Alseny Sall, porte-parole de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH), met en garde les putschistes contre les erreurs du passé afin d’éviter que l’histoire se répète.
Ces dernières années, votre organisation n’a cessé de dénoncer des violations de droits humains en Guinée, que ce soit sous le régime d’Alpha Condé ou sous la junte du capitaine Moussa Dadis Camara, avec notamment le massacre du 28 septembre 2009 dans le grand stade de Conakry, au cours duquel plus de 150 personnes ont été tuées et une centaine de femmes violées. Craignez-vous de nouvelles violences aujourd’hui ?
Alseny Sall Pour le moment, nous observons prudemment la junte car nous avons une expérience malheureuse des coups d’Etat. Les déclarations du colonel Doumbouya sont rassurantes. Il a promis une rupture avec le passé. Mais ce qui nous inquiète, c’est le manque de visibilité autour de la junte. On ne sait pas vraiment qui la compose, qui fait quoi. Nous avons également besoin qu’elle communique urgemment une feuille de route pour cadrer la transition.
Avez-vous des informations concernant les morts survenus lors du putsch ? On entend parler de plusieurs dizaines de militaires tués…
Il semblerait qu’il y ait eu des victimes lors de l’affrontement entre les forces spéciales et la garde présidentielle. Cependant, aucun chiffre ne nous est remonté pour le moment. Concernant les actes de violences, nous n’avons pas reçu d’informations précises non plus.
La junte a lancé mardi une série de rencontres avec les partis politiques et la société civile pour préparer la transition. Comment jugez-vous ces concertations ?
C’est une bonne initiative, mais les modalités posent question. Un créneau de deux heures est prévu pour chaque rencontre. C’est insuffisant quand on connaît le nombre pléthorique de partis politiques et d’organisations de la société civile en Guinée. D’autant plus qu’aucun agenda n’a été communiqué sur le contenu des concertations. Elles risquent donc d’être improductives. La junte doit mieux s’organiser, le lieutenant-colonel Doumbouya ne doit pas concentrer tous les pouvoirs. Pourquoi ne pas décentraliser la gestion au travers de commissions ?
Depuis son indépendance en 1958, la Guinée a connu deux coups d’Etat et des transitions ratées. Ce troisième coup de force peut-il aboutir à la stabilisation du pays comme semblent le penser nombre de Guinéens qui soutiennent la junte ?
Les Guinéens doivent comprendre que la junte ne pourra pas résoudre tous leurs problèmes. On part de très loin. Les transitions précédentes ont échoué car ceux qui y ont participé sont restés aux affaires après la période d’exception. Ils n’ont pas été surveillés et se sont fourvoyés. Aujourd’hui, la société civile doit jouer pleinement son rôle de vigie pour que la transition réussisse.
Par ailleurs, l’erreur à ne pas commettre serait, à mon avis, d’organiser des élections locales et législatives après la présidentielle. Alpha Condé s’était installé dans une logique de contrôle des processus électoraux après être arrivé au pouvoir [en 2010], ce qui a conduit à un grave blocage politique et à des violences post-électorales meurtrières.
Guinée, la faiblesse d’un coup de forceL’objectif de la junte doit être de débloquer le processus politique en organisant des élections générales. Il faut permettre un retour à l’ordre constitutionnel et la stabilisation du futur président élu. Le colonel Mamady Doumbouya a indiqué que « la justice sera la boussole qui orientera chaque citoyen ». Nous attendons de voir comment cela se concrétisera sur le terrain.
Pour nous, la lutte contre l’impunité des crimes de sang et économiques, devenue endémique, doit être une priorité du prochain gouvernement. Le choix des hommes et des femmes qui participeront aux différents organes de la transition sera déterminant pour éviter de retomber dans les erreurs du passé. Si le colonel Doumbouya échoue, c’est toute la Guinée qui échoue.
Cellou Dalein Diallo, le chef de file de l’opposition, est favorable à ce que le chef de la junte dirige la transition, aux côtés d’un premier ministre civil. Cette répartition en faveur des militaires vous semble-t-elle souhaitable ?
Pour beaucoup de Guinéens, Doumbouya est celui qui les a libérés du régime de Condé, accusé d’avoir freiné l’élan du processus démocratique dans notre pays à cause de son entêtement à se maintenir coûte que coûte au pouvoir. A cela s’ajoute la pauvreté dans laquelle se débat la majorité des Guinéens. La population en avait assez de ce système.
Il n’y a qu’à voir l’immense espoir que suscite Doumbouya. Le 5 septembre, toutes les communautés, Malinké, Peuls, Soussou et autres, ont manifesté leur joie. L’essentiel aujourd’hui, c’est que Doumbouya pose les bases pour refonder les institutions, en élaborant une nouvelle Constitution. Je ne suis donc pas contre le fait qu’il préside cette transition, mais la société civile sera là pour le surveiller.