Un réseau mafieux de fraude aux taxes douanières dont les principaux bénéficiaires sont les deux plus hauts représentants de l’Etat : c’est l’incroyable scénario qui, au rythme d’une révélation par jour, tient en haleine les Guatémaltèques, et provoque des manifestations massives de protestation.

Vendredi, l’ex vice-présidente, Roxana Baldetti, contrainte à la démission en mai, était arrêtée et emprisonnée. Dimanche, le président Otto Pérez Molina niait en bloc les accusations dans un message à la nation et refusait d’envisager la démission, comme l’exigent depuis plusieurs mois les manifestants. Dès le lendemain, il était confondu par une conversation téléphonique rendue publique par la procureure générale : on l’entend exiger le remplacement d’un responsable qui nuit aux intérêts de «la Linea», la filière de corruption dont auraient bénéficié des dizaines de responsables et de hauts fonctionnaires.

«UN PRÉSIDENT NOCIF»

Mardi, un nouveau rassemblement a eu lieu devant le palais présidentiel, dans le parc central de la capitale, Ciudad de Guatemala. Le mouvement doit se prolonger les jours suivants. La mobilisation est soutenue par les milieux économiques, agraires, l’Eglise catholique, les mouvements de défense des droits des indigènes (40 % de la population) ou encore l’université San Carlos, la principale du Guatemala : jeudi, elle fermera ses portes pour permettre aux étudiants de manifester. Rigoberta Menchú, prix Nobel de la paix en 1992, a apporté son soutien via Twitter : «Otto Pérez est un président nocif pour notre nation et pour les principes et valeurs de la démocratie.»

L’enquête est diligentée conjointement par le parquet, avec à sa tête la procureure Thelma Aldana, et la Commission internationale contre l’impunité (Cicig), un organisme créé par l’ONU et dirigé par le magistrat colombien Ivan Velazquez. Le scandale a éclaté le 19 avril, avec la mise en cause de la vice-présidente, bénéficiaire de plusieurs chèques à hauteur de 8 millions de quetzales (900 000 euros). Quelque 158 personnes ont été entendues, et 27 d’entre elles placées en détention. Le système consistait à faire bénéficer des entreprises importatrices de taxes douanières très réduites, en échange de dessous de table.

AU POUVOIR JUSQU’À DÉBUT 2016

C’est la chute inexpliquée des recettes des douanes qui avait alerté les enquêteurs. La collecte fiscale est un des principaux problèmes du pays, souligne le chercheur Kevin Partenay, docteur en science politique rattaché au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri) : «Elle ne dépasse pas 12 % du PIB, c’est encore moins que la moyenne des pays d’Amérique centrale, 15 %.» Invité ces dernières semaines pour donner des conférences au Guatemala, il a été le témoin de la mobilisation populaire contre la corruption au sommet de l’Etat. «Elle est bien plus forte qu’en 2008-2009, pendant les protestations contre Alvaro Colom, prédécesseur de Otto Pérez. Les manifestants sont jeunes en majorité, alertés par les réseaux sociaux. Les partis politiques sont à la traine du mouvement», témoigne-t-il.

Le Guatemala est un des rares pays du monde où l’ONU a créé une commission indépendante dotée de prérogatives judiciaires. «C’est la conséquence de la faiblesse des structures étatiques, et pas seulement le système judiciaire, analyse Kevin Parthenay. Les accords de paix qui ont mis fin à la guerre civile, en 1996, ont correspondu à l’instauration d’une politique néo-libérale qui a dégraissé l’Etat. Qui s’apparente finalement à une coquille vide dotée de faibles ressources.»

Arrivé au pouvoir en janvier 2011, Otto Pérez Molina doit céder la place début 2016. Ce général de 64 ans, à la retraite, ne brigue pas un nouveau mandat lors de la présidentielle prévue le 6 septembre. Mais de nombreuses voix s’élèvent pour demander, outre sa démission ou sa destitution par le congrès, un report de l’élection, le climat de scandale étant peu propice à un scrutin serein.

François-Xavier GOMEZ
Source: Liberation