Avec son poing prêt à frapper, le pratiquant de dambe, la boxe traditionnelle du nord du Nigeria, attend comme un scorpion que son adversaire esquisse le premier geste.
Puis, vêtu d’un simple short et porteur d’une amulette de cuir noir et de fil de fer, il abat le poing, touche la mâchoire et remporte le match.
Le dambe, un style de boxe brutal où une main bandée sert à l’attaque et l’autre, libre, à se défendre, est dans la tradition l’héritage des Haoussas du nord du Nigeria. Mais ce soir-là, le combat a lieu dans la capitale économique du pays, Lagos, située dans le Sud.
« C’est une tradition ancienne du Nord que nous introduisons dans le Sud », explique le commentateur, disant sans ambage vouloir « voir des dents rouler ».
D’habitude, les matches se déroulent sur des places poussiéreuses ou dans de petites enceintes, mais cette fois les boxeurs de dambe combattent sous les projecteurs installés sur la plage de Lekki, une banlieue prospère de Lagos, où les assauts sont retransmis sur écran géant.
A la différence du Nord musulman, où les spectateurs sont essentiellement des hommes et où l’alcool est interdit, des femmes assistent aux matches à Lagos, cocktail à la main et cigarette à la bouche. Les gratte-ciels d’Eko Atlantic, un quartier gagné sur l’océan, forment la toile de fond du spectacle.
Mais la tentative d’introduire le dambe auprès des élites de la mégalopole illustre aussi la complexité du Nigeria.
Les administrateurs coloniaux, les Britanniques, ont découpé le pays selon des lignes ethniques – Yoruba dans le Sud-Ouest, Igbo dans le Sud-Est et Haoussa dans le Nord -, une recette synonyme de divisions et d’antagonismes qui perdurent des décennies après l’indépendance.
Pour certains Nigérians, le dambe pourrait aussi bien venir d’une autre planète.
« J’ai vu ça sur YouTube, mais jamais en vrai », dit Tutu Adetunmbi, une programmatrice de 26 ans qui vit à Lagos.
« Si vous ne parlez pas haoussa, vous ne comprenez pas », ajoute-t-elle.
La soirée dambe de Lagos a été le résultat d’une patiente recherche d’un compromis pour combler le fossé culturel.
– ‘Mon gagne-pain’ –
Les commentateurs ont alterné l’usage de l’anglais et de l’haoussa et se sont appliqués à expliquer les règles de base du dambe à leur public.
Le moment venu, le commentateur présente un combattant venu de l’Etat central du Niger. « Pour ceux qui ignorent où se trouve l’Etat du Niger, il est frontalier de celui de Kaduna », un grand Etat de la fédération nigériane.
La musique elle-même n’échappe pas aux clivages. Tambours et chants hypnotiques du Nord alternent avec un DJ jouant du Davido, la pop-star nigériane, et du rapper Illbliss.
Les combattants semblent toutefois peu affectés par ces différences culturelles.
« C’est un sport haoussa mais je suis un Yoruba de l’Etat d’Ogun », dans le Sud-Ouest du Nigeria, déclare Abdul Akeem, 33 ans.
Un autre boxeur, Akeem, a voyagé dans tout le pays en douze ans de carrière.
« C’est mon gagne-pain », explique-t-il en fléchissant le bras droit, « mon arme », ajoute-t-il.
A l’origine pratiqué par les bouchers du Nord, le dambe peut aujourd’hui rapporter 200.000 nairas (556 dollars) par combat, précise Abubakar Usman, un vétéran de ce sport, deux médailles autour du cou.
Certaines traditions sont encore en vigueur aujourd’hui. Usman, 28 ans, exhibe un bras droit totalement recouvert de cicatrices d’un centimètre de long faites au rasoir et enduit de « médecines » censées faciliter la victoire.
« C’est mon boulot, mon business », dit-il.
Plus avant dans la nuit, des spectateurs ont quitté les gradins et se sont rapprochés du ring. « A Lagos, nous avons nos propres traditions », déclare Vincent Atueyi, un footballer de 25 ans.
« Ce n’est pas quelque chose que je vois tous les jours ».