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Les charmes du diable (18) : « Les termites ont bouffé le pick-up »

Le sergent-chef Abdou tempêtait, rugissait, maudissait les manifestants en prenant connaissance de l’ordre de réquisition du tout terrain qui, contrairement à ses assurances, n’était point garé devant son logement de fonction.

Le sous-officier agitait de la tête de haut en bas en oubliant qu’il n’était pas seul au secrétariat. Bien que coutumier des convocations du commandant, celle-ci lui causait de mauvaises pensées. Le « méchant supérieur » lui infligerait un châtiment mérité. Cependant il tenait à la liberté par toutes les fibres de son être, la liberté par l’amour même de la liberté. La crainte qu’elle lui dise adieu faisait dégouliner sur son front des sueurs froides. D’un geste vif, souriante de la meilleure grâce du monde, et d’un air malicieux, la secrétaire particulière lui tendait un mouchoir blanc immaculé. « A chaque jour suffit sa peine », lâchait-elle en prenant soin d’ajouter «  tout ce qui nous arrive porte la signature du Père Tout-Puissant ».

Abdou faisait un signe de tête affirmatif. Ces deux phrases quoique empruntes de la sagesse africaine chauffaient à blanc ses inquiétudes mal dissimulées. Elle ne cherchait point à assommer le sergent-chef. D’où sa promptitude à apporter des éclairages. « Ce que je viens de vous dire ne présage rien de la teneur de l’entrevue que vous allez avoir avec le chef. Il sera plutôt question de créer les conditions idoines à l’accueil des recrues dont l’arrivée est annoncée courant semaine prochaine ». Le cerveau assiégé se libérait. En l’espace d’une poignée de secondes c’était un autre homme. Il remontait le tréfonds de l’abîme de la tristesse pour se hisser au firmament de la joie. Vraiment impossible d’exprimer dans toute sa plénitude ce que le cuisinier en chef ressentait. Le malheur tant redouté ne s’abattait pas sur lui, au contraire les portes du bonheur s’ouvrait grandes pour l’accueillir. Plus de bouches à nourrir, plus d’opportunités d’arrondir les fins de mois difficiles. Abdou attachait sur elle un regard de reconnaissance, plein d’admiration qui valait trois billets craquants de 10.000 F CFA glissés dans une main pressée de les ranger dans un luxueux sac en cuir de marque italienne.

L’avide curiosité de la ravissante secrétaire, qui faisait des efforts pour ne rien rater à cette métamorphose soudaine, avec son sourire d’enfant innocent, se montrait docile sous sa tenue de léopard. Elle signalait par interphone la présence du cuisinier en chef, qu’elle faisait aussitôt entrer dans l’immense bureau cossu.

Le ouf de soulagement promettait une bonne séance de travail, moins longue, du fait qu’il connaissait son travail du bout des doigts.

Un peu plus tard à sa sortie, au fur et à mesure que défilait dans son cerveau précisions sur précisions fournies par la secrétaire, il réalisait que celle-là était au parfum, qu’il était possible que le chef partageât son lit. Il se précipitait au devant d’elle avec la promesse de l’accorder plus d’attention désormais. Sa stratégie était redoutable en sa simplicité : en faire une alliée de poids. Lui qui regardait autrement son interlocutrice en arrivait à l’appeler « petite sœur ». Attendrie, conquise,  elle répondait par un sourire approbateur.

Le paradis des gangsters

La vague de contestations, qui avait submergé le pays en début de mois, n’était pas prête à retomber. De jour comme de nuit, l’agitation se poursuivait, policiers et gendarmes mobilisés éprouvaient de plus en plus de mal à contenir les manifestants très déterminés à en découdre avec le régime en place. Les députés fourbissaient leurs armes pour l’inévitable séance d’interpellation du ministre en charge de la sécurité annoncée pour la semaine prochaine. Le bilan de la quinzaine de jours était impressionnant : des magasins pillés ou incendiés, des bâtiments publics désossés, des citoyens délestés qui d’un deux roues qui de téléphone portable, de bijoux de valeur et d’argent, des morts et des blessés parmi les manifestants et côté forces de maintien d’ordre.

Ce déferlement de violence et de crimes justifiait le nombre élevé d’arrestations : un millier selon les services de sécurité, beaucoup plus à en croire les opposants.  D’ailleurs, la police avait mis la main sur de mauvais garçons notoires longtemps recherchés. Mais nombreux trublions s’étaient éclipsés avant l’arrivée des policiers et gendarmes. Ils s’étaient organisés en petits groupes très mobiles de dix à quinze membres et disparaissaient aussi vite après forfait pour renouveler leurs exploits un peu plus loin. On ne pouvait plus faire un pas au centre ville, siège de l’administration, sans marcher sur des papiers ou des cartons vides jetés par des mains rageuses.

L’armée était appelée en renfort. Les choses étaient devenues très sérieuses : des hommes masqués attaquaient les agences de banques isolées dans les quartiers  et dans l’arrière pays. Les gangsters munis de fusils d’assaut surprenaient le vigile et le garde – qui appartient à un des corps de l’armée – les mettaient à joue avant de vider les coffres-forts et de s’évaporer dans la nature. Le gouvernement se voyait contraint d’appeler à la rescousse l’armée, ne serait-ce pour sécuriser les points stratégiques, alors qu’elle se battait dans les villes et campagnes contre les djihadistes. Des affrontements éclataient partout sur le territoire national. L’éparpillement des attaques répondait à une logique de harcèlement des troupes régulières doublée d’une stratégie d’asphyxie des économies locales et au-delà de sabotage des circuits d’approvisionnement des principales villes en denrées alimentaires provenant des zones rurales.

On vouait aux diables les manifestants et lançait des messages invitant à y mettre un terme au motif qu’il ne fallait pas se tromper d’adversaires ou de combat. Peine perdue. La rue s’enflammait de plus belle,  réclamait à cor et à cri le départ du président de la République et tout son régime coupables à ses yeux de mauvaise gouvernance et de tripatouillage des résultats issus des urnes. En réponse à ces contestations d’une ampleur inégalée, le numéro un proposait des réformettes assimilées à une nargue, une plaisanterie de mauvais goût.

En exécution des ordres reçus, le commandant de la garnison militaire a ordonné le déploiement d’un détachement. Le pick-up affecté au transport de la viande devait servir de véhicule de liaison.

Fumée bleue et café fort

Le cuisinier en chef tempêtait, rugissait, maudissait les manifestants en prenant connaissance de l’ordre de mise à disposition du tout terrain. Puis, d’un air abattu, il se calait dans un moelleux fauteuil derrière un bureau métallique, griffonnait la mention « reçue » sur la double copie de la correspondance, se levait et donnait des instructions à un de ses subalternes de conduire les deux hommes à son logement de fonction.

Une mélancolie subite ralentissait ses pas lourds et poussait momentanément à l’inaction complète. Le sergent-chef Abdou demeurait muet, le regard vague, ruminant sa crainte de la découverte du pot aux roses, incapable de «ramasser ses idées ». L’ordre de réquisition du véhicule l’angoissait au-delà de toute expression. Cet ordre devenait un microbe s’épanouissant dans un corps sans défense. Il s’effondrait, épuisé, une tasse de café fort à portée de main, dans la fumée bleue de multiples cigarettes. Cela durait une trentaine de minutes lorsque les trois militaires faisaient irruption dans son bureau pour lui signifier que le véhicule n’était point à sa résidence. Ces propos se développaient dans sa tête comme une tumeur morale.

-S’il n’est pas là-bas, ce que les termines l’ont intégralement bouffé.

Sa réplique faisait apparaître l’image d’un malheureux frappé par une incapacité d’accepter l’évidence. L’angoisse devenait la peur. Peur des sanctions de sa hiérarchie, peur de connaître des jours sombres.

 A suivre

Georges François Traoré  

Source: Journal L’Informateur- Mali

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