Le film kényan Rafiki, présenté mercredi à Cannes, marque une première pour le Kenya, où, paradoxalement il a été interdit parce qu’il traite d’un amour entre deux femmes, une décision illustrant le débat provoqué par l’homosexualité dans la majeure partie d’Afrique.
Adapté d’un roman de l’Ougandaise Monica Arac Nyeko, Rafiki (« ami » en kiswahili) raconte l’histoire d’un coup de foudre entre deux jeunes femmes appartenant à des camps politiques opposés.
Le film de la jeune réalisatrice Wanuri Kahiu est la première oeuvre du Kenya jamais montrée lors du plus prestigieux festival de cinéma du monde où il sera présenté dans la sélection Un certain Regard.
Mais ce qui aurait pu donner lieu à la célébration d’un vrai succès de son industrie cinématographique, a au contraire placé le Kenya au centre d’une polémique qui lui a valu « le ridicule au niveau international », selon le mot d’un éditorialiste du Standard, un quotidien local, Makau Mutua.
Rafiki a été interdit en raison « de son thème homosexuel et de son but évident de promouvoir le lesbianisme au Kenya, ce qui est illégal et heurte la culture et les valeurs morales du peuple kényan », a jugé la commission de censure, dont le patron, Ezekiel Mutua, se présente comme « un fervent croisé de la morale ».
Wanuri Kahiu s’est déclarée « vraiment désolée d’annoncer que notre film Rafiki a été interdit au Kenya ».
« Nous pensons que les adultes kényans sont assez matures et clairvoyants (…) mais leurs droits ont été niés », a ajouté celle qui, apprenant son film avait été sélectionné pour Cannes, avait écrit « Yes we Cannes » sur Twitter, s’attirant la sympathie de nombreux internautes.
Toujours sous le coup des lois datant du colonialisme britannique, l’homosexualité reste illégale au Kenya, même si la Constitution moderne, adoptée par référendum en 2010, sert aujourd’hui de base aux militants qui défendent les droits des homosexuels.
Les articles de loi qui se réfèrent à « des actes contre nature » sont tout particulièrement utilisés contre les minorités sexuelles. « Notre action en justice représente un défi constitutionnel à la légalité de ces lois », déclare Waruguru Gaitho, une avocate de la Commission nationale des droits de l’homme pour les gays et lesbiennes (NGLHRC).
Les juges saisis par l’ONG ne se sont pas encore prononcés et la menace d’une peine de quatorze ans de prison continue de peser sur les lesbiennes, homosexuels, bisexuels et transgenres kényans qui seraient surpris par la police ou dénoncés par leur voisinage.
– L’exception sud-africaine –
Le débat reste vif sur un sujet sensible. L’ironie de l’histoire est que la religion et les lois condamnant l’homoxualité au Kenya trouvent leur origine en Occident mais que les groupes de pression anti-gay accusent ce même Occident et sa culture libérale d’imposer des valeurs contraires aux valeurs « traditionnelles » du pays.
« L’homophobie est occidentale, pas l’homosexualité », rétorque Me Gaitho, tandis que l’éditorialiste Makau Mutua, sans lien de famille avec le censeur Ezekiel Mutua, invite ce dernier à « regagner sa caverne homophobe d’homme de Néanderthal ».
Pour Kevin Mwachiro, auteur d’une série sur la vie des homosexuels du Kenya, la situation des minorités sexuelles s’améliore mais reste difficile.
« Le fait que nous avons un gouvernement qui n’introduit pas de nouvelle législation contre les personnes LGBT est positif. Mais, au sein de ce même gouvernement, nous avons un organe qui interdit des films faits par des Kényans, sur des Kényans, pour des Kényans. Cela illustre pour moi la situation du Kenya », dit-il.
Il reconnait qu’ »un certain degré d’acceptation » se fait jour dans une société en mutation. Même si, pour les militants, la situation des gays et lesbiennes reste particulièrement sombre en Afrique de l’Est, des prises de position d’homosexuels connus contribuent à faire évoluer les esprits.
C’est le cas de l’écrivain kényan Binyavanga Wainaina qui a fait son coming out en 2014 et vient d’annoncer son intention d’épouser son compagnon. Le couple devra toutefois se marier et vivre en Afrique du Sud, seul pays africain où l’union entre homosexuels est légale.
Malgré des progrès, le sentiment anti-gay reste dominant notamment parmi la majorité chrétienne et exprimé jusqu’au sommet de l’Etat.
Dans un entretien télévisé le mois dernier, le président Uhuru Kenyatta avait déclaré que l’homosexualité allait à l’encontre de la culture et de la société kényanes, « Ce n’est pas une question de droits de l’homme. C’est une question de société », a-t-il assuré.
La rédaction