L’évolution de la situation actuelle du Mali n’est guère reluisante, plus de 100 jours après le début de la transition. Les cent fameux jours des hommes politiques, pendant lesquels les principales réformes doivent être lancées, sont pour l’instant passés inaperçus, rien n’a été fait ni sur le plan politique, ni sur le plan sécuritaire, encore moins sur le plan économique. Pour autant, il convient de poursuivre le travail de pédagogie vis-à-vis des autorités de la transition.
Évolution de la situation Socio-politique :
La composition du CNT et l’élection de son Président ont obéi à la stratégie du CNSP, c’est-à-dire de s’accaparer de tous les leviers du pouvoir et en marginalisation les forces vives afin de les avoir à l’usure et procéder à un toilettage en les mettant devant le fait accompli. En prenant la composition de l’institution de la transition qui fait office de parlement, à savoir le CNT, la transparence exigerait que devant chaque nom figure l’entité qu’il représente. Autre remarque, le CNT fait une place importante aux communautés du nord et aux proches de l’Imam Dicko, au détriment d’un pan important du Mouvement du 5 juin Rassemblement des Forces patriotiques, M5RFP. Ce CNT qui est sans nul doute le prolongement du gouvernement, souffrira d’un déficit de légitimité. En effet, le CNSP en décidant de faire des mouvements signataires et de l’imam Dicko leurs alliés stratégiques, a opté pour la rupture avec les autres, ce qui ne serait pas sans conséquences sur le reste du processus de la transition. A ces deux grandes entités il faudrait ajouter les courtisans du CNSP, composés en grande majorité par des visiteurs assidus de Kati, les activistes, les artistes acquis à sa cause.
Les partis politiques, comme l’ADEMA, le RPM et même l’URD, y comptent des cadres sans qu’il ne soit certain que les membres qui y figurent ont l’aval de leurs partis. La Centrale Syndicale, la CSTM a son secrétaire général au CNT, ce qui risque de radicaliser la centrale rivale qui est l’UNTM. En somme le CNT consacre la mainmise du CNSP sur la vie publique au Mali.
On peut être presque sûr que les partis politiques et les associations qui en sont exclus formeront un front de refus auquel le gouvernement Moctar Ouane ne pourra faire face. Dans ce cas la possibilité de la répression des manifestations n’est pas à écarter. Mais ce scénario pourrait faire perdre à la transition le peu de légitimité qui lui reste. Comme pour dire qu’après le dernier jalon de la transition, qu’est le CNT, toutes les voies s’ouvrent, qu’à Dieu ne plaise,pour le chaos au Mali.
Faudrait-il clore ce chapitre sans faire allusion au risque que la transition court en laissant en liberté certains barons du régime IBK dont des généraux. En somme, la frustration des partis politiques, les grèves rampantes entrainant une crise sociale aiguë, la crise économique difficile, l’insécurité généralisée, la paupérisation galopante et la maladie à Corona virus qui signe son retour et qui fait des ravages, créent désormais un terreaufavorable pour la contestation sociopolitique dont nul ne pourrait prédire l’issue ou les conséquences. Donc il est grand temps pour les autorités de la transition d’engager très vite un dialogue social constructif avec toutes les forces vives de la Nation.Elles doivent également balayer d’un revers de main et comprendre que l’idée selon laquelle Mahmoud Dicko est le seul qui peut mobiliser. Cette idée est totalement erronée pour preuve la plateforme Ante A Bana a fait plier IBK après une succession de manifestations très suivies sans les religieux
La situation macroéconomique :
La crise économique s’installe, doublée d’une crise de confiance.
La situation macro-économique du Mali n’est évidemment pas bonne. Il faut tout de même reconnaitre que sa descente aux enfers n’a pas commencé sous la transition, mais, sous le régime IBK qui par ses largesses et la corruption ambiante, a fortement plombéles dépenses alors qu’au même moment les recettes fiscales avaient chuté significativement. On estime le gap du tableau des opérations financières de l’Etat (TOFE) à 430 millions d’Euro en fin décembre 2020.Le FMI estime la récession à 2 % en 2020, la dette extérieure et intérieure ne se situe qu’à 45 % du PIB et les recettes fiscales devraient tomber à 13 %du PIB, contre 15,8 % estimé initialement.
Le coton reste largement invendu. Le recel des entreprises continue. La diaspora très pénalisée par l’effet de COVID-19 (beaucoup d’emplois dans les hôtels, restaurants, services fermés…) envoie très peu d’argent. La mauvaise gouvernance reste à un niveau inchangé (le Vérificateur général ne contrôle aujourd’hui que 10 % des dépenses). Tout le monde fait sortir l’argent du Mali, par peur de blocage des fonds en Banque…
La situation, certes mauvaise, n’est cependant pas irrécupérable, d’autant plus que la France a décidé d’accorder une aide budgétaire urgente de 10 millions d’euro qui sera débloquée avant la fin de cette année. Avec ce geste important de soutien à la transition, la France entraine avec elle le FMI qui est revenu à Bamako et qui devrait reprendre son programme, avec cependant des nouveaux indicateurs de performance à définir. Quant à la Banque Mondiale, la reprise de ses activités ne saurait plus tarder même si elle exigerait certaines conditions. Tout porte à croire que la BM reprendra ses activités en 2021.
Sur le plan de la défense et de la sécurité
La coopération entre Barkhane et les militaires maliens fonctionne bien. Cependant subsistent auprès de la population -malgré un côté totalement irréaliste- des rumeurs complotistes d’intérêts Français inavoués sur l’or au nord du Mali. Ces équivoques doivent être levées afin que les deux pays puissent continuer leur collaboration surtout dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Sur le plan sécuritaire la grande interrogation reste l’état de l’évolution de la situation militaire sur le terrain. Les maliens dans leur écrasante majorité se demandent pourquoi, malgré la présence des militaires dans tous les segments de la vie sociopolitique du pays, l’insécurité s’amplifie pour atteindre des proportions inquiétantes. Bamako est sur le point de devenir l’épicentre de l’insécurité avec des braquages en pleine journée. La nomination des gouverneurs militaires dans des régions, auraient dû soulager les populations en proie au banditisme et au Djihadisme.Est-ce par manque de vision stratégique pour faire face à ce péril ou parce que le Mali veut changer de fusil d’épaule ?
Il se murmure même que Bamako veut s’affranchir de la tutelle militaire française. Cette dernière a d’ailleurs une stratégie et une conception différentes de celles de Bamako dans la lutte contre le terrorisme. Si pour Bamako il faut négocier avec les terroristes, Paris n’entend pas de cette oreille et semble même passer à l’offensive contre les terroristes. Il serait bien que les deux pays redéfinissent leurs principes de coopération tant militaire qu’économique afin de permettre de recouvrer la paix et la stabilité afin de jeter les bases d’une économie solide pourvoyeuses de richesses.
En conclusion, le Mali ne tient aujourd’hui que grâce au soutien de certains pays étrangers, comme la France (qui aurait avancé 500 milliards CFA), l’Europe, le Canada, les USA.
De plus un enjeu important se joue au niveau du secteur privé: Les entreprises locales bien que tournant au ralenti contribuent à fournir les 80 centimes d’euro de revenus par jour qui permettent aux gens de survivre. Mais les graves problèmes de crédit, de fourniture de matières premières et le COVID- 19 (qui a l’air de revenir au galop) sont en train de les écraser.
Pour éviter le chaos qui se profile, il faudrait absolument de l’argent privé pour financer les infrastructures économiques, les équipements communautaires et la production locale.
Or d’importants projets d’investissement au Mali qui avaient été élaborés avec le MEDEF International depuis 2015 sont toujours en attente de réalisation. Concrétiser leur mise en œuvre aurait le double intérêt :
D’injecter des sommes importantes accompagnées de création d’emplois.
De créer un climat favorable au retour nécessaire de la confiance des fournisseurs actuels des entreprises locales.
Une visite du Medef envisagée en Janvier pourrait permettre cette mise en œuvre. Cependant cela supposerait une prise en compte responsable par la transition de la nécessité d’établir une bonne coopération entre secteur public et secteur privé. Le but étant de créer le climat de confiance entre secteur privé et secteur public qui est aujourd’hui la clé du développement économique et donc de l’avenir du pays. Pour cela- et c’est aussi valable pour le problème du coton- « plus » que d’argent, ce, dont on a besoin, c’est de réformes !
Mamadou Sinsy Coulibaly ; Président du CNPM