Le fonctionnement normal des écoles au Mali dépend de la restauration de la stabilité et de la sécurité.Comme chaque année au Mali, depuis le début de la crise de 2012, la rentrée scolaire du 9 octobre dernier n’a pas été effective sur toute l’étendue du territoire. Des centaines d’écoles sont restées fermées dans le Nord et le Centre du pays, en raison de l’insécurité.
Selon un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, elles étaient 500 à la fin de l’année scolaire 2016 – 2017, dont plus de la moitié dans la région de Mopti. Dans le Nord, cette tendance résulte du climat d’insécurité entretenu par les actions des groupes armés politiques et terroristes. Dans le Centre, elle est non seulement liée à l’insécurité, mais aussi à l’hostilité des groupes armés terroristes vis-à-vis de cette offre éducative dite « formelle ».
Alors que tous les regards étaient tournés vers le Nord en proie à une rébellion indépendantiste et une occupation « djihadiste », le Centre du pays a progressivement basculé dans la violence armée depuis 2015. Les affrontements intra et inter communautaires sur fond de compétition autour des ressources naturelles, les assassinats ciblés d’élus locaux et d’autorités traditionnelles ainsi que les attaques contre les représentants de l’État rythment le quotidien des populations. Cette situation a entraîné le repli d’une grande partie de l’administration et contraint de nombreux enseignants à abandonner leur poste.
Démunies et laissées à l’abandon par des autorités préoccupées par la montée de l’insécurité, les écoles sont devenues la cible des groupes armés terroristes affiliés à la Katiba Macina de Hamadoun Kouffa, qui exploitent cette faiblesse pour étendre leur influence dans le Centre où ils tentent de gagner la confiance des populations.
En mai 2017, un cap a été franchi avec la destruction de deux écoles dans la commune de Sah, localité située à 30 km de Youwarou, à Mopti, au motif que « c’est l’éducation prônée par la charia qui doit être dispensée ». Selon un rapport d’Amnesty International, à Diafarabé, Togue Mourari et Sarro (Mopti), de présumés « terroristes » ont exigé la fermeture des écoles pour les « transformer en structures dispensant un enseignement coranique ».
Le Mali n’est d’ailleurs pas le seul pays de la région où l’école formelle est mise à mal par la violence armée. Dans le Soum, province burkinabè située à la frontière du Mali, les enseignants et les élèves ont déserté les classes sous la menace des hommes du mouvement islamiste Ansarul Islam, créé par Ibrahim « Malam » Dicko. Même si, pour le moment, la situation semble largement en deçà de ce qui se passe au Mali, le climat de terreur instauré par « Malam » Dicko et ses hommes aura suffi à ébranler l’institution scolaire dans la région du Sahel.
Les difficultés de l’école malienne dans le Centre du pays ne se résument pourtant pas au défi sécuritaire. La relation des populations dans cette région avec l’école dite « formelle » a toujours été teintée de méfiance, cette dernière étant symboliquement et historiquement associée aux valeurs occidentales et à la domination coloniale et postcoloniale. Ce qui en fait une cible idéale des groupes armés terroristes.
Ainsi, en attaquant les écoles dites « formelles », les groupes terroristes tentent de se positionner en adoptant une rhétorique anti-occidentale et en pourfendant l’État, accusé d’être inféodé aux intérêts étrangers. Il semble donc y avoir un calcul politico-religieux derrière les intimidations répétées contre les enseignants et la destruction des infrastructures scolaires.
Les écoles coraniques bénéficient souvent des faveurs des populations, en particulier les communautés pastorales de la région de Mopti qui la voient comme une alternative plus adaptée à leur réalité et à leur mode de vie nomade. Outre la dimension religieuse, il convient surtout de souligner le caractère utilitariste de cette offre éducative.
Cependant, ces écoles ne font pas partie du système formel public national. Cette situation a des conséquences graves sur le niveau de scolarisation qui s’avère très bas. Il faut noter qu’au Mali le nombre d’enfants non scolarisés est passé de 862 563 en 2012 à 1 154 062 en 2015. Par ailleurs, on assiste à une augmentation du nombre des écoles coraniques, en particulier dans les régions de Mopti et Ségou.
Ces évolutions démontrent à suffisance la nécessité d’une prise en compte de cette offre éducative dans le système formel malien. En ce sens, la mise en place d’une commission de réflexion par le gouvernement pour l’intégration des écoles coraniques dans le système éducatif est salutaire. Cependant, les recommandations de la commission ne seront mises en œuvre qu’une fois la phase préliminaire achevée, sur la base des données recueillies par le comité de suivi établi en 2015.
Le secteur éducatif a également un rôle à jouer dans le processus de stabilisation en cours dans ce pays. Certaines étudesont, par exemple, démontré que l’éducation religieuse pourrait contribuer à renforcer la résilience aux idéologies extrémistes, en permettant d’acquérir une certaine autonomie dans la compréhension des textes religieux.
De nos jours, sous l’égide de l’UNESCO, la tendance dans certains pays est à l’intégration dans les curricula nationaux des éléments de résilience à l’extrémisme violent et aux phénomènes qui l’alimentent. Pour ce faire, le gouvernement malien et les acteurs de l’éducation pourraient, de façon inclusive, penser à bâtir un système éducatif comportant à la fois une dimension laïque et une dimension religieuse. Même si, contrairement à une idée reçue, l’éducation ne saurait, à elle seule, être un facteur pour prévenir la radicalisation, quelque soit le contenu des programmes scolaires. De plus, en dépit des efforts sur le plan de l’éducation, les défis sécuritaires constitueront un obstacle au retour des enseignants et des élèves en classe.
Le gouvernement a adopté, en février 2017, un plan de sécurisation intégré des régions du Centre, qui définit les mesures à prendre en matière de sécurité, de développement, de gouvernance et de communication pour faire face à l’insécurité croissante.
Un retour de l’État implique qu’il apporte une réponse au manque d’enseignants, d’équipements et d’infrastructures scolaires, et qu’il assure la sécurité du personnel scolaire et des populations. L’importance pour le gouvernement malien de reprendre la main n’est plus à démontrer, parce qu’il y a un besoin d’État dans le Centre du Mali. C’est une condition préalable à la stabilité, qui à son tour, est cruciale pour le bon fonctionnement des écoles.
Nadia Adam, chercheure boursière, ISS Dakar, Boubacar Sangaré, chercheur boursier, ISS Bamako et Ekaterina Golovko, Visiting fellow, ISS Dakar