C’est du moins, l’avis de Laurent Viguier, consultant international, spécialiste en réforme administrative. Il fait partie des artisans du Programme de développement institutionnel du Mali (PDI) dont la deuxième génération est sur le point de démarrer.
Monsieur Viguier est un administrateur civil au ministère français de l’Intérieur, où il a occupé plusieurs postes dans l’administration territoriale. Il a également servi dans le corps diplomatique et dans les services du Premier ministre. Aussi, il a accompagné des projets de réforme administrative dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Burundi, la Guinée, le Togo ou hors d’Afrique, Haïti et la Mongolie.
Après avoir participé à l’élaboration du Programme de développement institutionnel (PDI, 2e génération), Laurent Viguier répond ici à nos questions sur la réforme administrative enclenchée par le gouvernement malien, depuis plusieurs années, à travers le Commissariat au développement institutionnel (CDI).
Quelles sont les missions de votre équipe auprès du CDI ?
Cette mission fait suite à celle que nous avions menée en 2015, avec un autre collègue, pour évaluer le précédent PDI et proposer la nouvelle génération. L’expérience prouve que, ce qui est difficile, ce n’est pas de formuler des programmes, dont tous les pays en développement regorgent littéralement, mais de passer à leur mise en œuvre effective pour obtenir des résultats tangibles. Il y a là un seuil difficile, que souvent on ne parvient pas à franchir. Notre mission vise précisément à aider le CDI à passer ce cap. Les objectifs sont définis, les plans existent, les étapes à parcourir sont déterminées. Mais comment se met-on pratiquement au travail ? Par quoi commence-t-on ? Avec quelles méthodes pratiques ? Il s’agit pour nous d’aider à faire passer la réforme administrative du papier à la vie.
Parlez-nous des axes majeurs du PDI 2ème génération ?
Je crois qu’il n’y en a qu’un qu’il faille vraiment retenir, mais celui-ci il faut le marteler sans cesse tellement il est important, et à quel point il conditionne le succès ou l’échec : c’est qu’il y a une réforme de l’administration, et une seule. Je m’explique, car c’est vraiment la clef de tout, et il est donc utile de bien le comprendre.
Pour de nombreuses raisons, essentiellement bureaucratiques – et la responsabilité dans ce domaine est largement partagée entre les PTF et les autorités nationales -, les processus de réforme sont scindés en plusieurs programmes qui ont chacun des modes et des structures de gestion différents, des bailleurs différents, des chronologies différentes. Si l’on prend les principaux au Mali, vous avez eu jusqu’à présent le PDI, visant à la réforme de l’administration, le Pagam, qui concerne la réforme de la gestion des finances publiques, et les programmes d’appui à la décentralisation.
D’un point de vue bureaucratique, il y a sûrement de nombreuses bonnes raisons pour que ces programmes soient ainsi dispersés. Mais, du point de vue des résultats, cette dispersion est extraordinairement pénalisante. Pourquoi ? Parce que l’administration nationale est un système unique, où toute action sur un élément du système rétroagit nécessairement sur les autres. Si vous agissez sur un élément sans regarder ce qui se fait sur les autres, il y a peu de chances que le résultat global soit satisfaisant. Or, c’est exactement ce qui s’est passé jusqu’à maintenant au Mali. Prenons un exemple : on y parle beaucoup de décentralisation d’une part, et de réforme de la gestion des finances publiques de l’autre. Pourtant, personne aujourd’hui n’est capable de dire comment on insère la décentralisation dans les nouvelles modalités de gestion budgétaire de l’État, tout simplement parce qu’on a pensé les deux séparément. Ce n’est un gage de réussite ni pour l’une, ni pour l’autre de ces réformes.
L’axe majeur du PDI 2, c’est de rompre avec cette dispersion, et de considérer qu’il y a une réforme unique de l’Etat, qui concerne à la fois ses administrations propres, ses ressources, et ses collectivités territoriales ainsi que les rapports qu’il entretient avec elles. Il y a pour assurer cette unité de vue, une occasion à saisir, qui est celle précisément de la réforme en cours de la gestion des finances publiques et le passage, à compter de 2018, à une gestion budgétaire en mode programmes. Si elle est intelligemment menée, celle réforme majeure est une occasion unique de faire progresser de pair une meilleure gestion des ressources publiques, une meilleure organisation des administrations de l’État – qu’elles soient centrales ou déconcentrées – et de développer la décentralisation : c’est toute la stratégie du PDI 2.
Quels sont les départements ministériels visés par le PDI 2ème génération ?
Idéalement, ce sont toutes les administrations maliennes. Cela dit, je pense qu’il faut là aussi résister à la tentation de la dispersion, et être persuadé qu’on ne peut pas tout faire, partout et en même temps. La vision du PDI 2, c’est donc celle de réformes concentrées sur tel ou tel ministère pour être complètes, et qui s’étendent petit à petit à d’autres, au fur et à mesure que les moyens sont disponibles et les capacités d’absorption de ces moyens créées. C’est donc une démarche progressive. Il ne nous appartient bien sûr pas de dire par où commencer, mais nous avons proposé un certain nombre de critères pour aider aux choix.
Votre mot de la fin ?
Ce sera une pensée d’encouragement et de solidarité pour nos collègues maliens, qui auront la lourde tâche de faire vivre tous ces projets, où qu’ils soient dans l’administration nationale.
La rédaction