Deux hommes, de l’eau jusqu’aux genoux, hissent à bord d’une pirogue un imposant cercueil en bois : à N’Djamena, les inondations n’épargnent pas les cimetières et certaines familles endeuillées empruntent des pirogues pour enterrer leurs proches.
A bord d’un de ces esquifs, Yamadji Mobaye, 60 ans, s’efforce de faire contre-poids pour maintenir l’équilibre précaire de l’embarcation qui menace de chavirer. Sa jeune nièce décédée quelques jours plus tôt doit être enterrée au cimetière de Toukra, rendu inaccessible en raison des inondations qui affectent depuis plusieurs semaines le sud de la capitale N’Djamena.
“C’est difficile quand Dieu rappelle un des nôtres en cette période d’inondations. La pirogue c’est notre seule chance d’accéder au cimetière”, confie le sexagénaire.
La route principale conduisant à Toukra est totalement submergée rendant quasi-impossible l’accès au plus grand cimetière chrétien de la ville. Depuis plusieurs semaines, la capitale et le Sud du Tchad sont particulièrement touchés par de fortes inondations. Les crues du Chari et du Logone qui bordent N’Djamena ont affecté plus de 98.000 personnes, selon le dernier bilan du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) au Tchad.
A mi-chemin, le cercueil installé à la proue de l’embarcation bascule et manque de tomber à l’eau avant d’être rattrapé in extremis par l’équipage. Un des piroguiers décide de poursuivre la traversée à pied, de l’eau jusqu’à la taille, maintenant tant bien que mal le cercueil en équilibre sur le corbillard flottant.
Le 19 octobre, le président Mahamat Idriss Déby Itno avait décrété un “état d’urgence” pour lutter contre les inondations. Depuis, 496 abris d’urgence ont été construits dans les 12 sites d’accueil des sinistrés, selon l’Ocha.
Englouties
Après avoir vogué une vingtaine de minutes, les premières tombes du cimetière de Toukra qui s’étend sur un kilomètre émergent à l’horizon. Un quart du site est immergé et les stèles funéraires surplombant l’eau trouble laissent entrevoir les nombreuses sépultures englouties.
Familles, proches et collègues : les piroguiers se livrent à un ballet incessant pour acheminer jusqu’au cimetière la centaine de personnes venues assister aux obsèques de la jeune femme.
“On a payé 3.000 francs CFA (4,60 euros) pour le transport du corps et les proches qui nous accompagnent ont tous payé 500 francs CFA (0,77 centimes d’euros) par personne” pour la traversée, détaille Yamadji Mobaye mais “pour une famille qui n’a pas de moyens c’est encore plus dur”.
Depuis le début de la semaine, Timothée Mbaississem, 52 ans a transporté sept cercueils sur sa pirogue, en acceptant le montant qu’on lui propose sans jamais fixer de prix. “Je me contente de prendre l’argent qu’on me donne sans discuter”, assure-t-il.
Pour ce genre de transport, “certains de mes collègues demandent des sommes exorbitantes”, s’indigne sous couvert d’anonymat un autre piroguier assis à l’ombre d’un arbre du cimetière, à quelques mètres de l’eau, lui qui assure ce service pour 500 francs CFA.
Le cimetière voisin de Ngonba, à quelques kilomètres de Toukra, est lui aussi complètement inondé. “Pour les enterrements, les gens peuvent se rendre au cimetière de Farcha (ouest), plus grand”, indique à l’AFP Amina Kodjiana, déléguée du gouvernement auprès de la ville de N’Djamena.
D’après l’ONU, plus d’un million de personnes sont affectées par les inondations dans le pays depuis le début de la saison des pluies. En 2021, 5,5 millions de Tchadiens, soit plus du tiers de la population de ce pays enclavé d’Afrique centrale, avaient besoin d’une “aide humanitaire d’urgence”, toujours selon les Nations unies.