Nommé à la tête de CMDT pour relancer le secteur du coton après une crise sans précédente, Dr. Nango Dembélé se dit très optimiste quant à l’issue de la campagne et l’atteinte des objectifs.
Votre nomination a suscité beaucoup d’engouement auprès des paysans. Vous arrivez à un moment de crise profonde du secteur du coton. Vos constats lors de vos dernières sorties sur le terrain ?
Dr Nango Dembélé : Vous savez, il est très difficile de parler de soi. Le monde agricole ne m’est pas étranger. Je suis fils de paysan et issu de ce milieu. Mes études ont porté sur ça. Donc, il y a beaucoup de familiarité avec ce monde qui, je pense, me comprend assez aisément. Tout ce qui touche ce monde rural me touche et je n’ai pas toujours été compris dans la défense des intérêts du monde paysan. Mes tournées m’ont permis de revoir ce monde que je connais bien et nos échanges ont été des plus cordiaux du monde. Après tout ce que j’ai vu et entendu, je suis particulièrement optimiste quant à la réussite de la compagne si nous avons une bonne pluviométrie bien sûr.
Quel était l’état des lieux de la CMDT à votre arrivée et comment se présente la relance du secteur ?
Pour moi, le plus important est de créer des incitations nécessaires pour ramener les paysans dans les champs. Cela se résume en deux étapes essentielles. Premièrement, aujourd’hui, Dieu merci, avec l’annonce du prix du kilo de coton graine à 280 F CFA, le maintien des subventions et les échos qui nous parviennent du monde rural, beaucoup de paysans sont prêts à reprendre la culture du coton. C’est pourquoi je dis que le pari est à moitié réussi. Au moins les acteurs principaux qui sont les paysans eux-mêmes se mobilisent pour descendre dans les champs pour cultiver le coton.
La deuxième étape se situe au niveau de la CMDT elle-même. Elle consiste à la mise en place de moyens de production nécessaire pour la reprise de la culture du coton. Il s’agit d’abord des engrais qui doivent arriver à temps au niveau des villages. Ensuite, il faut acheminer tout ce qui concerne les insecticides, les herbicides et les appareils de traitement du coton. La situation du prix d’achat du coton étant réglée, ça c’est la logistique que nous sommes en train de déployer sur le terrain. En cela, je suis assez optimiste parce qu’on a un important stock de reports d’intrants qu’on a vérifié sur le terrain. C’est un stock de très bonne qualité. Je pense que le complément nécessaire que nous sommes en train d’acheter devra nous permettre de couvrir les besoins de notre objectif de production qui est de 810 000 tonnes. Certains se demandent par rapport à cette ambition pour une production qui tourne aux alentours de 156 000 tonnes. Si on a une bonne pluviométrie, on devrait revenir au niveau de production des années passées. Ce qui serait encourageant pour le pays et pour l’ensemble de l’économie nationale. Le dernier point, on espère le maintien du cours de la fibre de coton sur le marché mondial. Aujourd’hui, ce cours par rapport à l’an passé, il est très bon. Il se raffermit davantage chaque jour et nous espérons que cela puisse continuer parce qu’il nous reste encore des stocks de la campagne 2019-2020 et la campagne 2020-2021.
Y a-t-il des inquiétudes que cet objectif ne soit pas compris ?
Je suis très optimiste pour les perspectives de la campagne à venir. La seule inquiétude que j’ai, c’est le retard accusé pour passer le marché des intrants complémentaires. Dans les années normales, la CMDT, à partir du mois d’octobre, conclut ses marchés. En novembre et décembre déjà les commerçants commencent à livrer. Mais cette année, c’est en fin mars et la première semaine d’avril que nous avons passé les marchés. Mais, puisque ce ne sont pas des quantités assez importantes, on espère les avoir d’ici à mai pour sécuriser les besoins de production que nous promettons pour la campagne en cours.
Le seul souci que j’ai actuellement est une situation qui ne relève pas de la CMDT. Il s’agit des pénuries de containers dans les différents ports ouest-africains. Aujourd’hui, les embarquements des balles de coton sont très lents à Dakar et à Abidjan. Nous avons fait des ventes mais il n’y a pas de containers. Même le mouvement des navires s’est ralenti, avec une forte reprise économique en Asie surtout. Cela commence à être un souci pour nous.
Récemment vous avez reçu un accord de financement de 20 milliards FCFA de la BDM-SA et d’une banque offshore pour financer la campagne. Etes-vous soulagé ?
En fait, on a finalisé cet accord ; ce sont des prêts qui sont gagés sur le coton. C’est-à-dire que le banquier, lorsqu’il nous prête cet argent, c’est ce qui nous permet de rembourser les engrais utilisés pour produire le coton, de financer l’exportation, le ramassage du coton ; tous les frais. Comme nous n’avons pas d’argent pour faire face à toutes ces charges, nous contractons donc des prêts chaque année. Ces prêts sont appelés prêts de campagne. Même l’année prochaine, nous allons contracter le même prêt en fonction des objectifs de la campagne. Ces prêts permettent de payer aussi les traites des fournisseurs d’intrants. Maintenant, le remboursement se fait en fonction de nos ventes. Une fois le coton vendu, l’argent est versé au niveau de la banque offshore, mais la banque leader, c’est la BDM-SA. Elle prélève sa partie et nous envoie une partie qui nous permet de fonctionner. Ce qui fait la difficulté cette année, nous avons acheté plusieurs milliards d’intrants. Puisque les intrants n’ont pas été utilisés, cela veut dire qu’il n’y a pas eu de production. Or, c’est la production qui devrait nous permettre de rembourser. Ce qui fait que le système, aujourd’hui, est endetté à des niveaux assez élevés.
Votre prédécesseur avait annoncé que l’Etat du Mali vous doit quelque cents millions de F CFA. Qu’en est-il ?
Les évaluations récentes ont montré qu’il s’agit de 87 milliards F CFA d’arriérés en termes de subvention. Vous savez, l’Etat a fait un redressement fiscal au niveau de la CMDT pour un montant de 47 milliards F CFA. Donc, aujourd’hui, ce sont 40 milliards qu’il nous doit. Les mandats ont été faits. A ma connaissance, à ce jour les banques n’ont pas été payées. C’est effectivement un autre problème. Parce que lorsque nous émettons les traites à termes, les opérateurs économiques et les banques sont embêtés parce que l’Etat n’arrive pas à éponger complètement ses dettes. C’est pourquoi je vous disais que si nous parvenons à réaliser l’objectif de 810 000 tonnes cette campagne, cela permettra d’aérer un peu les finances de la CMDT, de soulager les banquiers et les fournisseurs.
Propos recueillis par Amidou KEITA