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Le président malien est cerné par les juges anticorruptions en France

Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, fait grand-croix de la Légion d’honneur par François Hollande, mercredi 21 octobre, est ouvertement suspecté par la police et la justice françaises de corruption. En cause: ses relations d’affaires avec le “parrain des parrains”, Michel Tomi.

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C’est un intouchable. Mais il est cerné. Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, qui a été fait grand-croix de la Légion d’honneur (la plus haute distinction de l’ordre) par François Hollande, mercredi 21 octobre, au palais de l’Élysée, est aux yeux de la police et de la justice française un suspect.

Bien que protégé par une immunité internationale, qui lui évitera ces prochaines 48 heures tout désagrément politico-judiciaire lors de sa visite d’État à Paris, IBK est cité dans plusieurs rapports de police comme le bénéficiaire direct d’un vaste système de corruption mis en place en Afrique par un homme d’affaires corse, Michel Tomi. Ce dernier a été plusieurs fois condamné dans des affaires financières liées à la mafia insulaire.

Surnommé “le parrain des parrains”, Michel Tomi est mis en examen depuis juin 2014 pour dix-sept chefs d’inculpation, parmi lesquels la « corruption d’agent public étranger ». Or, pour ce qui concerne les marchés maliens visés par l’enquête du juge Serge Tournaire, l’« agent public étranger » en cause n’est autre qu’IBK, hôte de marque à qui la France a donc décidé de dérouler le tapis rouge.

Durant la conférence de presse donnée à l’Élysée par les deux présidents, dans l’après-midi de mercredi, il fut beaucoup question d’« amitié », de « considération » et de « respect ». Au milieu de ces échanges d’amabilités, un journaliste de RFI a interrogé IBK sur ses liens avec le “parrain des parrains” (voir les coulisses de cette question dans notre boîte noire). Lui rappelant qu’il avait évoqué une tentative de déstabilisation lors des premières révélations de Mediapart, il lui a notamment demandé si le sujet avait été abordé lors de son entretien avec François Hollande.

Tandis que ce dernier baissait le regard sur ses notes, le président malien s’est dit « droit dans [ses] bottes » et a surtout… botté en touche. Entre deux images sur « la blanche colombe » qui ne serait pas atteinte par ce qu’il qualifie de « calomnies », il a réaffirmé son amitié pour Tomi, assurant n’avoir « jamais eu de relations d’affaires » avec lui. « Monsieur Tomi a un casino à Bamako qui a été ouvert dans des conditions absolument claires, transparentes, vérifiables, et IBK, que je sache, n’était pas pilote du Mali. J’ajoute également que […] ce Monsieur a beaucoup d’affaires en Afrique, mais au-delà du casino, il n’en a aucune au Mali, et aucune sous IBK bien évidemment », a-t-il précisé, avant de se réjouir du fait que son peuple continue de lui accorder sa « confiance », preuve, selon lui, de sa probité (sous l’onglet Prolonger de cet article, voir l’intégralité de la conférence de presse).

Deux rapports de synthèse de mars et juin 2014 de l’Office anticorruption (OCLCIFF) de Nanterre, consultés par Mediapart, évoquent pourtant l’« influence » de l’homme d’affaires corse sur IBK et les « largesses » dont celui-ci profite de la part du “parrain des parrains”. Il est aussi question du fait que Michel Tomi « assume financièrement de nombreuses dépenses en faveur d’Ibrahim Boubacar Keïta » et lui « offre de nombreux cadeaux de grande valeur ».

Ce qui fait dire in fine aux enquêteurs, après plusieurs mois d’enquête, après l’exploitation de milliers de documents saisis, après l’analyse de centaines d’heures d’écoutes téléphoniques : « Les marchés avec l’État malien dans lesquels Michel Tomi semble avoir un intérêt, d’une part, et les largesses de Michel Tomi envers Ibrahim Boubacar Keïta, d’autre part, pourraient être examinés sous l’angle de la corruption d’agent public étranger. »

Exilé en Afrique, où cet ancien pilier de l’ombre du clan Pasqua s’est établi dans les années 1980, Michel Tomi a bâti avec son groupe Kabi un empire autour des jeux, puis de l’immobilier, puis de l’aviation et, enfin, du lobbying. Le tout en restant en étroite relation avec plusieurs figures du milieu corse en délicatesse avec la justice française. Ses pays de prédilection sont le Gabon, le Cameroun, le Tchad et le Mali. Officiellement, son groupe pèse plus de 600 millions d’euros par an. Michel Tomi a également ses entrées au sein des services secrets français par l’intermédiaire de son frère, en poste à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Les six marchés maliens incriminés par l’enquête du juge Tournaire relèvent, aux yeux des enquêteurs, du parfait catalogue de la corruption. On y croise les dessous financiers de l’achat pour 36 millions d’euros par l’État malien de l’avion du président Keïta, les contrats liés à la protection rapprochée du même président, les conditions de l’implantation de sociétés chinoises au Mali ou l’exploitation d’une mine d’or… Partout, les hommes de Tomi apparaissent dans les négociations quand ce n’est pas le “parrain des parrains” lui-même qui joue de ses relations avec tout l’appareil d’État malien.

Pour s’attirer les bonnes grâces des autorités maliennes, Michel Tomi ne s’embarrasse pas. Il vise haut. Mieux vaut s’adresser à Dieu qu’à ses saints. L’enquête judiciaire a ainsi établi la longue liste des libéralités que le clan Tomi a consenties au président malien : un 4×4 Range Rover, des nuitées d’hôtels dans les plus beaux palaces parisiens ou marseillais, des déplacements en limousine, des costumes derniers cri, des accessoires de luxe (lunettes, chapeaux…), etc. Tout est payé rubis sur l’ongle.

Lors d’une conversation téléphonique, interceptée le 28 mars 2014 par les policiers, un proche du “parrain des parrains”, l’élu corse Pierre-Nonce Lanfranchi, semble avoir bien saisi à quel point le président malien est embourbé dans ce dossier : « Il va finir en garde à vue, hein ? »

 

IBK se dit « serein »

Il faut bien dire que Michel Tomi est aux petits soins pour IBK, à tous points de vue. Et pas seulement financiers. Il s’enquiert de sa santé, organise ses rendez-vous chez le médecin, lui rappelle ses prescriptions médicales, liste les médicaments qu’il doit prendre sans faute. Le Corse va même jusqu’à choisir les films qui doivent être téléchargés dans l’iPad du chef de l’État. Ce dernier le considère « comme un frère ». Mais c’est, en réalité, davantage un rôle de nounou que remplit le “parrain des parrains” auprès de l’homme fort du Mali.

Les écoutes téléphoniques réalisées sur ses différents téléphones portables – il utilise un numéro spécial pour parler avec le couple Keïta, pensant ainsi échapper à la vigilance des enquêteurs – montrent l’étendue de son emprise sur ce président qu’il couve d’attentions. Comme ce 3 décembre 2013, lorsqu’il s’assure que son protégé a bien réceptionné le manteau qu’il vient de lui faire livrer. « Comme ça demain, vous vous couvrez bien », lui glisse-t-il, tendrement.

Pour justifier ces multiples égards, Tomi évoque devant les policiers une « relation d’ordre familial, paternel » avec IBK. Les juges, eux, préfèrent parler de « corruption ». Car si le ton des conversations entre les deux hommes est souvent amical, leur nature n’en demeure pas moins professionnelle. Le Corse s’immisce dans les affaires de la présidence à maintes reprises.

Selon un rapport de synthèse de mars 2014, son « influence » ne connaît aucune limite. Quand deux ministres du gouvernement s’opposent à l’achat du fameux Boeing 737-700 pour des raisons de bonne gestion, il « contacte immédiatement le président malien, lui demandant [de les] appeler ». « Le soir même, le président malien prend attache avec Tomi pour l’informer qu’il a contacté son ministre de l’économie et que la signature de la vente de l’avion ne pose aucun problème. » Un contrat à plusieurs millions de dollars débloqué en un coup de fil, c’est aussi cela la puissance de frappe de Tomi.

Les enquêteurs notent que le Corse « fait jouer ses relations au plus haut niveau des dirigeants de l’État malien afin de favoriser les intérêts » de certaines entreprises amies. Quand ce n’est pas IBK au bout de la ligne, ce sont ses ministres ou son plus proche collaborateur, Mahalmoudou Sabane, qui recueille les recommandations de Tomi. La justice soupçonne ce dernier d’avoir « un intérêt financier » dans plusieurs des marchés visés par l’enquête. Lui continue de prétendre ne jouer qu’un simple rôle d’intermédiaire.

En mai 2014, après les premières révélations du Monde dans cette affaire, le président malien avait assuré à Jeune Afrique : « Michel Tomi est resté mon ami. Mais jamais, au grand jamais, il n’a été question d’argent entre nous. » Les nombreuses écoutes téléphoniques semblent pourtant attester le contraire. Et c’est sans doute l’une des raisons qui ont poussé Me Pierre-Olivier Sur, l’avocat français d’IBK, à les dénoncer publiquement. « C’est une première à ma connaissance », s’insurgeait-il en découvrant l’enquête de Mediapart sur le contenu des écoutes. Aucune requête n’a pourtant été déposée officiellement par les avocats d’IBK pour les contester.

Depuis le début de l’affaire, le président malien se dit « serein » quant à son issue. Et pour cause. Comme tous les chefs d’État en exercice, il bénéficie d’une immunité et ne peut, à ce titre, faire l’objet de poursuites par une instance étrangère. Ce qui, en revanche, n’est pas le cas de son entourage. Ainsi l’ex-ministre de la défense, Soumeylou Boubèye Maïga, a-t-il été placé en garde à vue dans les locaux de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) de Nanterre, du 2 au 4 octobre 2014.

Ancien chef des services de renseignements maliens, puis ministre des affaires étrangères (2011-2013) avant de passer à la défense (2013-2014), Maïga est considéré comme un proche d’IBK. Les enquêteurs ont souhaité l’interroger sur la livraison d’uniformes militaires par la société française Marck, ainsi que les conditions d’acquisition du Boeing 737-700 présidentiel. Deux des nombreux marchés pour lesquels le Corse a fait jouer ses relations privilégiées.

Comme beaucoup d’autres membres du gouvernement malien, “SBM” a lui aussi été écouté de façon incidente par la justice. Dans ces interceptions téléphoniques, on retrouve également Moustapha Ben Barka, neveu d’IBK et ancien ministre malien de l’industrie, devenu secrétaire général de la présidence en février 2015, ou encore le ministre des mines, Boubou Cissé. Tous ces éminents responsables politiques, Tomi les appelle affectueusement ses « neveux ». Logiquement, ils lui rendent la pareille en le surnommant « Tonton ».

Mais au-delà des liens que supposent ces petits noms, les ministres maliens semblent surtout avoir prêté allégeance au “parrain des parrains” tant ils répondent sans sourciller à chacune de ses requêtes. À la manœuvre sur un nombre considérable de sujets, Tomi organise les rencontres, fixe les rendez-vous, presse à la signature des contrats. Bref, il gère les affaires de la République.

Le président Ibrahim Boubacar Keïta répond à la question sur ses liens avec Michel Tomi à partir 27’20 :

« Je reste droit dans mes bottes. Ce monsieur dont vous parlez m’a été présenté par un homme dont je respecte la mémoire, le président Omar Bongo. S’est tissé entre nous une relation d’amitié et de fraternité au-delà desquelles relations, il n’y a jamais eu de relations d’affaires. »

« Monsieur Tomi a un casino à Bamako qui a été ouvert dans des conditions absolument claires, transparentes, vérifiables, et IBK, que je sache, n’était pas pilote du Mali. J’ajoute également que, vous pouvez vérifier, ce monsieur a beaucoup d’affaires en Afrique, mais au-delà du casino, il n’en a aucune au Mali, et aucune sous IBK bien évidemment. Je n’en dirai pas plus. »

« Quelqu’un a dit que certaines choses doivent mourir de leur propre venin. Ces choses-là sont connues, celle que vous évoquez est de celles-là. Cet homme-là est connu par son peuple. Pensez-vous qu’au sortir d’une crise de trois ans, s’il avait été celui-là que l’on essaye de noyer sous la souillure, il aurait été plébiscité par le peuple malien, qui est un peuple qui sait la vertu de l’honneur et de la dignité, qui tient à l’intégrité de ses hommes d’État ? »

« IBK, président du Mali depuis deux ans, vit dans la maison de son père et les Maliens le savent. Là aussi il a été dit des choses monstrueuses. Cette maison a été construite denier par denier par moi et mon épouse. Et par un prêt bancaire vérifiable, traçable. Je mets quiconque au défi de dire le contraire. »

« Dès lors, il est courant de dire chez nous que même le prophète n’a pas été à l’abri de la calomnie la plus odieuse. Qui suis-je moi ? Simple mortel. Je suis mon chemin, j’ai mon cap. Personne ne m’en fera dévier. Et j’ai le bonheur de compter sur l’estime de mes amis dont certains, dès le lendemain de ce à quoi vous faites allusion, me l’ont dit avec la plus vive amitié – et je ne les citerai pas pour ne pas les gêner –, dont certains, dès le lendemain à Bruxelles, où se donnait une conférence France-Afrique, et j’en ai été vivement soulagé. Voilà pourquoi je suis à l’aise et je ne courbe pas l’échine parce que ce qui peut toucher la blanche colombe, n’est surement pas ce que le crapaud peut produire. Je conduis mon vol. »

« Et ça continue d’ailleurs. On a même essayé de saboter cette visite à Paris. Peine perdue. Qui au Mali, digne de la qualité de Malien, n’est pas fier de ce qui a été réservé au Mali ? Je l’ai dit, cher ami François, j’en suis le récipiendaire, mais c’est bien à mon pays que vous avez [fait] l’honneur qui est rare en France ici, dans la hiérarchie des protocoles d’État. C’est au Mali que vous avez fait honneur, par votre ami IBK, de manière incidente. Voilà la vérité. Et je souffre qu’on n’aime pas IBK, je ne souffre pas beaucoup qu’on n’aime pas le Mali. Voilà. »

Source: Canard Déchainé

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