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L’avenir politique au Mali : l’urgence et les impératifs

2014 qui s’achève laisse des questions en suspens. Mais fournit aussi des leçons à tirer des diverses situations de tension

 mali drapeau

 

Notre pays s’était programmé pour une évolution volontariste, il s’est retrouvé à chercher son chemin au milieu d’interrogations perturbantes. Le scénario de notre vie nationale, tel qu’il s’est écrit tout au long de l’année 2014, diverge sur toute une série de séquences majeures de ce que prévoyaient les autorités et de ce qu’espéraient les populations. Des balises, supposées être solidement arrimées, ont été déplacées et leur mouvement a entraîné une série de dérèglements dont nous n’avons pas encore tout à fait émergé. Il faudra donc trouver en 2015 des réponses à un certain nombre d’incertitudes dont le traitement n’est pas toujours des plus évidents. Il faudra aussi dégager les arguments justes et les gestes idoines pour apaiser une opinion publique qui se trouve aujourd’hui engagée dans des débats dont elle n’a pas été instruite de toutes les subtilités et qui a choisi la posture du raidissement sur ce qu’elle considère comme des points de principes non négociables. Il faudra également s’assurer que l’embellie financière qui pointe ces dernières semaines puisse réalimenter la légendaire résilience malienne, car cette dernière n’a jamais paru aussi désarmée qu’actuellement.

Il faut surtout éviter que notre pays ne se dépouille de cette faculté peu commune qu’il a démontrée de ne jamais abdiquer de l’espoir, même dans les heures les plus difficiles de son histoire moderne. Si jamais cette faculté s’estompait, disparaîtrait avec elle alors la volonté de se sauver ensemble et s’imposerait une mortifère constellation de communautarismes, de corporatismes, d’égoïsmes et d’individualismes. Une telle éventualité ne relève pas de la pure spéculation intellectuelle. Sa concrétisation peut être amenée par un facteur déterminant : le retard de l’Etat à donner les réponses rassurantes et surtout convaincantes attendues par les simples citoyens sur leur proche avenir. Dans le cas où ces réponses ne viendraient pas assez vite, le Malien moyen se jugerait alors en droit d’élaborer sa propre stratégie de survie, quitte à se mettre en porte-à-faux avec l’intérêt national.

Un tel comportement apporterait de mauvaises solutions à de vrais problèmes, mais il aurait de fortes chances de prospérer puisqu’il ne trouverait pas en face de lui une puissance publique assez forte pour contrarier son expression. Au vu de l’état d’esprit qui prévaut de manière quasi générale dans notre pays, la première urgence, à notre avis, est de sortir le plus rapidement possible de l’imbroglio qu’est devenu le traitement politique du problème du Nord du Mali. Nous précisons « traitement politique », car le volet sécuritaire présente d’autres complexités qui devront être résolues lorsque sera conclu un traité de paix. En attendant, sur le dossier des négociations, il y a pour les autorités maliennes une triple difficulté à surmonter.

 

SOUS UN AUTRE ORDONNANCEMENT. La première est qu’elles ignorent quand et à quelles conditions les groupes armés réunis au sein de la Coordination accepteront de venir sur une ligne réaliste de négociation. Il faudrait en effet que le MNLA, qui fournit les éléments de langage aux autres groupes, s’extraie d’un piège dans lequel il s’est lui-même enferré. Car il avait présenté aux populations de Kidal l’option de l’indépendance comme un choix entériné par la France de Nicolas Sarkozy et considéré avec un œil favorable par la communauté internationale. Même après avoir signé les accords préliminaires de Ouagadougou qui avaient reconnu la nécessité de respecter l’intégrité territoriale du Mali, le Mouvement s’était gardé de se dédire entièrement auprès de ceux qu’il avait ralliés à son projet indépendantiste et avait sorti la fameuse construction fédéraliste qu’il défendait encore lors des travaux de la phase III des pourparlers d’Alger.

Aujourd’hui, si nous déchiffrons correctement les dernières déclarations des responsables du MNLA, la Coordination serait prête à abandonner l’étiquette « fédération » si le fond était pour l’essentiel maintenu. Or, ce fond aboutit en fin de compte à la création d’une entité indépendante aux frontières d’un Mali morcelé. Le semblant de concession implicitement formulé par les autoproclamés « groupes belligérants » est donc largement insuffisant pour faire progresser la discussion en janvier prochain. Malheureusement aucun indice ne transparait encore sur l’éventuelle capacité de la médiation internationale à faire évoluer les membres de la Coordination vers une position plus conciliatrice.

La deuxième difficulté se rattache à la méthode jusqu’ici utilisée par la Médiation. Le projet d’accord pour la paix et la réconciliation au Mali constitue la reconduite sous un autre ordonnancement des propositions contenues dans un précédent document dénommé « Eléments pour un accord pour la paix et la réconciliation pour le Mali ». Document sur certains points duquel le gouvernement du Mali avait formulé des réserves très explicites et essentielles. Le fait qu’aucune des remarques des officiels maliens n’ait été prise en compte au cours d’Alger III pour la rédaction du projet d’accord va certainement rendre plus ardues les ultimes tractations à Alger IV. La question est donc de savoir si la Médiation usera d’un procédé moins dirigiste que celui utilisé pour la production de ses dernières propositions.

La dernière difficulté concerne la double méfiance grandissante de l’opinion publique nationale vis-à-vis aussi bien de la Coordination accusée d’être attachée à la partition du Mali que des négociateurs gouvernementaux soupçonnés d’être excessivement disposés à la concession face aux exigences des groupes armés. Même la solution de la régionalisation, qui constitue pourtant une réponse idoine à la nécessité de rendre les populations de tout notre pays plus responsables des choix de développement locaux, est aujourd’hui perçue comme une autonomie déguisée offerte aux irrédentistes.

L’embrasement passionnel a atteint dans la majorité de notre population une très forte intensité et il a considérablement réduit chez nos compatriotes la disponibilité au compromis. Le gouvernement ne peut certes ignorer la nouvelle radicalité qui s’est installée. Mais il ne peut non plus s’écarter d’une ligne de conduite qui tiendrait en trois points : rester ferme sur la prise en compte des points énumérés dans son mémorandum et qui permettent de gérer les urgences dans une situation de retour à la paix ; entamer auprès des populations un vrai travail d’explication et d’échange (l’Exécutif est pour le moment dans la justification) sur les évolutions institutionnelles proposées dans les négociations ; et surtout adopter un rythme raisonnable pour la mise en œuvre de ces évolutions afin ne pas laisser l’incompréhension et le désordre s’installer à demeure.

 

DES COMPORTEMENTS CONTRAIGNANTS. Un accord de paix au Septentrion est urgent à trouver non pas pour céder à de quelconques injonctions extérieures. Mais parce que cette question est devenue à l’heure actuelle une poche de poison lent et la mère de presque toutes les complications. En effet, le dossier a attisé indirectement, mais indubitablement les tensions apparues sur d’autres questions comme l’acquisition de l’avion de commandement, la passation des marchés d’armements et d’équipements militaires et la persistance de l’insécurité dans une partie des territoires autrefois occupés. Il a aussi, par sa non résolution, bloqué toute avancée notable dans le débat sur la réconciliation et sur la lutte contre l’impunité. Or, le second thème est attendu avec une vigilance particulière par les populations pour qui certaines pages de notre Histoire très récente ne pourront être tournées que lorsque l’exigence de vérité aura été satisfaite et la nécessité de réparation, respectée. Une nouvelle preuve que la veille citoyenne sur cette question reste forte a été donnée à travers la récente désapprobation populaire suscitée par la libération de quatre djihadistes en échange de l’otage français Serge Lazarevic.

2014 a donc été l’année des complications accumulées. En dehors des difficultés évoquées plus haut, elle a enregistré des interrogations récurrentes sur les relations entre le Premier ministre et le RPM, parti dominant à l’Assemblée nationale ; des remarques répétées sur la taille du gouvernement ; un épisode tumultueux entre le Parlement et la magistrature ; une légitime indignation sur la manière dont le niveau de l’alerte Ebola a été inopinément relevé dans notre pays ; un fort signal d’alerte sociale envoyé par la grève générale de l’UNTM ; la grave désorganisation du monde scolaire engendrée par les opérations de contrôle physique ; et la prolifération de mini foyers de contestation sociale éteints au terme de compromis laborieux.

Le grand corps malien ne se porte donc pas très bien. Il est bien possible que certains intervenants lors des cérémonies de présentation de vœux au président de la République en dressent le constat objectif. Si cela se produisait, ce serait tant mieux. Car la Nation devrait, en de pareilles occasions, avoir le courage et la lucidité de « s’auto-diagnostiquer » sans complaisance. Ceci dit, qu’est ce que le Mali pourrait-il se souhaiter pour 2015 ? Emmanuel Rahn, ancien conseiller du président Obama et actuel maire de Chicago, prétendait qu’ « il ne faut jamais gâcher les opportunités d’une bonne crise. Celle-ci doit permettre de faire des choses impossibles auparavant ».

Nous ne qualifierons jamais de « bonnes » les crises que notre pays a traversées. Tant est lourd le tribut que nous avons payé en termes d’accentuation de nos fragilités, d’ébranlement de notre vivre ensemble, de multiplication des tragédies sociales pour les populations les plus exposées et d’annihilation d’efforts consentis pour notre développement. Mais chacune des crises que nous avons subies nous instruit – ou devrait nous instruire – sur la part de vigilance qui nous a manqué, sur la tendance au laxisme qui nous a perdu, sur la réticence à l’effort qui nous a rendu les choses plus difficiles et sur le déficit de solidarité qui menace encore de nous désunir.

Ceci admis, l’opportunité qu’offre tout de même une crise est de faire accepter des vérités amères et – surtout – des comportements contraignants. Toutes les alertes qui se sont succédées en 2014 auront été instructives si elles sont acceptées non pas comme d’exceptionnels incidents de parcours. Mais comme des mises en garde qu’il serait désastreux d’ignorer. Car de cette erreur découlerait un recours permanent aux expédients.

 G. DRABO

Source: Essor

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