Cette fois-ci, ce n’est pas le Mali, ce n’est pas le Burkina non plus, c’est le Sénégal. Un pays de référence reconnu pour la solidité relative de sa démocratie en Afrique de l’Ouest. Il est même considéré comme une digue démocratique de la sous-région. Ça l’est en effet, au regard de la succession des forcings constitutionnels ouvrant la voie aux 3e et 4e mandats, comme au Togo où Faure Gnassingbé a eu la malheureuse idée d’initier cette pratique, en Côte d’Ivoire et en Guinée.
Alors que depuis quelques années, dans l’espace communautaire de la CEDEAO les peuples tiennent à la limitation à deux des mandats présidentiels, deux facteurs déclenchent la colère de la jeunesse sénégalaise. D’une part, l’entretien de l’ambiguïté par le président Macky Sall sur la question de son éventuel troisième mandat, et d’autre part, l’acharnement judiciaire dont est victime Ousmane Sonko, opposant de pointe et icône de la jeunesse.
Visiblement, l’objectif, au regard des peines encourues et les condamnations prononcées, est de l’empêcher d’être candidat à l’élection présidentielle de février 2024. Un exercice à haut risque pour le Sénégal et pour la sous-région.
La jeunesse sénégalaise en ébullition s’engage par une série de manifestations dans une défiance du pouvoir central. Ce dernier réagit avec une extrême violence et les conséquences sont terribles. Près d’une vingtaine de victimes officiellement dénombrée dans les manifestations en mai 2023. Cela porte le nombre de décès à plus de trente depuis mars 2021 que la saga judiciaire contre l’opposant a commencé. On note aussi un nombre incalculable de blessés, plusieurs centaines d’arrestations et des dégradations considérables de biens publics et privés.
Dans le cas d’espèce, personne ne dira qu’il s’agit de jeunes désœuvrés manipulés par le populisme d’une junte au pouvoir, comme on aime à l’affirmer pour des pays stigmatisés comme le Mali et le Burkina.
Au Sénégal, c’est Macky Sall qui dirige le pays. C’est un président élu après un suffrage universel démocratiquement exprimé, comme ce pays sait le faire. Il est même élu en 2012 avec un soutien très massif de la jeunesse qui a contré les velléités de 3e mandat de son prédécesseur Abdoulaye Wade. C’est cette même jeunesse qui aujourd’hui est en colère contre le président sénégalais, pour les mêmes motifs du mandat de trop.
Des questions complexes se posent.
Le suffrage universel, donne-t-il la légitimité de tout faire durant le mandat, y compris de prendre des décisions contre la volonté largement exprimée du souverain qu’est le peuple ? Le peuple, doit-il laisser faire jusqu’à la fin du mandat pour s’exprimer à nouveau uniquement dans les urnes ? La complexité de ces questions exige une profonde réflexion, dans le but de trouver des mécanismes qui encadrent le risque des dérives autoritaires d’un président légitime porté au pouvoir dans un cadre démocratique.
En partant donc de cette colère au pays de la Teranga, quand on considère la multiplication des crises politiques qui se déroulent ces derniers temps dans la sous-région, un trait commun se dégage. La gouvernance de ces Etats est remise en cause par une grande majorité de la population. Ces dernières années, on constate qu’au-delà de leur personne, Ibrahim Boubacar Kéïta du Mali, Rock Marc Christian Kaboré du Burkina, Alpha Condé de la Guinée, sont tous les trois renversés par un coup d’Etat après une révolte de la jeunesse. Cette dernière dénonçant la corruption, l’absence d’un avenir prometteur, l’instrumentalisation de la justice, la confiscation du pouvoir d’Etat ou l’incapacité à assurer la sécurité du pays.
Dans les faits, en effet, l’expression de la démocratie, dans ses dimensions de souveraineté populaire, d’Etat de droit et de liberté individuelle et collective ne correspond pas aux promesses faites par les dirigeants depuis les années 90 ni aux attentes légitimes de la population. Alors que le monde est en pleine mutation rapide, l’Afrique semble avancer au ralenti.
Pour cela, cette jeunesse connectée sur les réseaux sociaux est devenue particulièrement exigeante. Lasse d’attendre, elle revendique des résultats concrets et immédiats en matière de gouvernance et de perspectives d’emploi.
Abidjan, Bamako, Conakry, Dakar, Lomé, Ouagadougou et même Niamey et Cotonou, les jeunes ont les mêmes aspirations et les mêmes déterminations à obtenir les dividendes de la démocratie et de la bonne gouvernance. Des choses qu’ils considèrent comme des promesses dues et exigibles maintenant.
Le phénomène n’est pas isolé comme on le constate. Sur 8 pays francophones de l’espace communautaire de la CEDEAO, 6 sont sévèrement touchés. Trois présidents ont déjà perpétré un coup d’Etat constitutionnel pour le troisième mandat, trois ont subi une révolte populaire et même un coup d’Etat militaire.
Le débat du 3e mandat a pris corps dans la sous-région et a fait rage au Togo en 2015, lorsque Faure Gnassingbé a initié cette pratique. Il a opéré son passage en force dans une relative indifférence de la CEDEAO. Alors que cette même année-là, l’organisation communautaire cherchait à introduire au protocole additionnel de la démocratie et de la bonne gouvernance, le principe de limitation de mandats à deux. Même des organisations de la société civile de la sous-région n’ont pas été bien actives sur ce sujet en 2015. Ce n’était que le Togo, pensait-on peut-être. Le chef de l’Etat togolais est aujourd’hui à son 4e mandat. On a banalisé ce mal, il métastase jusqu’à ce jour pour menacer les pays les plus solides.
Et maintenant c’est du Sénégal qu’il s’agit. Un pays tant admiré dans la sous-région pour le dynamisme de sa démocratie. Il sombre à son tour dans un chaos consécutif aux velléités du troisième mandat.
Seuls le Niger et le Bénin préservent jusqu’alors leur stabilité politique et sauvent l’honneur dans le marasme du fléau du 3e mandat.
Au final, ce que les autorités présentaient comme un mouvement d’humeur, est donc une véritable lame de fond qui secoue toute l’ancienne Afrique Occidentale Française (AOF) dont la capitale Dakar est désormais prise dans la tourmente aux issues incertaines.
Et en toile de fond de cette colère transversale qui balafre l’Afrique de l’Ouest, il y a la France et ses relations intimes avec ses anciennes colonies, la françafrique. Un atavisme de la colonisation dont la jeunesse veut se débarrasser. C’est cela, la lame de fond.
Maintenant que le Sénégal est concerné, il y a comme une confirmation qui vient de cette ex-capitale coloniale de l’Afrique Occidentale Française. Cela vient définitivement marquer l’importance du phénomène que les chefs d’Etat africains, tout comme leur homologue français, ont jusque-là tenté de banaliser, certains stigmatisant quelques leaders d’opinion qui portent le panafricanisme populaire.
Dans chacun de ces pays en trouble démocratique, et jusqu’au bord de la Seine, plus aucun dirigeant peut faire comme si de rien n’était et chercher à garder les choses en l’état. Ni la gouvernance actuelle dans ces Etats, ni la nature trouble des relations que la France entretient avec ses ex-colonies ne peuvent être maintenues dans un statu quo. Le changement s’impose, et cela s’impose avec urgence.
Il est temps que les chefs d’Etat africains et les organisations sous-régionales assument leur responsabilité. Ils doivent très rapidement prendre en considération, à la juste valeur, la colère et les attentes de la jeunesse, afin de décider des mesures politiques urgentes qui s’imposent, dans le but de préserver la paix sociale et la stabilité.
Le Sénégal doit impérativement retrouver le calme de la paix, en faisant baisser la tension et en desserrant l’étau autour d’Ousmane Sonko. En tant que président de la République, Macky Sall a une grande responsabilité en la matière.
C’est à cette condition que le Sénégal renouera avec l’exemplarité de sa démocratie, pour que la sous-région, déjà durement frappée par les crises sécuritaire et politique, ne sombre davantage dans une extension de ces crises aux lendemains incertains.
Nathaniel Olympio
Président du Parti des Togolais
Source : icilome