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Les “korodugaw” : L’art du burlesque au service des liens sociaux

Sur le ton de la plaisanterie, de l’amusement et de façon théâtrale, ils dénoncent les tares de la société et contribuent ainsi à la paix sociale. Herboristes et guérisseurs traditionnels, ils conjurent les mauvais sorts et traitent diverses maladies

 

Les “Korodugaw” ou Korodugaw pour d’autres, est un mouvement culturel composé d’hommes et de femmes très répandu au Mali. Ils sont organisés en société secrète très fermée. Cette société a ses règles, ses lois et sa philosophie.
La société secrète des Korodugaw est un rite de sagesse qui occupe une place centrale dans l’identité culturelle des communautés bambara, malinké, senoufo et samogo. Ils suscitent l’hilarité par leur comportement glouton, leur humour caustique, mais ils font aussi preuve d’une grande intelligence et de sagesse. La société éduque, forme et prépare les enfants à affronter les épreuves de la vie et à gérer des problèmes sociaux. Ses membres font aussi office de médiateurs sociaux et jouent des rôles fondamentaux dans les fêtes et à de nombreuses occasions.
Madou Mallé dit Madou Bâ, président du Mouvement culturel des “Korodugaw” du Cercle de Bla, cultivateur à Dakoumani, village situé 2 km à l’Ouest de la ville de Bla (Centre) est âgé de 94 ans. Il est marié et père de 9 enfants. Sous un eucalyptus, il nous narre l’histoire des “Korodugaw” au Mali, en général et à Bla, en particulier.

«Jusqu’à aujourd’hui, personne n’a pu me dire, avec certitude, d’où sont originaires les Korodugaw, de quelle localité du monde viennent-ils. Selon nos anciens, le mouvement des “Korodugaw” n’a pas un fondateur précis. Nous sommes, un peu partout, dans le monde selon les coutumes, les réalités et les traditions du milieu», dit Madou Bâ. Le mouvement des “Korodugaw” a été créé pour mener des actions de paix et de réconciliation, selon notre interlocuteur. «Nos anciens nous ont appris que c’est de quelques personnes (hommes et femmes) qu’est venue l’idée de créer un groupe qui intervient entre des parties qui se sont brouillées ou deux villages en conflit, afin de ramener l’entente entre les communautés voisines», se souvient le doyen de 94 ans.

Dans le cercle de Bla, le siège du mouvement se trouve à Dakoumani. Il y a deux groupes de “Korodugaw” à Bla. Un groupe uniquement composé de femmes, dans la ville de Bla, dirigé par Tata Mallé et le second, qui est le vrai groupe des “Korodugaw”, composé d’hommes et de femmes. Le premier groupe fait partie intégrante du deuxième. «Pour la bonne organisation du mouvement et sa reconnaissance officielle, nous avons obtenu un récépissé auprès des autorités du Cercle de Bla», explique Madou Ba.
Incarnant la générosité, la tolérance et la maîtrise du savoir, les “Korodugaw” appliquent les règles de conduite qu’ils préconisent aux autres. Les membres proviennent de toutes les couches socioprofessionnelles, sans distinction d’ethnie, de sexe ou de religion. Ce statut est hérité et l’instruction se fait par un maître.
Aujourd’hui, les modes traditionnels de transmission sont menacés à cause de la diminution du nombre d’initiés en raison de la prédominance des modes de vie urbaine parmi les jeunes générations, et du fait que les pratiques rituelles sont de moins en moins régulières.

CÉRÉMONIES RITUELLES- La société secrète des “Korodugaw”, rite de sagesse du Mali, est inscrite sur «la Liste du patrimoine immatériel nécessitant une sauvegarde urgente», indique le site l’Unesco-Patrimoine culturel immatériel.
Parmi les rôles importants qu’ils jouent, dans notre société, les “Korodugaw” sont de bons herboristes et guérisseurs traditionnels « car ils connaissent très bien les secrets des plantes pour soigner beaucoup de maladies. Ils conjurent les mauvais sorts, traitent les femmes qui n’ont pas eu d’enfant dans leur foyer après plusieurs années de mariage ». Selon Bakoro Mallé dit Bâ Djan, vice-président des “Korodugaw” de Bla, «les femmes qui n’ont pas d’enfants dans leur couple, viennent nous consulter, accompagnées de leurs époux. Nous leur faisons des bénédictions et leur prescrivons des médicaments et des attitudes à adopter ou des interdits à respecter».
Au nombre de ceux-ci, par exemple, l’absence de rapport sexuel pendant treize mois «ni en couple encore moins avec d’autres personnes». «Après ce délai, si nos vœux et prières sont exaucés, la plupart de nos patientes tombe en état de grossesse», assure Bakoro Mallé.

Ce que les gens appellent Dagaba (la grande marmite), les “Korodugaw”, eux, l’appellent ‘’Daasigui’’. «C’est une cérémonie qui se tient, généralement, à l’approche de l’hivernage, dans un village, pour résoudre un problème ou prévenir une menace contre quelqu’un ou contre un village», explique Mallé. «Ce jour là, je lance un appel à tous les initiés de notre zone d’intervention car nous sommes organisés par zone, selon les coutumes. Tous les initiés et membres du mouvement du Cercle de Bla et ceux d’ailleurs y prennent part», explique Bâ Djan qui signale que les “Korodugaw” ont beaucoup de descendants, dans le cercle de Bla et ailleurs.
Les gens arrivent le jeudi soir. Les festivités commencent la nuit jusqu’à l’aube. La personne à qui la cérémonie est dédiée prend toute la journée du vendredi, sans travailler. Sous un hangar de tôles ondulées, non loin de sa demeure, Tata Bâ une ancienne de 62 mariée et mère de 5 enfants dit avoir été initiée dans le mouvement des “Korodugaw” par sa lignée maternelle. «Ma mère et ma grand-mère étaient des “Korodugaw”. Après avoir passé quelques années dans mon foyer, j’ai décidé de suivre mes parents maternels», indique-t-elle.

Les Korodugaw sont reconnaissables par leur habillement. En général, ils sont en haillons, ornés de colliers de fèves rouges et blancs, de cornes de certains animaux et portent des fatras et divers objets et de parures faites de bric et de broc. Sur le ton de la plaisanterie, de l’amusement et de façon théâtrale, les “Korodugaw” assènent des vérités qui, autrement, passeraient mal. De la même façon qu’ils édictent des sentences, des leçons et des conseils de la vie en société. «Riez, amusez-vous de nos propos mais appliquez les dans vos comportements, vos rapports», semble être leur leitmotiv. «à Bla ville, je représente le groupe des “Korodugaw”. Beaucoup de femmes se regroupent chez moi pour d’autres activités comme le filage. Je parlais du mouvement, chaque fois que nous nous retrouvions dans notre atelier de filage », nous a dit Tata Bâ.

Elle a, aujourd’hui, dans son association, plus de cinquante femmes qui sont à 60% initiées dans le mouvement des “Korodugaw”. Ces femmes mènent, aussi, des activités de “Korodugaw”, non seulement dans la ville de Bla mais aussi en dehors et sur convocation du président des “Korodugaw” du Cercle de Bla.
Kodouba Dao est un jeune enseignant de 38 ans. C’est un ‘’Taden’’ des “Korodugaw” (Enfant pris par les “Korodugaw”) «Ma mère a fait dix maternités et aucun de ses enfants n’a survécu. Après avoir parcouru plusieurs localités à la recherche de médicaments, en vain, elle a été orientée vers les Korodugaw. Je suis l’enfant, qui est né après sa rencontre avec les “Korodugaw”. On m’a ainsi donné le nom Kodouba, qui a une signification chez nous, en milieu Minianka et Bamanan», explique le jeune homme.

Si une femme perd ses enfants, on la confie aux Korodugaw. En général, elle arrive à concevoir après. Et ce premier enfant, fille ou garçon, est «remis» aux «Korodugaw. «C’est le sens de mon nom Kodouba. J’évolue dans le groupe. Je suis initié et je participe à tous les mouvements des “Korodugaw”. Donc je suis “Korodugaw”», a dit Kodouba.
Les “Korodugaw”, qu’on qualifierait de bouffons, sous d’autres cieux, exécutent des danses et adoptent des comportements burlesques. Ils interviennent, en particulier, au cours de cérémonies rituelles. Ils proviennent de toutes les couches de la société sans distinction de race, d’ethnie, de sexe et de religion.
Les “Korodugaw” se produisent lors de cérémonies sociales telles que (mariages, circoncisions, etc.) ou comme des inaugurations, fêtes nationales, festivals, etc. Bien organisés, les “Korodugaw” se déplacent, en groupe, d’un village à un autre. Après leurs spectacles, ils organisent des cultes secrets et font des bénédictions.
à Bla, beaucoup de gens invitent les “Korodugaw” pour animer certaines de leurs fêtes.

Oumar OUÉRÉ
Amap-Bla

Source : L’ESSOR

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