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Le Sinankounya au Mali : Valeur historique partagée et facteur de cohésion sociale

Le conseil des ministres du 5 octobre 2021 a adopté le projet de décret portant classement des alliances et parentés à plaisanterie (dont les cousinages à plaisanterie) au patrimoine culturel immatériel national de notre pays. Le Mali est un grand pays issu d’un long et brassage qui a donné naissance à beaucoup de pratiques culturelles.  

 

Selon l’analyse du sociologue, Dr. Amadou Traoré, doyen de la Faculté des sciences sociales de l’Université de Ségou, le Mali est un pays qui vient de très loin, pour avoir servi d’intersection aux entités sociales des plus célèbres en Afrique noire.

Il est le berceau des grands empires de cette partie du monde, et a abrité des organisations sociales qui ont, à leur époque, bravé les péripéties du temps et de l’espace. Il s’agit de l’Empire du Ghana (VIIIe-XIe siècle), du Mali (XIIIe-XVIe siècle), Songhaï (XVe-XIIe siècle), des Royaumes Bambara de Ségou (1712-1861), du Royaume Peul de Macina (1818-1853), etc.

Son dynamisme se trouve manifesté par la pluralité ethnique et dialectale. Les activités sociales étant régies par les rapports à l’espace, composé de zone soudanienne, sahélienne et saharienne, les spécificités ethniques s’y sont dessinées autour des valeurs multiples et variées.

Ces valeurs morales et éthiques ont été de tout temps gage de l’équité et de paix sociale. Il s’agit des sociétés à tradition socialement hiérarchique où les femmes, les enfants, les hommes, les étrangers, etc. se trouvent placés dans un contexte d’équilibre social, malgré la diversité qui symbolise d’ailleurs la force des entités sociales. Amadou Hampaté Ba disait à cet effet : De même que la beauté d’un tapis tient à la variété de ses couleurs, la diversité des hommes fait la beauté et la richesse du monde.

Les liaisons séculaires ont caractérisé les rapports entre nomades et sédentaires. L’organisation de l’espace (Dina de Macina par exemple) a toujours constitué une stratégie d’endiguement de conflits sociaux et communautaires. Société largement agraire, avec comme activité alternative le commerce transsaharien et culturellement avancée, les données archéologiques y ont démontré la richesse sociale et culturelle ancestraux à travers la découverte des plus vieilles citées antique de l’Afrique noire, dont, Djenné-Djenno, prospérée vers 250 av. JC (Balique, 2015).

Penser à une société harmonieuse dépouillée de conflits sociaux, est idyllique et révèle de l’utopie. Il y a eu des périodes d’incursions périodiques (razzia), de conflits inter ethnique etc., à la base de déplacements massifs, de runes, bref, de désorganisations et de réorganisation. Ces facteurs pour le contrôle de l’historicité sont synonymes de mouvements sociaux (Touraine A. 1969), moteurs de la dynamique sociale, qui sont à la base de l’évolution sociale provoquant la succession des empires et royaumes. Ce qu’il faut retenir est que cette société a su développer de moyens efficaces pour sa survie face aux conflits internes et externes. Parmi ces moyens, nous pouvons citer la gérontocratie, le respect des droits de l’homme, et surtout le “Sinankounya” et ses composantes. Ces moyens sont à la base d’une dynamique évolutive, où les différents groupes ethniques ont toujours coexisté.

Les conflits et razzias sporadiques qui y ont existé étaient moins d’ordres ethniques que d’intérêt politique et économique. Ainsi, malgré des exactions de part et d’autre, les Songhaï, Arabes et Touareg ont coexisté et ont tissé de liens séculaires (Cissoko S. M., 1975). Les Peuls, Dogon, Bozo et Bwa, malgré des rapports expansionnistes entre les deux premiers, ont bâti une société multiculturelle dynamique.

Les Bambara, Sénoufo, Mamara, Bwa, etc. ont développé des cultures aux racines communes, permettant une coexistence pacifique. Les Maures, Soninké, Malinké, etc. agencent selon un schéma social de paix et de courtoisie. Toute cette dynamique est accompagnée par la conjugaison du sédentarisme et du nomadisme.

La promotion de la valeur séculaire de “Sinankounya” a constitué le ciment de la superstructure de cette société. En effet, le “Sinankounya” ne peut pas se réduire au seul cousinage à plaisanterie. Cela nous amène à mettre l’accent sur des exemples d’erreurs issues de la colonisation, qui consistent à tout traduire en français.

En effet, le “Sinankounya” est un mot qui n’aurait pas d’équivalent en français. C’est un schéma social inédit, propre à cette société malienne et ses vassaux (Cissé Y. T., 2008) et différent du “cousinage à plaisanterie” que l’on peut trouver partout à travers le monde. Par exemple, l’on retrouve à titre de plaisanterie, les expressions suivantes chez les Français et les Anglais pour se taquiner : i) fuir à l’anglaise ; ii) to take a french leave.

Youssouf Tata Cissé présente le “Sinankounya” comme un instrument de régulation sociale en ce sens qu’il constitue un système de solidarité inter-clanique et inter-ethnique. Pour lui, au-delà de son aspect ludique, cette alliance requiert une assistance mutuelle entre alliés en toutes circonstances, un devoir, voire une obligation de médiation lorsque l’un des partenaires est en conflit avec un tiers. Selon lui, au Mali le “Sinankounya” agit comme une thérapie qui participe quotidiennement à la régulation sociale (Sidibé A., 2008).

Le “Sinankounya”, en plus d’être interethnique et inter patronyme ou encore inter villageois, est accompagné par d’autres formes de réciprocités, notamment à travers le système de parenté. En effet, le respect de la filiation et de la primogéniture y est développé à telle enseigne que prononcer le prénom d’un supérieur généalogique, ou pour une femme d’apostropher son mari, constitue plus ou moins une sensible.

Il existe à cet effet une nomenclature de majesté, dont les préfixes “ba” (père), “ma” (mère), “bina” (oncle), “tènè” (tante), “n’kôrô” (grand-frère), etc. sur le nom des supérieurs d’âge ou de filiation. Ces noms de politesse magnifient la grandeur de ces derniers. Ces formules de politesse existent différemment chez les ethnies. Aussi, le “kalimèya”, le “nimôgôya”, le pacte de circoncision, etc., comme formes de sociabilité, constituent autant de liens sacrés qui vont au-delà de la plaisanterie.

A travers cette brève revue, tout laisse croire que nous avons affaire à une société qui a au centre de ses préoccupations la “paix”. Ismaïla Samba Traoré, dans “Dialogue social et rencontres intercommunautaires au Mali” (2011, p.23), dira que lorsque l’on reçoit le voisin, le parent ou l’étranger, la formule consacrée en bambara/malinké est : “I sigui, an bè kun !” “An bè kun”, dira-t-il, signifie littéralement : nous pouvons nous entendre.

A la lumière de tout ce que nous venons de développer, nous dirons que le “Sinankounya” est une valeur historique partagée et un moyen de cohésion sociale. Toutefois, aujourd’hui, il sort de plus en plus de son contexte dans la mesure où, dans un contexte sélectif, peut être facteur de laxisme et de corruption. Il y a ainsi une nécessité de règlementation.

Cette inscription vient d’être suivie de l’adoption du conseil du mercredi 5 octobre 2021 des ministres portant classement des alliances et les parentés à plaisanterie dans le patrimoine culturel du Mali. C’est un projet porté par le ministère de l’Artisanat, de la Culture, de l’Industrie hôtelière et du Tourisme.

Dr. Amadou Traoré

Sociologue

source : Université Ségou

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