L’Avis scandaleux n°12-2020 de la Cour suprême en date du 25 septembre 2020 témoigne éloquemment de ce bric-à-brac juridiquo-institutionnel dans lequel personne ne se retrouve. UNE DECLARATION PEREMPTOIRE DE SUPREMATIE DE LA CHARTE L’Avis n°12-2020/CS-AC.FR de consultation juridique est d’une misère argumentaire qui en dit long sur l’embarras que la Cour suprême a probablement éprouvé à donner un avis sur une question juridique qui n’est point de son domaine de compétence. Le Secrétaire général du gouvernement s’est manifestement trompé de destinataire à sa lettre n°127/ PRIM-SGG du 24 septembre 2020 de demande d’avis juridique « sur le choix des textes constitutionnels à retenir au niveau des visas entre l’Acte fondamental, la Constitution et la Charte de la Transition voire leur prééminence ». La réponse de la Cour suprême a été « qu’il sied de retenir dans les visas, la prééminence de la Charte de la Transition suivie de la Constitution du 25 février 1992 ». La Cour suprême consacre ainsi, en réaction à une question juridique de nature fondamentalement constitutionnelle, la suprématie de la Charte de la Transition sur la Constitution du 25 février 1992. Elle n’aura eu besoin, pour aboutir à cette déclaration péremptoire insoutenable, que de quatre petits « Considérants » à la teneur juridique insignifiante, dont deux ne sont franchement pas à hauteur de rang d’institution judiciaire suprême de la République. Le premier considérant évoque de soi-disant « limites de la Constitution du 25 février 1992 ». La Cour se garde d’expliquer en quoi ces limites rentrent-elles dans les cases de subordination de la Constitution du 25 février 1992 à la Charte de la Transition. Le deuxième considérant est encore plus problématique au regard de l’Assemblée nationale que la Cour considère comme ayant démissionné : « Considérant la démission du Président de la République, du Gouvernement et de l’Assemblée nationale ». Les juges font l’amalgame entre d’une part la démission du Président de la République et du gouvernement et d’autre part la dissolution de l’Assemblée nationale. La blague d’une démission de l’Assemblée nationale qui fait simplement sourire ne peut trotter que dans la tête d’une institution qui ignore de quoi elle parle. Le troisième considérant n’est pas moins problématique lorsqu’il soutient que la Charte de la Transition est entrée en vigueur le jour même de son adoption au motif que son article 25 stipule que « la présente Charte entre en vigueur dès soin adoption par les forces vives de la nation ». La Cour semble aller trop vite en besogne. L’article 25 juridiquement bancal du reste, semble plutôt suggérer une entrée en vigueur à la date du 13 septembre 2020 correspondant au lendemain de l’adoption de la Charte. La Charte étant en vigueur, la Cour rappelle que l’Acte fondamental n°001/CNSP du 24 août 2020 « demeure sans effet ». Elle ne juge pas nécessaire de préciser que cela résulte de l’Acte fondamental lui-même en son article 41. Le quatrième et dernier considérant quant à lui, préfère botter en touche. La Cour renvoie le Secrétaire Général du Gouvernement au texte de la Charte de Transition, comme si elle soupçonnait le Secrétariat Général du Gouvernement de n’avoir pas lu l’article 26 de la Charte selon lequel « en cas de contrariété entre la Charte de la Transition et la Constitution du 25 février 1992, les dispositions de la présente Charte s’appliquent ». Au total, la misère argumentaire de la Cour suprême débouchant sur l’insoutenable suprématie de la Charte sur la Constitution de 92 et qui se ressent dans les quatre considérants montre bien qu’en la matière, elle s’est manifestement évadée de son périmètre normal de compétence. LA COUR SUPREME EMPIETE SUR LES COMPETENCES DU JUGE CONSTITUTIONNEL La demande d’avis juridique du Secrétaire général du gouvernement soulève dans le fond des questions éminemment constitutionnelles qu’on ne saurait régler à la sauvette à travers la loi n°2016- 046/du23 septembre 2016 portant loi organique fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour suprême et la procédure suivie devant elle, en ses articles 123 à 126 relatifs aux compétences de son Assemblée consultative. L’existence dans l’ordonnancement juridique du Mali de trois textes de nature constitutionnelle et la hiérarchie entre ces textes fondamentaux soulèvent des questions juridiques qui ne sont pas du ressort de la Cour suprême. Ces questions juridiques ne peuvent que naturellement relever du domaine de compétence de la Cour constitutionnelle. C’est à elle seule et non à la Cour suprême, de se prononcer y compris par voie consultative sur ces questions de nature constitutionnelle. Dans l’absolu, le vrai destinataire de la lettre n°127/ PRIM-SGG du 24 septembre 2020 de demande d’avis juridique était la Cour constitutionnelle. Sauf qu’en la matière, le Secrétaire général du gouvernement est incompétent. De la même manière, il reste à se demander dans quelle mesure les autorités de Transition qui résultent de l’anticonstitutionnalisé couchée dans l’Acte fondamental et la Charte de la Transition, seraient-elles fondées à saisir la Cour constitutionnelle qui ne peut se prévaloir que de la seule Constitution du 25 février 1992. C’est toute la quadrature du cercle juridique au Mali en net recul d’État de droit constitutionnel depuis le coup d’Etat du 18 août 2020. LES EFFETS COLLATERAUX DES ABERRATIONS JURIDIQUES DE LA DUALITE CONSTITUTIONNELLE L’Acte fondamental au départ, et maintenant la Charte de la Transition, pêchent par l’imposture juridique fondamentale consistant à vouloir régir le Mali sous transition par deux textes constitutionnels inconciliables. En même temps que la Charte se fonde sur la Constitution du 25 février 1992, elle vise également à combler le vide constitutionnel qui prévaut. Or, comment peut-il y avoir à la fois vide constitutionnel et Constitution du 25 février 1992 ? Comment peut-on prétendre que la Charte de la transition a pu modifier la Constitution du 25 février 1992 tout en étant dans une posture extra constitutionnelle ? La grille de lecture de l’analyse constitutionnelle se trouve altérée par le caractère atypique de la double voire de la triple normativité constitutionnelle qui revient dans le fond à une rupture de la cohérence et de l’unité de l’ordre constitutionnel dans son ensemble. La double normativité constitutionnelle avec primauté de la Charte sur la Constitution du 25 février 1992 revient à une déconsidération de cette dernière pourtant adoptée par référendum populaire. La dualité constitutionnelle matérialisée par la Constitution du 25 février 1992 et la Charte de la transition avec primauté de cette dernière ne procède que du bricolage juridique dans la pure tradition du régime défunt de IBK. Ni l’Acte fondamental du 24 août 2020 abrogé, ni la Charte de transition, n’ont pu à aucun moment réviser la Constitution du 25 février 1992. Cette prérogative relève des seuls pouvoirs institués par la Constitution du 25 février 1992 qui font défaut aujourd’hui. Encore une fois, les chemins de la constitutionnalité qui ne soit pas que du délavé juridique, auraient dû passer par la reconnaissance de la suspension de facto de la Constitution du 25 février 1992 et du vide résultant de la rupture de l’ordre constitutionnel du fait du coup d’Etat que la Charte ellemême reconnait expressément. Le seul document constitutionnel qui vaille actuellement reste la seule Charte qui fait office de Constitution de transition.
DR. BRAHIMA FOMBA ENSEIGNANT-CHERCHEUR A L’UNIVERSITE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES DE BAMAKO
Source : Sud Hebdo