une sous-culture qui heurte la conscience générale au Mali.

Adama Sidibé gestionnaire et agent commercial :

« J’aimais ces films, mais depuis que j’ai compris que c’est pour transformer nos manières de vivre, j’ai pris mes distances. Imaginez dans une famille où les parents regardent les feuilletons avec leurs enfants et que dans le film on s’embrasse et on qu’on fasse du n’importe quoi devant les bambins. Demain, quelle éducation on peut donner ces enfants ? »

Fatoumata Mallé, étudiante à la Faculté de droit :

« Moi j’aime les feuilletons qui ont des rapports avec notre société comme les feuilletons indiens, par exemple Saloni ».

 

Aïssata Traoré, étudiante à la Faculté :

« J’aime les feuilletons comme toutes les femmes d’ailleurs. En regardant la télé, on peut découvrir de nouveaux mots. Mais je déplore le côté extravagant ».

Mohamed Dicko, islamologue :

« Religieusement, l’islam ne condamne pas les feuilletons parce qu’on apprend souvent dans les feuilletons. De plus, il y a même des feuilletons islamiques. Ce que l’islam regrette, c’est le contenu de ces séries télévisées ; à savoir : la manière de s’habiller, la consommation de l’alcool, aussi ils reflètent d’autres cultures, qui ne correspondent pas, aux règles de l’islam. Ça peut influencer un mauvais pratiquant. En général, surtout nos sœurs et mères, elles passent tout le temps devant la télé, les heures des prières passent, sans remplir leur obligation religieuse ».

CANAL DE DIFFUSION DE FEUILLETONS

L’ORTM se sent interpellé

A l’Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM),  la direction est consciente de l’emprise des feuilletons sur les téléspectateurs maliens. L’ancien directeur des programmes Mahamadou Koly Kéita, a accepté de nous en parler.

Selon l’ex-patron des programmes de la télé nationale, le rôle premier de la télé est le divertissement. « On profite de la population pour informer, sensibiliser et éduquer. Sinon on n’impose pas un programme aux téléspectateurs », se défend-il.

Il ajoute que les Maliens préfèrent les films nationaux. « Mais pour qu’il y ait des feuilletons maliens qui reflètent la culture de notre pays, il faut une stratégie d’aide aux productions nationales, ce qui n’existe pas », déplore Mahamadou Koly Kéita.

« Du lundi au vendredi, sur l’ORTM, il y a le feuilleton 19 h 45, 5 fois par semaine, ce qui fait 260 épisodes par an. Il y en a aussi à 13 h 30, du lundi au jeudi, 4 fois par semaine, ce qui fait 208 épisodes. Les deux font en tout 468 épisodes par an. C’est pour dire que les productions nationales ne peuvent pas tenir toute l’année. Ils sont plus coûteux que les films étrangers d’origine brésilienne ou mexicaine ».

Pour M. Kéita, il y a la compétence au Mali, seuls les moyens manquent. Sur la brutalité de certaines scènes, il invite les parents à jouer leur rôle d’éducateur. Et d’inviter le gouvernement à mettre en place un fonds de soutien aux productions nationales. Pour la promotion de la culture malienne, selon lui, l’Office de radiodiffusion du Mali, fait de son mieux pour la sauvegarde des traditions dans notre pays.

En tout cas, l’influence des feuilletons est réelle, mais il faut éviter sa propagation dans notre société pour ne pas avoir des impacts sur nos modes de vie, car nous devons rester nous-mêmes. « Le séjour dans l’eau ne transforme pas le tronc d’arbre en crocodile », a-t-on appris de Seydou Badian

Yéhia M. Baby

Stagiaire

 

Source: L’Indicateur du Renouveau

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