Le cinéma ambulant, une branche du septième art qui peut faire des merveilles dans un pays essentiellement rural comme le Mali, semble aujourd’hui tombé dans les oubliettes.
Et pourtant, son importance avait été perçu dès les premières heures de l’indépendance par le pouvoir socialiste de Modibo Kéita qui s’en était servi comme un outil essentiel d’information et de formation des masses, particulièrement paysannes.
Le pays, qui venait de se défaire de ses liens coloniaux, n’avait bien sûr pas les moyens de construire des salles partout. Il s’est adressé à l’Union soviétique qui lui a fourni des cinébus pour parcourir tout le pays et présenter aux populations des «images mouvantes» qui instruisaient sur les exigences du développement.
Le cinéma ambulant a régné durant plus d’une décennie. Ces cinébus, qui étaient gérés par le SCINFOMA (Service cinématographique du ministère de l’Information du Mali) et l’OCINAM (Office cinématographique national du Mali), relayés par le CNPC (Centre national de production cinématographique) parcouraient les campagnes sans arrêt. Le rôle capital qu’ils ont joué dans l’éveil de conscience de certains citoyens se trouvant dans un cercle inaccessible aux changements, est illustré par ce constat impressionnant fait par ce chauffeur de cinébus du CNPC, Lassana Doumbia. C’était dans les années 1970. Sur la place publique d’un hameau bien lointain, le cinébus a organisé une projection en installant son groupe électrogène qui éblouit tout le lieu, une première impressionnante pour les habitants qui ont afflué en grand nombre. À l’heure de la projection, les lumières sont éteintes. Le projecteur se met en marche. Quelle ne fut sa surprise de voir plusieurs spectateurs détaler à la vue des «images mouvantes et parlantes » qui défilaient sous leurs yeux. Devant le désordre ainsi installé, l’équipe de projection s’est vue obligée de tout suspendre en faisant la lumière et en usant du porte-voix pour faire comprendre qu’il n’y a rien de sorcier dans la réalité filmée qui leur est présentée.
Les habitudes de soirées de projections de films s’étaient installées chez les populations, particulièrement des zones isolées au point qu’elles dépêchaient des envoyés pour en redemander aux autorités du cinéma malien.
Mais, la fin de l’histoire est assez triste. Petit à petit, le matériel s’est dégradé et la volonté politique de le remplacer n’y était plus du fait du coup d’état militaire en 1968 et des nouveaux tenants du pouvoir qui remirent tout en cause. C’est ainsi que les cinébus, à bout de souffle, ont peu à peu disparu du paysage malien, mettant fin au recours au cinéma ambulant.
Dans un entretien accordé à une étudiante, Alice Jolin, pour la réalisation de son mémoire de fin d’études universitaires, Falaba Issa Traoré témoignait, à Bamako en décembre 2001, de son vécu d’exploitant de cinéma ambulant et de cinéaste :
« C’était l’ère du cinéma ambulant étatique géré par des fonctionnaires de l’Etat, sans aucune visée mercantile, mais fait pour l’éducation et la distraction des masses. Avec la mort de ce cinéma ambulant étatique est né le cinéma ambulant privé. Le public ayant pris goût au cinéma, des entrepreneurs de spectacle s’en sont emparés, et j’étais un de ceux-là. Sans rentrée de fonds pour pouvoir améliorer les programmes, la chose est rapidement tombée en désuétude et il n’y avait pas non plus de moyens pour réparer le matériel. ».
Falaba Issa Traoré né vers 1930 à Bougouni, est décédé le 8 août 2003 à Rabat, au Maroc. Instituteur de profession, il a dirigé des troupes de théâtre dont la troupe régionale de Bamako. De 1969 à 1973. Il a réalisé trois films longs métrages que sont en 1979 : Jigifolo (« Première Lueur d’espoir »), en 1980 : Anbé no don (« Nous sommes tous coupables »), puis: Kiri Kara Watita (« Duel dans les falaises ») et en 1990 : Bamunan (« Le Pagne sacré »). Comédien, il a notamment joué dans des films ” A banna” de Kalifa Dienta (CNPC), “Guimba” de Cheick Oumar Sissoko, ” Le Pacte social”, “Sanoudié” et “N’Tronkélé” de Boubacar Sidibé. Il est l’auteur des opéras Soundiata ou l’Épopée mandingue et Dah Monzon ou l’Épopée bambara.
Aujourd’hui que le nouveau ministre en charge du cinéma, Kadiatou Konaré, s’emploie à relancer le génie malien en la matière en berne voilà près de deux décennies, depuis ses trois étalons d’or du Yennenga décrochés par Souleymane Cissé et Cheick Oumar Sissoko, il est essentiel de remettre au goût du jour le cinéma ambulant. Son apport peut être remarquable dans un pays où, en dehors de la capitale qui ne dispose d’ailleurs que d’une seule salle de cinéma, tout le pays est laissé à l’abandon.
Source : L’ESSOR