L’insécurité, les catastrophes naturelles, les épidémies et les chocs exogènes peuvent provoquer des déficits budgétaires importants et causer une hausse sensible de la dette publique. La Commission Économique pour l’Afrique des Nations-Unies (CEA) estime à 10,6 milliards $ la hausse imprévue des dépenses totales de santé en Afrique. Cependant tous les services sociaux de base auront besoin d’être renforcés avec des financements supplémentaires en cette période de restrictions budgétaires augmentant ainsi les déficits budgétaires et la dette publique.
Selon le dernier rapport semestriel de la Banque Mondiale, ‘Africa Pulse’ consacré à la conjoncture économique africaine, estimait les pertes de production de l’Afrique Subsaharienne entre 37 et 79 milliards $ en 2020, ce qui pourrait provoquer une récession économique pour la première fois depuis 25 ans avec des prévisions de -2,1% à -5,1% en 2020 contre +2,4% en 2019.
Le ralentissement de l’économie mondiale en cours est inédit car il va toucher simultanément la demande et l’offre au niveau mondial. La crise économique de la Covid-19 va aussi compromettre les recettes fiscales et non fiscales alors même que les pays touchés doivent répondre à de nouveaux besoins de dépenses publiques, mettant davantage en difficulté les budgets nationaux. La réponse à la pandémie Covid-19 exige des mesures budgétaires fortes, temporaires et ciblées de par le monde et par conséquent les dépenses de santé doivent augmenter immédiatement car la santé et le bien-être des populations doivent être prioritaires pour faire face à l’urgence sanitaire.
Dans le domaine de la santé, la situation en Afrique est plus qu’alarmante, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 24% des personnes malades dans le monde se trouvent en Afrique qui par ailleurs produit moins de 2% des médicaments qu’elle consomme. Aussi, l’Afrique ne bénéficie que de 1,3% des ressources financières consacrées à la santé dans le monde et ne dispose que de 3% des professionnels de santé alors qu’elle constitue 17% de la population mondiale. De même, il est impérieux d’élargir et de renforcer les mesures de protection sociale pour éventuellement aller vers une reprise économique afin de réduire les inégalités sociales déjà existantes.
La Covid-19 aura un impact et des conséquences considérables sur la sécurité alimentaire en Afrique qui importe un tiers (1/3) de ses besoins alimentaires annuels pour un montant de près de 70 milliards $ selon la Banque Africaine de Développement (BAD). L’analyse du Programme Alimentaire Mondial (PAM) pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre souligne que 2019/2020 a été une forte saison agricole “avec une production de céréales globalement supérieure à la moyenne”, ceci est rassurant pour la sécurité alimentaire.
Cependant, “l’indice des prix à la consommation des denrées alimentaires est à son plus haut niveau depuis 2008 dans la zone de l’Union monétaire de l’Afrique de l’Ouest” et cela est très préoccupant pour les populations démunies et vulnérables. Pour pallier cette situation alarmante, les gouvernements pourraient utiliser des programmes “argent contre travail” pour employer des travailleurs chargés de distribuer des rations alimentaires d’urgence, améliorer les conditions sanitaires sur les marchés de gros et de détail et soutenir les entreprises agricoles pendant la crise.
Pour ce qui concerne les effets de la Covid-19 sur l’emploi dans les villes, la Commission Economique des Nations-Unies pour l’Afrique (CEA) dresse un tableau plutôt sombre : « les secteurs urbains de l’économie (industries et services) qui représentent actuellement 64% du PIB en Afrique seront durement touchés par les effets liés à la Covid-19, entraînant des pertes substantielles d’emplois productifs. En particulier, les quelque 250 millions d’Africains dans l’emploi urbain informel (hors Afrique du Nord) seront menacés. Les entreprises et les commerces des villes africaines sont très vulnérables aux effets du COVID-19, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME) qui représentent 80% des emplois en Afrique. Ces risques sont aggravés par une hausse probable du coût de la vie, comme le montrent, par exemple, certains rapports initiaux d’augmentation allant jusqu’à 100% du prix de certains produits alimentaires dans certaines villes africaines ».
Environ 196 pays et territoires sont touchés par la pandémie Covid-19 qui pourrait accroitre les inégalités si des actions fortes, ciblées et mesurées n’étaient pas entreprises au niveau des politiques publiques. L’analyse empirique semble suggérer que les pays seront touchés en fonction de leurs capacités d’anticipation, de réaction en matière de politiques publiques et de la disponibilité des ressources humaines, matérielles et financières.
Ces répercussions dans des secteurs socio-économiques prioritaires en Afrique pourraient remettre en cause non seulement les progrès effectués pour améliorer les conditions de vie des populations africaines après plusieurs décennies de lutte acharnée contre la pauvreté. Les cadres de politique macroéconomique doivent donc mettre l’accent sur la résilience aux chocs extérieurs, en mettant en place des amortisseurs budgétaires et financiers, ainsi que des coussins de réserves qui permettent à l’économie d’absorber un choc sans de graves perturbations.
La stabilité politique, macroéconomique et sociale est une condition essentielle du développement économique et social. Maintenir les économies sur une trajectoire de croissance soutenue et rendre le partage des fruits de la croissance plus équitable sont deux facteurs d’apaisement des tensions politiques et sociales, qui contribuent par ailleurs à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030, de même que les efforts visant à réaliser la vision de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine.
Bamako, le 30 juin 2020
Modibo Mao MAKALOU
Economiste & MBA /Finance Internationale