Bina sacrifié sur l’autel d’un resserrement des relations de travail avec les douaniers après que des doutes subsistaient sur le rôle d’agent double de Hawa qui remarquait qu’il n’était de taille à remplacer convenablement son frère dont on était sans nouvelle.
Le prévenu avait tressailli, remuait la tête d’un geste vif comme pour chasser le sommeil. Une faim de loup, doublée de fatigue avaient failli lui faire perdre l’équilibre. Le gendarme croyait à une tentative d’agression dans un temps avant de se raviser quand Bina expliquât qu’il n’avait pas fermé l’œil et qu’il était rongé par une faim insidieuse. Le geôlier haussait les épaules, signifiait à son interlocuteur qu’il n’avait rien à l’offrir, d’ailleurs que son transfèrement n’était plus qu’une question de minutes. Le regard fin, la suppliante attitude de Bina, les deux ruisseaux de larmes qui jaillissaient de ses yeux rouges avaient eu raison des réticences du gendarme, justifiaient sa compassion, demandaient qu’un autre homme puisse se révéler dans cet homme.
-Pas de folie ! Restez là, je vous sers un sandwich.
-Vous avez ma parole.
-Platon, court acheter un sandwich accompagné d’un bol de thé pour monsieur ! Bina regardait autour de lui : il était assis dans un bureau en face d’un sous-officier qui donnait sur la salle d’audition. Certain qu’il ne pouvait fuir, le geôlier l’avait laissé là. Un répit de courte durée puisqu’il n’était pas long à faire de quelques bouchées la demi-baguette de pain bourrée de fritures et avaler de trois traits le thé chaud.
-Où est le prévenu ? Demandait une voix.
-Dans le bureau de l’ACB (acronyme signifiant adjoint au commandant de brigade).
Ses énergies renouvelées, Bina passait derrière le gendarme, lui demandait de daigner lui rendre un dernier service, celui d’informer le sergent-chef Abdou de son arrestation. Sa présentation au procureur paraissait de mauvais augure tant les pièces à conviction s’étaient accumulées contre lui : des cartons invendus de cigarettes, de médicaments de contrebande, deux armes de guerre, etc. D’ailleurs, il était activement recherché depuis quelques années et avait réussi maintes fois à passer entre les mailles du filet, grâce certainement à des complicités insoupçonnées et au concours de son comparse Abdou dont les tirs de barrage avaient fait battre en retraite une escouade.
Pas un seul instant d’hésitation, le prévenu au regard des charges qui pesaient sur lui valaient bien un mandat de dépôt. La poitrine de Bina se gonflait de colère, une question traversait son cerveau fiévreux : était-il plus présumé coupable que le gouvernement qui s’était détourné des populations ?
Le prisonnier suivait son conducteur au bureau du régisseur, puis celui du chef de peloton de la garde, bien vêtu et de basse mine. Le registre d’écrou signé, un surveillant le conduisait dans la chambre n°4.
Les yeux noyés de larmes, Bina passait toute la journée ainsi. A peine s’il mangeait quelques bouchées de sorgho cuit dont la blancheur des graines résistait à une sauce légère et fade, buvait quelques gouttes d’eau. Tantôt il restait assis sur une natte en plastique, absorbé dans ses pensées, tantôt il s’allongeait comme un animal abattu. Une réflexion surtout le faisait sursauter : il était en détention entre trois murs et une façade à la grille robuste ne sachant pas ce que devenaient sa mère, l’épouse de son frère et ses enfants. Aussi, se roulait –il furieux sur la natte posée à même sur le sol cimenté.
Remords mal noyés
Bina plaisait à son voisin de chambre. Et réciproquement, il comprenait pourquoi Théra était tellement populaire parmi ceux qui étaient envoyés réfléchir à l’ombre des barreaux sur les dangers de leur profession. Il y avait en lui une qualité humaine immédiatement perceptible. Nulle trace d’idées noires dans ses propos ou du moins elles avaient fait place à des sentiments de gaieté et d’exaltation. Une formidable vitalité semblait se déclencher. Disparaissaient le sentiment d’être incomplet, le sentiment d’infériorité, l’hésitation. Théra ne doutait plus. Il devenait triomphant, sûr de lui. Mais, de pénibles sensations de grande fatigue demeuraient ou augmentaient.
Au même moment le sergent –chef Abdou ne s’était pas tenu pour battu : dès qu’il avait appris qu’à la suite de son interrogatoire Bina avait été conduit à la prison, il avait couru chez ses amis, s’était présenté chez des personnes qui pouvaient avoir de l’influence, mais déjà le bruit s’était répandu que l’homme arrêté était un baron du trafic de drogue et d’armes. Le sous-officier n’avait trouvé que froideur, crainte ou refus. Il revenait amer, désespéré, parvenait à la conclusion qu’il ne lui était d’aucun secours.
De son côté sa troisième épouse Hawa restait clouée dans sa chambre. Au lieu de se battre, d’essayer quelque chose en faveur du frère de celui par qui elle avait amassé une petite fortune, elle s’était enfermé avec des bouteilles de Whisky et avait noyé ses remords dans l’ivresse. Pas assez pour éteindre les souvenirs qui chantaient et dansaient dans sa tête en permanence. Rendre visite à Bina allait se révéler une sorte de réparation au préjudice causé. De report en report, elle n’avait plus les ressorts moraux d’affronter Bina dont le regard silencieux serait un reproche. En voulant donner la preuve de son loyauté envers les douaniers elle avait balancé son fournisseur. Hawa était cette femme née avec une calculette dans la main. Bina sacrifié sur l’autel d’un resserrement de ses relations de travail avec les douaniers après le constat établi que Bina n’était de taille à remplacer convenablement son frère Sory dont on était sans nouvelle et au moment où des doutes subsistaient sur son rôle d’agent double. Hawa avait le don rare de nager entre les eaux. Ses précieux renseignements avaient permis aux frères contrebandiers épaulés par son actuel mari de déjouer les pièges tendus. Tout semblait indiquer qu’en la matière, la morale ne pesait pas lourd, l’important se trouvait dans les chiffres qui seuls pouvaient lui donner le pouvoir de s’élever à un statut supérieur, de sortir des profondeurs de la misère, d’écraser les autres moins dotés en espèces sonnantes et trébuchantes.
Hawa s’était couchée à son heure habituelle et dormait tranquillement. A l’inverse, la femme de Sory se mourait de douleur et d’inquiétude. Son mari n’avait pas donné signe de vie depuis des mois et les réponses évasives de Bina laissaient la porte ouverte à toutes les interprétations. Ce dernier écroué, elle se demandait si son mari n’avait pas connu un sort analogue qu’il lui cacherait. La famille n’avait rien à se mettre sous les dents. Informé Bina avait promis de faire le nécessaire quand le lendemain la nouvelle de son arrestation était tombée.
Cerveau assiégé
Korotoumou plaignait Bina, s’agenouillait, demandait grâce, déroulait l’épais tapis de prière et implorait le Ciel. Les lampes s’éteignaient, probablement les batteries avaient tout donné de leur énergie. Ses yeux ne s’étaient pas encore habituer aux ténèbres, mais elle semblait voir dans l’obscurité les silhouettes de son mari et de son frère Bina s’éloigner dans les broussailles, parfois ils passaient des heures au salon. Korotoumou avait suivi d’un œil vigilant leurs préparatifs de voyage en Guinée, à Bamako, écouté d’une attentive oreille leur ambition de gagner autrement leur vie.
Elle remarquait que, malgré la distraction maigre que la présence de ses enfants avait apportée à sa tristesse, elle s’assombrissait chaque jour. Une idée germait, paraissait assiéger son cerveau. Tout à coup, elle se décidait à décrocher son sac de voyage suspendu au mur, y rangeait quelques habits à la six-quatre-deux, en plus de deux draps et partait informer sa belle mère de son projet de voyage. Où trouver le gite et le couvert ? Une question à laquelle elle n’avait aucune réponse. D’où sa résolution de se fendre de quelques recommandations d’une poignée de villageois.
A suivre
Georges François Traoré
Source : Journal L’Informateur- Mali