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Le président Ibrahim Boubacar Keita en tenue de combat

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Attentat et menaces d’Aqmi, échauffourées avec les rebelles touaregs, fronde d’une trentaine d’éléments de l’ancienne junte… Confronté à ce triple péril, le nouveau président malien, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), affiche la plus grande fermeté.

Il n’aura pas fallu plus d’un mois après sa prise de fonctions, le 4 septembre, pour ramener Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) à la dure réalité de ce que sera son mandat. Dans l’immense poudrière qu’est devenu le Mali, la première mèche a été allumée à Kidal. Le président se trouvait à New York, à l’Assemblée générale des Nations unies, quand la nouvelle est tombée, le 27 septembre en milieu de journée. Quelques heures plus tôt – il faisait déjà nuit au pied de l’Adrar des Ifoghas -, des soldats maliens avaient été visés par une attaque à la grenade devant une banque de la ville. Bilan : deux blessés.

Puis plusieurs points sensibles du pays se sont embrasés. Comme si l’on avait voulu, en l’espace de trois jours, dessiner une cartographie des périls qui guettent le nouveau régime.

Tombouctou, le 28 septembre : attentat-suicide revendiqué par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) contre une caserne (bilan officiel : quatre kamikazes et deux civils tués, six soldats blessés). Kidal à nouveau, le 29 septembre : échanges de tirs entre des éléments du Mouvement national de libération de l’Azawad et l’armée malienne (trois blessés dans les rangs du MNLA). Enfin, le lendemain, à Kati – le fief des ex-putschistes, à 15 km de Bamako -, fronde d’une trentaine d’éléments de l’ancienne junte réclamant une promotion.

Ce dernier épisode a contraint IBK à écourter de deux jours la visite officielle qu’il avait entamée en France. Dès la fin de son entretien avec François Hollande, le 1er octobre, il a sauté dans son avion. Le lendemain, premier discours de crise en direct à la télévision. Et premiers uppercuts. C’est un homme visiblement irrité, “indigné” et “humilié” par la mutinerie de Kati, cette “gifle à la nation”, qui s’exprime, n’hésitant pas à prendre quelques libertés avec le discours que lui ont préparé ses conseillers pour réaffirmer sa fermeté. Commentaire de l’un de ses ministres : “Fini l’euphorie de la victoire. Nous avons un pays à reconstruire.” Et trois urgences à régler.

Aqmi, menace permanente

Des jihadistes d’Aqmi IBK n’a pas fait mention dans son adresse à la nation. Pas question pour lui de répondre au communiqué insultant de la nébuleuse publié le 30 septembre par le site mauritanien Al Akhbar. Signé de “l’Émirat du Sahara d’Aqmi”, ce texte revendique l’attentat-suicide de Tombouctou, et s’en prend une nouvelle fois à Paris : “Nous disons au président de la France : nous avons vu les manifestations clownesques que tu as orchestrées dans le stade de Bamako [le 19 septembre], où a été investie  cette chose dénommée Ibrahim Boubacar Keïta, tel un fonctionnaire investi [de la défense] des intérêts de ses maîtres après qu’ils l’ont amené au pouvoir lors d’une pitoyable mascarade électorale.” Le message est clair : le régime d’IBK, suppôt de la France, est désormais une cible.

De fait, en s’attaquant à une caserne de Tombouctou, la nébuleuse a marqué son retour dans le Nord-Mali. Depuis le début de l’opération Serval, seul le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) avait revendiqué des attentats. Sonné par l’offensive des armées française et tchadienne qui aurait fait, selon Paris, entre 600 et 1 000 victimes dans ses rangs, Aqmi semblait avoir fui le champ de bataille. “Ils ont disparu un moment, confirme une source sécuritaire française. Mais ils se sont réorganisés.”

Ce n’est pas un hasard si l’attaque a été menée par deux hommes de la katiba Tariq Ibn Ziyad, celle que dirigea Abou Zeid avant de périr sous les bombes françaises en mars, et qui dispose d’un nouveau leader en la personne d’Abou Saïd el-Djazaïri. “Les nouveaux chefs vont vouloir asseoir leur autorité, nous prenons la menace au sérieux”, souligne Soumeylou Boubèye Maïga, le ministre de la Défense.

Côté français, si l’on se montre moins serein qu’il y a un mois, c’est parce qu’il y a eu des signes avant-coureurs. Quelques semaines avant l’attentat, un camion bourré d’explosifs avait été intercepté dans le Nord. Les services de renseignements ont également noté que les mouvements entre le sud de la Libye, où une partie des jihadistes se seraient réfugiés, et le nord du Mali s’intensifiaient. Les Français ont d’ailleurs fait de cette autoroute de l’internationale salafiste une priorité : ils veulent la casser.

“Nous ne sommes pas dupes, ils attendent le départ de nos troupes pour réoccuper le terrain”, admet un diplomate français. On comprend qu’IBK ne soit pas pressé de voir les soldats français quitter le pays. Ils sont encore près de 3 000, et l’objectif de réduire leur nombre des deux tiers d’ici à la fin de l’année a été reporté sine die.

 

Kidal, opération déminage

De Kidal, IBK a un peu plus parlé lors de son allocution. “Ma main reste tendue”, a-t-il indiqué, rappelant sa volonté de mener une vaste réforme de décentralisation. Mais il n’est guère allé plus loin, conscient que, dans les négociations engagées avec les rebelles touaregs, chaque mot peut avoir de graves conséquences. En s’opposant, mi-septembre, à toute idée d’autonomie, le président s’est attiré les foudres des leaders du MNLA. La veille des heurts du 27 septembre à Kidal, les trois groupes insurrectionnels du Nord, le MNLA, le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), avaient invoqué ces “déclarations belliqueuses” d’IBK pour justifier leur décision de suspendre leur participation à la mise en oeuvre de l’accord-cadre de Ouagadougou signé le 18 juin.

Voilà pour la partie visible des négociations – ce qu’un conseiller du président appelle “des gesticulations médiatiques”. En coulisses, celles-ci se poursuivent et, d’un côté comme de l’autre, on assure rester ouvert aux discussions. Les affrontements de Kidal n’ont rien changé à la stratégie d’IBK. Celui-ci prône un dialogue franc et direct, mais a fixé une ligne à ne pas franchir : ni autonomie, ni fédération.

Loin du brouhaha des armes, Cheikh Oumar Diarrah, le ministre de la Réconciliation et du Développement des régions du Nord, qui s’est entouré d’une équipe de diplomates et de hauts fonctionnaires, multiplie les rencontres informelles avec tous les groupes. Certains sont même représentés à Bamako, mais il ne veut pas dire lesquels. “Cela pourrait engendrer des problèmes”, souffle-t-il. Selon nos sources, Mohamed Ag Intallah, le fils de l’aménokal Intallah Ag Attaher, une autorité morale qui reste très influente à Kidal malgré son grand âge, est de ceux-là. Ancien cadre du MNLA, il est aujourd’hui à la tête du HCUA. Mais, officiellement, il est à Bamako en tant que “notable” de la ville.

La discrétion est de mise car les dissensions au sein de ces groupes sont nombreuses. “Certains veulent négocier, d’autres sont sur une ligne plus dure. Il y a aussi des conflits d’intérêts et de personnes. Et les radicaux accusent ceux qui négocient d’être des vendus”, précise un expert du Sahel. “Dans les années 1970 comme dans les années 2000, il y a toujours eu des divisions au moment des négociations, nuance Diarrah. Cela ne doit pas nous empêcher d’avancer. Il faut donner du temps à certains groupes afin qu’ils puissent assumer publiquement leur position.”

Pour rétablir la confiance, le ministre a ordonné le 2 octobre la libération de vingt-trois détenus considérés comme des combattants ou des sympathisants du MNLA. Et compte agir de même dans les prochaines semaines.

Kati, vider l’abcès

À l’égard des mutins de l’armée nationale, la patience n’est en revanche plus de mise. Dans son allocution, IBK n’a pas fait dans la nuance. “Il suffit ! a-t-il vitupéré. Kati ne fera plus peur à Bamako !” Au même moment, la trentaine d’hommes qui faisaient le siège de la maison du général Sanogo, dans le camp militaire de Kati, pour réclamer les mêmes privilèges que lui (des avantages, et surtout une promotion), étaient désarmés et mis aux arrêts. “S’ils pensaient obtenir quelque chose en employant la force, ils se sont trompés d’époque”, glisse un général proche du président.

Ils auraient dû s’en douter lorsque, la veille, Soumeylou Boubèye Maïga, le ministre de la Défense, était venu négocier la libération du lieutenant-colonel Diallo, le bras droit de Sanogo, qu’ils avaient séquestré et blessé. Ils lui avaient réclamé des indemnités et un avancement, mais Maïga n’avait rien lâché. Il savait que, malgré des appels diffusés dans les autres casernes du pays, leur mouvement ne serait cette fois pas suivi.

Ce que le ministre qualifie de “dernier soubresaut” du putsch de 2012 a permis à IBK de solder l’héritage du gouvernement précédent. Non seulement il en a profité pour annoncer la dissolution du Comité militaire pour la réforme des forces de sécurité et de défense, cet objet institutionnel non identifié créé pour caser Sanogo et ses proches en début d’année, mais, en plus, l’intervention des forces spéciales à Kati pour mater la mutinerie a permis de désarmer les hommes du bouillant capitaine. D’une pierre deux coups…

IBK s’est également adressé à la hiérarchie : “Que la chaîne de commandement se fasse obéir”, a-t-il averti. Ajoutant que si elle s’avouait “impuissante et incompétente”, il prendrait ses responsabilités. Au sein de l’état-major, le message a, paraît-il, été reçu cinq sur cinq.

Rémi Carayol

Jeune Afrique

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