Le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop a participé à Bruxelles du 29 juin au 2 juillet 2022 au Forum Crans Montana sur l’Afrique sur le thème : «Dresser l’état d’un monde en danger, Relever les défis les plus urgents». À cette tribune, le chef de la diplomatie malienne a été fortement ovationné pour la pertinence de son discours.
Excellences Messieurs les Anciens Présidents, anciens Premiers ministres,
Cher ami Jean Paul Carteron,
Distingués invités
Mesdames et Messieurs,
C’est toujours difficile de parler en dernier lieu. Je pense que tout a été dit. Je vais être bref.
Je suis là pour représenter le Colonel Assimi Goita qui est le Président de la Transition malienne. Je vous transmets ses amitiés.
Pour être bref. En lisant la thématique de cette réunion et en essayant d’être focalisé, je peux dire que les défis les plus importants auxquels nous faisons face dans le monde, ce sont les défis liés au leadership et à la gouvernance mondiale qui sont en faillite totale. C’est pourquoi, nous n’arrivons à régler aucun de nos problèmes en ce moment. Parce que que nous n’avons ni les pays ni les dirigeants ni les organisations qui ont la capacité ni même la légitimité de régler les problèmes qui se posent à nous.
Si je prends le cas spécifique du Mali qui est aujourd’hui dans cette difficulté particulière. Je crois que le problème du Mali est lié à une erreur géostratégique monumentale qui a été l’intervention occidentale en Libye qui a été mal pensée, mal exécutée et l’objectif n’a pas été défini. Je pense qu’on parle récemment de l’Ukraine. Mais avant l’Ukraine, il y a eu des erreurs stratégiques monumentales qui ont fait qu’on a renversé un régime qui a projeté des rebelles et des groupes terroristes au Nord du Mali. Ce qui a fait que le Mali a perdu les deux tiers de son territoire.
‘’Une gouvernance mondiale dominée par des approches unilatérales qui nous ont amenés dans des problèmes que personne n’assume’’
Aujourd’hui, l’insécurité touche l’ensemble de la région. Et, ce ne sont pas les seules erreurs, il y en a eu beaucoup. L’Irak a été attaqué sur la base de prétextes fallacieux, nous le savons aujourd’hui. Ce qui s’est passé en Syrie… Donc, nous avons une répétition de crises qui se passent. Parce que nous avons une gouvernance mondiale qui a été dominée par des approches unilatérales qui nous ont amenés dans des problèmes que personne n’assume.
Aujourd’hui, si on veut repartir à la base, de mon point de vue, c’est de sortir de ce schéma d’agressions, des réponses militaires, militaristes. Parce que, toutes nos solutions, même par rapport à la gouvernance mondiale, c’est de favoriser des réponses militaires. Or, nous savons qu’aujourd’hui en Afrique notre premier problème, c’est notre jeunesse. Si nous arrivons à créer des emplois, industrialiser le continent, à faire avancer l’intégration régionale, nous créerons plus de richesses que l’aide au développement peut nous apporter. Je crois que c’est ça, la véritable prévention des conflits. Si nous occupons nos jeunes, nous ne ferons pas face à ces groupes terroristes aujourd’hui, parce qu’ils n’auront pas de souche pour recruter les uns et les autres.
‘’Avoir une gouvernance mondiale qui soit inclusive…’’
Je crois qu’il faut sortir de cette approche. Il faut que nous revoyions tout notre logiciel par rapport à la façon dont nous traitons entre nous, le Président Yaye Boni en a parlé. C’est la faillite de la diplomatie mondiale, parce qu’on ne dialogue plus, on ne se parle plus. On se rend compte que l’Occident même est devenu une minorité dans le monde. Il y a eu quand même des puissances démographiques et économiques importantes qui sont apparues qui ne sont pas dans la gouvernance mondiale. Comment nous pouvons faire en sorte de pouvoir avoir une gouvernance mondiale qui soit inclusive qui nous permet d’apporter une réponse, si on veut traiter avec l’Afrique dans cette gouvernance mondiale, il y a quelques éléments clés. Il faut qu’on sorte des politiques d’ingérence et des politiques de domination, qu’on laisse les africains travailler ensemble, trouver des solutions. Parce que, chaque fois que les autres sont venus mettre le pied dedans, le terrorisme qu’on a, c’est un peu ça. On a notre responsabilité, mais ce sont des choses qu’on nous a amenés. Pour moi, l’ingérence, on doit sortir. On doit pouvoir respecter les africains. Que les africains ne soient pas des sujets, mais des acteurs pour pouvoir façonner des solutions ensemble. Ce sont des difficultés auxquelles mon pays, le Mali fait face. Monsieur Sawaris en a parlé. Il y a beaucoup de potentialités, mais tant que nous ne changeons pas notre logiciel de travailler avec le continent. Tant qu’on pense qu’on peut venir avec des pressions, des interventions militaires, changer la donne du continent, je pense qu’on passe complètement à coté.
L’Afrique a sa part de responsabilité
Laissons les Africains travailler. Nous avons aussi notre responsabilité. Nous avons failli par rapport à l’intégration du continent. Soixante ans après les indépendances, je peux dire que le bilan est décevant. On ne parle même plus d’intégration régionale, on parle de coopération régionale. Je crois que cela n’est pas la faute des autres, c’est la faute des Africains. Les autres ont leur responsabilité, mais les Africains aussi, nous avons failli, nous devons le reconnaître.
Levée des sanctions contre le Mali : Se réjouir, oui mais…. réfléchir !
La levée des sanctions contre notre pays doit être à la fois l’occasion de se réjouir et de réfléchir. Le peuple malien attend de ses dirigeants qu’ils identifient les grands problèmes du pays et agissent pour y remédier.
Peu de périodes dans l’histoire de notre nation ont été plus difficiles que celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement. La levée des sanctions contre notre pays doit être à la fois l’occasion de se réjouir et de réfléchir. Nous devons célébrer notre unité en affichant toujours notre riche diversité.
En effet, la levée des sanctions contre notre pays doit être l’occasion de faire le point. Nous devons nous pencher sur le rôle que l’ensemble des citoyens est appelé à jouer au cours des deux voire quinze prochaines années. Cela exige que l’on prenne du recul et que l’on examine l’état de la Nation et sa place dans le monde, à plus long terme et dans une perspective plus vaste. Il est temps de prendre les décisions éclairées essentielles à la réussite de nos démarches pour un Mali stable et surtout de montrer la volonté politique nécessaire qui nous permettra de consolider notre nation.
Les motifs de satisfaction ne manquent pas : en général, nous pouvons espérer vivre plus longtemps que nos parents et, a fortiori, que nos lointains ancêtres. Par comparaison et malgré les crises que nous vivons, nous sommes mieux nourris, en meilleure santé, plus informés et nos perspectives d’avenir doivent être globalement plus favorables.
Cependant, tout est loin d’être parfait. Ces dernières années ont été ponctuées de conflits sanglants à travers le pays et de l’instabilité politique et sociale. La misère la plus noire côtoie l’opulence la plus extravagante et des inégalités criantes persistent au sein de notre pays. Les maladies, anciennes et nouvelles, risquent de compromettre des progrès accomplis à grand-peine. La biosphère, dont dépend notre survie à tous, subit les attaques et les outrages de l’activité humaine.
Le peuple malien attend de ses dirigeants qu’ils identifient les grands problèmes du pays et agissent pour y remédier. Nous devons avancer avec rapidité et urgence dans nos approches politiques, mais aussi nous réunir autour de l’accord de paix afin d’obtenir des avancées significatives, car nous avons beaucoup à faire en cette période de périls et de possibilités. Il est nécessaire d’être audacieux dans nos actions et elles doivent être vitales. Et il n’y a pas meilleur moment que le présent pour agir hardiment afin d’alléger les souffrances de nos populations. Aussi, nous devons tous contribuer à résoudre nos problèmes de société.
Encore faut-il que nous soyons tous fermement résolus à mener à bien notre mission commune. Nous devons nous pénétrer de la raison d’être des citoyens à part entière, nous rappeler pourquoi le Mali et pour qui notre Nation existe. Nous devons en outre nous demander le type de politiques de gouvernances que nos citoyens seront prêts à soutenir. Des réponses claires à ces questions sont nécessaires si nous voulons revitaliser notre action et la recentrer sur les tâches auxquelles il nous faudra nous atteler au cours des prochaines décennies. Ce sont précisément ces réponses que l’ensemble de la classe politique devra apporter.
Les événements passés offrent à nos gouvernants et la classe politique de notre pays une occasion unique de remodeler les politiques de gouvernance à l’image des composantes de notre culture et de notre identité, d’en faire un véritable instrument de changement capable d’améliorer la vie des citoyens de notre Nation.
Notre objectif aujourd’hui doit être d’alimenter la réflexion et de stimuler le débat. Nous devons aborder les problèmes les plus pressants auxquels le peuple malien fait face et qui relèvent de la compétence de nous tous, proposer aux communautés des priorités à envisager et qui contiennent des solutions et des recommandations sur les mesures qui pourraient être prises au cours de ces vingt mois et plus pour faire renaître l’espoir et changer la vie.
Toutes ces propositions doivent s’inscrire dans le contexte de la consolidation de notre Nation et qui doivent transformer radicalement notre pays au cours de la deuxième phase de notre centenaire. Au lieu de laisser des millions de nos citoyens en marge de la société, la politique de la consolidation de la Nation doit devenir une force positive pour tout le peuple Malien : c’est là notre plus grand défi. Pour profiter à tout un chacun, elle doit certes s’appuyer sur les dynamiques économiques mais elle doit aller bien au-delà. Elle doit nous servir à bâtir ensemble un avenir meilleur pour le peuple malien entier, dans toute sa diversité. Il s’agit de redéfinir un nouveau contrat social au moyen des mécanismes de dialogue franc et permanent avec la population malienne dans le sens d’intégrer ses besoins réels dans les programmes politiques et économiques appropriés et de les exécuter concrètement en faveur de cette même population.
Repenser les moyens de servir l’intérêt général
Il nous faut donc sortir des sentiers battus et repenser les moyens de gérer notre action commune et de servir l’intérêt général. Aucune communauté ne peut espérer venir à bout à lui seul de la plupart des problèmes auxquels nous devons faire face aujourd’hui. Pour mieux gouverner au niveau communal et mieux gouverner ensemble au niveau national, il faut un État certes fort mais décentralisé et doté d’institutions efficaces. Mais il faut aussi adapter aux nouvelles réalités de l’époque les institutions internationales, au travers desquelles les États gouvernent ensemble. Nous devons former des alliances pour le changement, non seulement avec les pays sous régionaux, qui sont nos interlocuteurs habituels, mais aussi avec les partenaires les plus divers. Cet esprit de vouloir participer au processus de mondialisation doit reposer sur notre volonté d’évoluer avec un monde changeant malgré l’imposition du schéma de pensée et le mode de vie sociale et économique très différents de nos valeurs.
Le plus important est que notre projet politique soit fondé sur une conviction profonde : que le citoyen soit la source et la finalité de l’action politique. Il est important que l’être humain soit au centre de tout ce que nous faisons. Il n’est pas d’aspiration plus noble, pas de responsabilité plus impérieuse que d’aider des hommes, des femmes et des enfants à vivre mieux. Ce n’est que lorsque chacun pourra jouir de ses fruits que notre politique de consolidation de la Nation aura réalisé tout son potentiel.
Se mettre à forger dès à présent l’avenir
Mais il ne suffit pas d’évoquer l’avenir, il faut dès à présent se mettre à le forger. Puisse ces événements passés être l’occasion pour l’ensemble des citoyens de renouveler notre engagement à l’égard de notre nation et de ce que doit être notre mission. Et puissent nos gouvernants et la classe politique de notre pays témoigner de leur bonne foi en donnant immédiatement suite aux engagements pris face à notre Nation.
Nous sommes une nation qui vit à travers des symboles de nos valeurs et de notre culture telle que voulue par nos aïeux et pères fondateurs. La nation malienne possède un caractère unique bien à elle. C’est ce caractère qui a toujours façonné notre volonté de vivre ensemble, de bâtir une destinée commune. Nous devons tout faire pour préserver ce caractère unique et consolider ensemble notre avenir.
Que Dieu assiste notre pays et qu’il bénisse nos efforts !
Cheick Boucadry Traoré
Source : Le Challenger