L’administration Trump a durci mardi la confrontation avec les démocrates du Congrès : la présidence refuse de coopérer à l’enquête en cours en vue d’une éventuelle procédure de destitution du président américain. L’avocat de la Maison Blanche a envoyé une lettre de huit pages à la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi. Les démocrates dénoncent une entrave aux fonctions constitutionnelles du Congrès.
La lettre envoyée par l’avocat de la Maison Blanche à Nancy Pelosi constitue le dernier point d’orgue de toute une série de blocages. De fait, cela fait des semaines que l’administration Trump refuse de collaborer avec les démocrates dans le cadre de l’enquête sur le coup de fil entre le président américain et son homologue ukrainien.
Selon Jean-Eric Branaa, la stratégie de la Maison Blanche est de démontrer que les démocrates se livrent à une chasse aux sorcières. « Pour cela, l’administration Trump essaye de bloquer le processus en expliquant qu’il n’est pas légal. Parce que le lancement de l’enquête pour l’impeachment doit passer par un vote formel de la Chambre. En réalité, ce n’est écrit nulle part, mais c’est la tradition », détaille le maître de conférences à l’université Panthéon-Assas. « Ce qui veut dire : la Chambre se réunit en séance plénière et il faut qu’une majorité des représentants votent l’ouverture de cette enquête. Or, cette enquête n’a été ouverte que par une déclaration de la présidente de la Chambre des représentants. L’administration Trump estime que ceci n’est pas légal et que donc la Maison Blanche n’a pas à répondre aux demandes du Congrès ».
La marge de manœuvre des démocrates est mince
Pour les démocrates, ces blocages à répétition sont autant de preuves d’une entrave aux fonctions constitutionnelles du Congrès. Mais leur marge de manœuvre est mince. « Je pense que les démocrates se tourneront peut-être vers les tribunaux en espérant obtenir une décision qui contraindra finalement la Maison Blanche à obtempérer aux demandes du Congrès », explique Christophe Cloutier-Roy, chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul Dandurand. « Sauf que cette procédure judiciaire sera évidemment assez longue. Il pourrait y avoir un premier verdict, par la suite un appel et le tout pourrait même monter jusqu’à la Cour suprême ». Une perspective qui n’enchante guère les démocrates qui voudraient, au contraire, aller vite. Mais ce bras de fer autour de l’enquête en vue d’une procédure d’impeachment de Donald Trump en dit surtout long sur l’état des institutions américaines.
« Les institutions américaines ont perdu leur crédibilité »
« C’est comme si les institutions avaient perdu de leur crédibilité », constate Françoise Costes, professeur à l’université de Toulouse. « Et cela n’a rien d’étonnant puisque depuis trois ans on a un président qui se moque de la CIA, du FBI, qui ignore le département d’État, le Pentagone. C’est un long travail de sape contre les institutions qui touche désormais une procédure d’impeachment qui ne ressemble à aucune autre. On est vraiment là en terrain inconnu ».
Le Washington Post a publié lundi un sondage avec entre autres cette donnée étonnante : un cinquième des électeurs républicains seraient désormais en faveur de l’impeachment. Christophe Cloutier-Roy voit là une vague de fond. Parce que si les sympathisants typiques de Donald Trump restent fidèles à leur champion, ce n’est pas le cas de tous les électeurs qui ont voté pour lui en 2016.
Une partie des électeurs républicains plus traditionnels pourrait se détourner du président
« On oublie souvent que le président Trump a été élu aussi par des républicains plus traditionnels, des Américains blancs, plus fortunés, des diplômés universitaires », souligne le chercheur canadien. « J’ai l’impression que c’est là où ça pourrait se jouer parce que le président est déjà très impopulaire chez les électeurs indépendants qui sont eux-mêmes majoritairement en faveur de sa destitution. Donc s’il n’arrive pas à recréer sa coalition d’électeurs qui lui a permis d’être élu en 2016, ça va être extrêmement difficile pour lui. Bien sûr nous ne sommes qu’au début d’une procédure qui permet d’être aussi longue que riche en rebondissement, mais jusqu’à maintenant, le président Trump ne paraît pas du tout en position de force dans toute cette affaire ». Les élus républicains au Congrès lui apportent en tout cas leur soutien. Et il paraît à l’heure qu’il est plus qu’improbable que le Sénat, où les républicains sont majoritaires, puisse effectivement destituer Donald Trump, soutient Jean-Eric Branaa.
Le parti républicain occulte son avenir « après-Trump »
Mais en se rangeant derrière un président qui affaiblit les institutions américaines, le parti conservateur semble complètement occulter son avenir « après-Trump ». « Il n’y a pas de plan B », constate Françoise Coste. « La question est de savoir : quand Donald Trump quittera la Maison Blanche, y aura-t-il une nouvelle génération montante qui n’aurait pas été salie par les années Trump ? La réponse est non ! Même les jeunes pousses apparues lors des primaires en 2016 (à l’occasion des élections de mi-mandat, NDLR) ont vendu leur âme à Trump. Cette question est cruciale, mais personne à droite ne semble y réfléchir aujourd’hui aux États-Unis ».
► Pour aller plus loin : Jean-Eric Branaa : « Joe Biden – Le 3e mandat de Barack Obama », paru chez VA Press
RFI