MINUSMA est la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali. Son mandat découle du chapitre VII du conseil de sécurité des Nations Unies par la résolution 2100 du 25 avril 2013 en vue de stabiliser le Mali qui peine à contenir des groupes armés qui déstabilisent le nord et le centre du pays. Elle comptabilise 13 289 soldats et 1 920 policiers. Sa principale priorité stratégique reste l’appui à la mise en oeuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali. Puisque la situation sécuritaire ne cesse de s’empirer, son mandat a été renouvelé à l’unanimité le 29 juin 2020 dernier par le Conseil de sécurité suite à la résolution 2531.
S’inscrivant dans son mandat, la MINUSMA a ainsi légitimement rendu publique son enquête sur l’attaque du village Bounty1 par les forces françaises Barkhane fin mars dernier. Il s’agit d’une opération aérienne militaire effectuée par les Forces Barkhane sur le village Bounty. Cette attaque a touché une cérémonie de mariage qui se déroulait à l’extérieur du village et fait 19 victimes. Pour les habitants du village les victimes sont des civiles venus assister à la cérémonie du mariage.
Ces forces militaires se sont déployées sur le territoire malien en août 2014 en vue de lutter contre les groupes djihadistes. C’est toute la région du Sahel qui bénéficie de ce soutien militaire qui prend le nom du G5 Sahel et, qui englobe le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. En droit international on appellera cela une coalition internationale dont le but est de prévenir et de lutter contre l’offensive djihadiste qui a pris de l’ampleur depuis l’éclatement de la guerre en Libye en 2011. De ce fait, tous les Etats impliqués sont affectés directement par ce conflit. Et cela fait de lui un conflit inédit dans la région en raison de la situation géographique, du nombre d’Etats impliqués et, du caractère de l’ennemi à combattre. Ce phénomène crée forcément des subtilités juridiques au regard du droit international sur lesquels il est intéressant de porter une courte analyse.
C’est justement en terme juridique qu’il est légitime de se poser des questions sur la teneur du rapport de la MINUSMA au regard de la protection des populations civiles qui est ; en l’espèce le principal enjeu auquel s’ajoute la problématique de l’identification de l’ennemi dans une zone où les massacres sont devenus intercommunautaires. Ces attaques sont également dirigées contre les forces militaires de la MINUSMA, contre les forces maliennes, les forces Barkhane2.
Le droit international humanitaire a toujours fait la question de l’identification des belligérants et , des insurgés une question déterminante comme base juridique de la protection des populations civiles3. Cela ressort de l’esprit des Conventions de Genève successives (1864,1906,1929,1949) et des Protocoles additionnels de 1977. Tous ces textes ont depuis 1864 tenté d’introduire des normes contraignantes à l’égard des Etats et des insurgés pour « humaniser les lois de la guerres4 ». C’est l’article 1 de la Convention de Genève du 12 août de 1949 qui a ainsi édicté que : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention [le présent Protocole additionnel] en toutes circonstances ». Il ressort de l’interprétation de ce texte, le caractère erga omnes des obligations à la charge des Etats signataires de ladite convention identifiée ici par l’expression « en toute circonstances ». Ainsi la logique de l’intervention interétatique cède la place au droit des vies humaines des populations civiles.
Le rapport de la MINUSMA s’inscrit en tout état de cause sur ces sources de droit conventionnel pour faire respecter le droit des populations civiles dans les conflits armés au Mali et dans le G5 Sahel. Il s’agit en d’autres terme d’une « humanisation des lois de la guerre » qui oblige les Etats signataires à respecter en toute circonstance les traités et ce ; quel que soit le comportement de l’adversaire.
Quel est donc la dimension et la portée du rapport de la MINUSMA sur le droit international humanitaire ? Dans le contexte malien où le conflit est également devenu communautaire, permet-il de conforter sa mission initiale qui est de faire régner la paix, la sécurité et l’amitié entre les peuples tel que stipulé par la charte des Nations Unies ?
La Division des droits de l’homme et de la protection de la MINUSMA a en effet distingué d’une part, dans les conflits armés et internationalisés, la relation entre l’Etat assiégé par des insurgés en l’occurrence – le gouvernement Malien contre les djihadistes – et, d’autre part le soutient militaire apporté à cet Etat par une puissance étrangère qui est en l’occurrence l’armée française.
Ce scénario implique trois acteurs dans le conflit dont ; un élément d’extranéité qui est représenté par l’implication d’une puissance étrangère. Il s’agit ainsi de deux entités étatiques ; le gouvernement malien et le gouvernement français contre les djihadistes. La relation entre la France et le Mali est un critère déterminant pour qualifier le conflit d’international quand bien même la Convention de Genève du 12 août 1949 est également applicable dans le cas de la relation entre le Mali et ses propres insurgés5.
Dans le cas l’affaire du village de Bounty l’enquête de la Division des Droits de l’Homme et de la protection de la MINUSMA a pourtant inclus et, les personnalités des autorités compétentes maliennes et françaises accompagnées d’experts scientifiques en vue d’établir les faits. Cela lui a permis de conclure à une violation du droit international humanitaire.
Ces conclusions soulèvent la grande question des guerres civiles internes et internationalisées modernes et, le souci de la protection des populations civiles. Puisque le rapport pointe le doigt sur les difficultés liées à la capacité des armées régulières à identifier l’ennemi. Il y a en effet, un amalgame entre islamistes, terroristes, peulhs, touareg, arabes ou nomades6. A défaut de porter de signes distinctifs, les insurgés sont de ce fait, confondus par les armées régulières avec les populations civiles et, ils peinent à identifier leurs cibles, leurs services de renseignements se heurtent en outre à clarifier leurs sources de financement et leurs soutiens réels ou avérés.
Ainsi selon l’enquête de la MINUSMA7, les victimes étaient « très majoritairement composées de civils qui sont des personnes protégées contre les attaques au regard du droit international humanitaire ». C’est bien un sursaut de la doctrine volontariste de la « responsabilité de protéger » qui a prévalu dans le rapport de la Division des Droits de l’Homme de la MINUSMA du 30 mars dernier. Si l’attaque est strictement sur le registre purement militaire, la cible ne l’est pas selon le rapport.
La MINUSMA a ainsi offert de l’espoir à ceux qui souhaitaient voir l’ONU adopter une réponse plus affirmée aux cas de violations des droits de l’homme. Il s’agit d’une obligation de contrôle et non de tuer à la charge des armées. En outre, la Division des Droits de l’Hommes souligne que : « Cette frappe soulève des préoccupations importantes quant au respect des principes de la conduite des hostilités, notamment le principe de précaution dont l’obligation de faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que les cibles sont bien des objectifs militaires ». Cette conclusion met de facto les armées régulières à l’épreuve. Les expressions « conduite des hostilités », « principe de précaution » utilisées par la Division des droits de l’homme de la MINUSMA illustrent explicitement l’émergence d’une nouvelle doctrine qui n’est autre que la « responsabilité protéger ». Notons au passage que cette doctrine affirmative est née à la suite des atrocités commises pendant la guerre l’ex Yougoslavie et du génocide Rwandais de 1994.
Ce changement volontariste et rigoureux du droit international humanitaire a été soulevé explicitement par le procureur de la chambre d’appel du Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie par Zoran Kupreškić qui n’a pas manqué l’occasion de souligner que : « le respect des règles humanitaires ne peut dépendre d’un respect réciproque ou équivalent de ces obligations par d’autres États. […] En raison de leur caractère absolu, ces normes de droit international humanitaire n’imposent pas d’obligations synallagmatiques […]. Au contraire, comme on peut le lire dans l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice dans l’affaire Barcelona Traction […], elles énoncent des obligations envers la communauté internationale8».
Comme l’a si bien dit Éric Pommès « Classiquement, les victoires militaires amènent les victoires politiques ; pour les insurgés, c’est l’inverse. Leurs objectifs sont avant tout politiques et non militaires »9. La stratégie des insurgés impose donc leur style et met le doute dont les charges de la preuve pèsent sur l’armée française. Ainsi en a conclu la MINUSMA dans son enquête. De ce fait, il ressort de cette idée qu’en dépit de la configuration que revêt l’attaque du village de Bounty la Convention internationale de Genève du 12 août 1949 et ses protocoles additionnels sont applicables. Celle-ci impose en effet aux armées régulières un devoir de diligence quel que soit le comportement de l’ennemi même si on sait les forces onusiennes sont-elles même régulièrement victime d’attaques asymétriques10 meurtrières par les insurgés.
Les Etats signataires de la Convention de Genève de 1949 sont tenus par le principe pacta sunt servanda en dépit des perversités de la stratégie de l’ennemi11. Le non-respect des règles du droit de la guerre par les insurgés fait de lui un angle mort et, appelle au « principe de précaution » à la charge des deux armées régulières tel qu’évoqué dans le rapport de la MIUSMA. Celui-ci pointe le doigt sur la responsabilité de l’armée régulière et ; indirectement le gouvernement malien du droit international humanitaire. La grande zone d’ombre sur la situation du conflit malien est que ni le politique, ni le militaire n’a pu ou voulu identifier clairement qui soutient ce mouvement de résistance organisée. Et puisque les insurgés se dissimilent dans la population civile, les autorités maliennes sont confrontées à un sérieux problème de violation des droits de l’homme. C’est ce qui ressort également le 22 mars dernier d’un rapport indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali12.
Au final, l’enquête de la MINUSMA prend fait et cause pour le droit international humanitaire contre les armées régulières dans une zone où les affrontements ne sont pas que religieux mais intercommunautaires. En d’autre terme cela soulève la question la capacité de l’Etat assiégé renforcer sa puissance régalienne.
Moussa Coulibaly
Expert en Droit international et européen de la défense et de la sécurité Lille 2, IHEDN de Paris,
Enseignant et chercheur en droit international des conflits à l’université de Nouakchot, basé à Copenhague