En refusant de mettre en œuvre le blocus décidé par la Cédéao le 9 janvier dernier, la Guinée est devenue l’ultime point de passage au sud de Bamako.
De notre envoyé spécial à la frontière guinéo-malienne,
À force de coups de klaxon et de grands signes, Mohamed Bangoura a fini par accepter d’arrêter son camion sur le bas-côté. Il est pressé, file vers son pays d’origine. « On est venu pour convoyer ce véhicule en Sierra Leone pour une société minière », raconte-t-il. Le visage du chauffeur est barré d’un large sourire. Il vient de franchir la frontière malienne et va pouvoir rentrer chez lui, malgré les sanctions de la Cédéao. « Tout le monde en connaît les répercussions. Si la traversée vers la Guinée avait été suspendue, nous en aurions énormément souffert… Donc c’est une chance, c’est bien qu’on ait pu aller au Mali et qu’on soit en train de rentrer au pays maintenant », conclut-il, soulagé.
La ligne de démarcation entre la Guinée et le Mali, que l’on franchit sans difficulté, est devenue une exception dans la région. Depuis le 9 janvier dernier, la Cédéao a alourdi ses sanctions contre la junte de Bamako, qui avait promis de rendre le pouvoir aux civils en ce mois de février. L’organisation sous-régionale a annoncé la fermeture de ses frontières avec le Mali et une limitation du commerce à certains produits de première nécessité.
En changeant de pays, la RN5 malienne devient la N6 guinéenne. Elle relie Bamako à Kankan, en traversant un chapelet de villages et en passant par Siguiri. Dans cette région limitrophe, éloignée de Conakry (plus de 600 kilomètres), l’économie est basée sur les échanges transfrontaliers.
Ici, tout le monde soutient le pouvoir militaire guinéen et sa décision de ne pas appliquer le blocus de la Cédéao. « Économiquement, la Guinée ne peut pas soutenir le Mali, mais Conakry peut aider Bamako au niveau commercial. Les importations vont pouvoir continuer à passer par la Guinée », prédit Mamadou Bah, commerçant et président du Haut Conseil des Maliens de l’extérieur à Siguiri. Il veille sur les 600 ressortissants de son pays officiellement recensés en ville.
Dans le centre de Siguiri, très encombré, où le marché a fini par coloniser les rues, beaucoup de produits viennent de Bamako, comme les oignons, les pommes de terre, les poissons de rivière ou encore une partie du tissu. Alors Mamadou Bah se dit « content » que la frontière soit restée ouverte. C’est bon pour ses affaires. Mais cela ne l’empêche pas d’être réaliste. Quatre-vingts pour cent du fret malien passent par Dakar et si l’embargo dure, il sait que son pays risque de connaître des pénuries de certains biens de consommation comme les matériaux de construction, les voitures d’occasion…
De bonnes perspectives commerciales
Dans la plaine de la Haute Guinée battue par l’harmattan, ce n’est pas encore l’effervescence. Le commerce est à son niveau habituel, il n’y a pas plus de poids lourds sur les routes. Surtout, l’absence de plaques d’immatriculation sénégalaises ou ivoiriennes indique que la Guinée n’est pas utilisée comme itinéraire bis pour contourner le blocus. « Bien sûr, Conakry pourrait être un point idéal pour approvisionner le Mali, explique Mohamed Lamine Cherif, vice-président de la chambre de commerce de Kankan. Je pense que la seule issue favorable au Mali sera le port de Conakry […], c’est l’option la plus simple pour le pays. »
Cette liaison commerciale est déjà bien connue des opérateurs économiques maliens. Beaucoup de cargaisons remontent vers Bamako depuis la côte guinéenne. « Avec les sanctions, si les bateaux viennent désormais déverser leurs marchandises dans le port autonome de Conakry, cela peut permettre d’intensifier le commerce. »
Les grands négociants maliens pourraient ainsi se détourner du port de Dakar. Conakry serait aussi une solution pour « les moyens grossistes », ceux « qui n’ont pas la possibilité de charger un navire entier », affirme le responsable, mais qui seraient en mesure d’y « acheter un ou deux camions ». Les plus petits commerçants pourraient reconstituer leur stock en Haute Guinée. « Ça va venir graduellement, au fur et à mesure que les besoins se présenteront au Mali. C’est comme ça que les demandes vont être constatées sur le marché guinéen. »
Des premiers contacts ont eu lieu entre commerçants des deux pays, nous confie Mohamed Lamine Cherif : « Hier, un ami m’a appelé de Bamako et il m’a demandé le prix du sac de sucre à Kankan. Je lui ai donné l’information, il m’a répondu qu’il était en train de se renseigner sur les paramètres d’approvisionnement, les frais de transport… »
Infrastructures
Sur ce dernier point, la Guinée perd en attractivité. L’état désastreux des routes fait rapidement gonfler la facture. Si Conakry dispose du port le plus proche de Bamako (un peu moins de 1 000 kilomètres de distance), un poids lourd peut mettre jusqu’à dix jours pour effectuer le trajet. Entre la frontière malienne et Kouroussa s’étendent 300 kilomètres de bitume, la nationale alterne ensuite entre tronçons récemment rénovés et pistes caillouteuses, où l’on croise des dizaines de camions en panne. Des travaux sont en cours, réalisés par une société chinoise, rapprochant chaque jour un peu plus l’ouest de l’est de la Guinée, mais il faudra plusieurs mois avant de voir disparaître les rouleaux compresseurs et les déviations interminables.
Voilà pourquoi, à la question « y a-t-il plus de voyageurs étrangers depuis les sanctions de la Cédéao ? », le personnel des gares routières répond systématiquement d’un air étonné : « On ne trouve que des Guinéens ici. » Le pays n’est pas encore devenu un point de passage pour le transport de personnes. Le besoin ne s’est pas fait sentir, les frontières de la région étant de toute façon poreuses. Qui, surtout, voudrait s’infliger un détour de plusieurs centaines de kilomètres d’infrastructures impraticables ?
Mais pour les marchandises, la donne est différente, analyse Amadou Diop, détaillant dans le secteur de l’habillement et vice-président du Haut Conseil des Maliens de l’extérieur à Kankan. « Si on n’a pas d’autres moyens, on est obligés de passer par là. Même si la route est mauvaise. Juste passer, ça nous suffit, quand bien même le trajet durerait une semaine ! »
Source : RFI