Dans notre premier article, nous avons dit que, d’un point de vue strictement juridique, le Mali n’a pas le droit de recourir à des mercenaires ; ce qui n’est pas faux, puisque nous en avons indiqué les principales raisons juridiques. Mais pour lever toute équivoque quant à notre propos, il convient de mieux préciser les choses, surtout pour le lecteur non averti.
Pour l’essentiel, il faut savoir qu’il ressort de l’esprit et de la lettre des textes juridiques régissant le mercenariat – qu’il s’agisse du protocole I aux conventions de Genève de 1949, de la convention des Nations Unies de 1989, de la convention de l’OUA de 1977, ou du protocole relatif à la nouvelle cour africaine de justice de 2008 – que :
- le mercenaire est d’abord une personne recrutée par un Etat contre une forte rémunération financière pour combattre dans un conflit armé international c’est-à-dire un conflit opposant par exemple le Mali à un Etat étranger. Le Mali ayant ratifié ou adhéré à des textes internationaux interdisant cela, il est clair qu’il n’a pas le droit d’utiliser les paramilitaires de Wagner à cette fin ;
- le mercenaire est ensuite une personne recrutée par un Etat pour participer à un ‘’acte concerté de violence ‘’ destiné à :
- renverser un gouvernement légitime, ou saper l’ordre constitutionnel d’un Etat. NB: on voit clairement ici qu’il ne s’agit pas pour le Mali d’utiliser les agents des Wagner pour accomplir de tels actes ;
- aider un gouvernement pour se maintenir au pouvoir. NB : Jusqu’à preuve du contraire, on ne peut pas prêter une telle intention au gouvernement malien de transition, celle d’utiliser Wagner pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir ou aider un gouvernement étranger à cette fin. NB : cette hypothèse figure dans le protocole relatif à la nouvelle Cour africaine de justice et des droits de l’homme, mais pas dans la convention des Nation unies de 1989 ;
- aider un groupe de personnes à s’emparer du pouvoir. NB : jusqu’à preuve du contraire, on ne peut pas prêter une telle intention au gouvernement malien de Transition en ce qui concerne l’utilisation de Wagner au Mali ou à l’étranger à cette fin. NB : cette hypothèse figure dans le texte de la nouvelle Cour africaines de justice, mais pas dans la convention des Nations Unies de 1989.
- attenter à l’intégrité territoriale d’un Etat. NB: on voit mal comment le gouvernement malien de Transition peut utiliser Wagner contre l’intégrité territoriale du Mali ou d’un Etat étranger.
Conclusion : dans la mesure où le Mali est partie à la convention des Nations unies de 1989 sur les mercenaires, il est clair qu’il n’a pas le droit d’utiliser Wagner pour renverser le gouvernement légitime d’un Etat étranger, ni saper l’ordre constitutionnel ou l’intégrité territoriale de ce dernier.
- Autres points de certitude ou d’incertitude juridique
Il est également important et utile d’attirer l’attention du lecteur sur les points suivants :
- le protocole I de 1977 aux conventions de Genève de 1949 parle de « mercenaire » à propos des seuls conflits armés internationaux, en en précisant la définition et le statut juridique – article 47-
- le paragraphe 3 de l’article 43 du protocole I reconnait à une partie à un conflit armé international la possibilité d’incorporer, dans ses forces armées, une organisation paramilitaire, à condition de le notifier aux autres parties au conflit, ce qui n’est pas le cas des conflits armés non internationaux ;
- le protocole II aux conventions de Genève de 1949 ne parle pas de « mercenaires » à propos des conflits armés non internationaux ou internes. En partant du principe que ce qui n’est pas formellement interdit est permis, on peut tirer du silence du protocole II un argument en faveur de la légitimité du recours aux mercenaires.
- le paragraphe 1 de l’article 1er du protocole II définit le conflit armé non international comme suit : un conflit qui se déroule sur le territoire d’un Etat entre ses forces armées et des forces armées dissidents ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d’un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées. La question est de savoir ici si les groupes armés contre lesquels le groupe Wagner serait appelé à agir, répondent oui ou non à ces critères ;
- le paragraphe 2 de l’article 1er du protocole II ne considère pas comme des conflits armés non internationaux les situations de tensions internes ou de troubles intérieurs comme : les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues. La question qui se pose ici est de savoir si et dans quelle mesure les situations contre lesquelles Wagner serait appelé à agir répondent ou non à ces critères.
Conclusions finales
- Le Mali a le droit d’utiliser tous les moyens légitimes pour assurer sa sécurité
Il est important de savoir que du point de vue du droit international, conformément aux termes du paragraphe 1 de l’article 3 du protocole II aux conventions de Genève de 1949 relatif aux conflits armés non internationaux, le Mali a le droit :
- de défendre sa souveraineté
- de maintenir ou de rétablir l’ordre public, ou de défendre l’unité nationale et l’intégrité territoriale par tous les moyens légitimes.
Conclusion : par conséquent, on peut considérer qu’il serait légitime de faire appel à des agents de sécurité privée comme ceux de Wagner, à la double condition pour le Mali.
- de ne pas les utiliser à des fins contraires au droit international, à savoir contre un Etat étranger dans le cadre d’un conflit armé ou d’un acte concerté de violence, mais uniquement pour assurer sa propre sécurité contre des groupes terroristes ou djihadistes, S’il est prouvé que Wagner en est réellement capable. Remarque importante: on peut dire ici qu’à la limite, tous les moyens sont bons pour combattre les terroristes, étant entendu que même dans cette lutte il faut respecter les droits fondamentaux de la personne humaine. Ce qui est sûr, et cela est important, c’est que le droit international ne dit nulle part que seules les forces armées régulières des Etats sont habilitées à lutter contre les terroristes.
- d’assumer pleinement son choix du point de vue moral et politique, et d’en avoir les moyens financiers
- Le Mali peut signer un contrat avec Wagner
Il est important ici de savoir que le droit international n’interdit absolument pas au Mali de signer un contrat avec le groupe Wagner, à condition de respecter, outre les prescriptions spécifiques en matière de mercenariat, les exigences fondamentales des droits de l’homme et du jus cogens ou droit impératif.
- Principales questions à poser au gouvernement de transition à propos de Wagner
- Avant de prendre la décision de faire venir Wagner au Mali, le gouvernement de transition doit procéder à une analyse approfondie des principales questions suivantes;
- un bilan objectif et critique des interventions de Wagner à travers le monde
- une parfaite connaissance de son modus operandi
- une définition claire de ses zones d’intervention, y compris l’interférence et l’articulation avec le champ d’action des forces du G5 Sahel ;
- la durée d’intervention de Wagner : s’agira-t-il d’une opération ponctuelle ou d’une présence permanente au Mali, ce qui serait totalement utopique, car Wagner ne pourra jamais remplacer les FAMA dans la lutte permanente contre l’insécurité
- l’épineux et central problème du financement de Wagner : quel en sera le coût et où le gouvernement va-t-il prendre l’argent ;
- les risques de commission d’exactions et les problèmes de responsabilité pénale et de réparation de dommages
- la responsabilité éventuelle de l’Etat malien. Il faut savoir ici que :
- l’article 16 alinéa a) de la convention des Nations Unies de 1989 sur les mercenaires dit clairement que « la présente convention n’affecte pas les règles relatives à la responsabilité internationale des Etats »
- ces règles ont été codifiées avec des propositions de nouvelles règles durant 46 ans de travaux de 1955 à 2001, par la commission du droit international de l’ONU ou CDI à Genève, travaux auxquels nous avons personnellement eu le privilège de participer en notre qualité de membre de la célèbre commission onusienne durant 15 ans et cela après avoir été élu par l’Assemblée générale de l’ONU à New York 3 fois de suite pour 3 mandats de 5 ans chacun.
Dr Salifou FOMBA
Professeur de droit international à la retraite, Ancien membre et vice – président de la commission du droit international de l’ONU à Genève, Ancien membre et rapporteur de la commission d’enquête du conseil de sécurité de l’ONU sur le génocide au Rwanda, Ancien conseiller technique au ministère des affaires étrangères, au ministères des maliens de l’extérieur, au ministère des droits de l’homme et des relations avec les institutions.
(L’Aube 1233 du lundi 24 janvier 2022)
Source: L’Aube