Les migrants expulsés doivent affronter une chaleur qui peut atteindre 48 degrés Celsius.
Au Niger, pays vers lequel la majorité se dirigent, les plus chanceux traversent un enfer de 15 kilomètres jusqu’au village frontalier d’Assamaka. D’autres errent pendant des jours avant qu’une équipe de sauvetage de l’ONU finisse par les trouver. Un nombre incalculable périt ; la quasi-totalité de la vingtaine de survivants rencontrés par l’Associated Press a raconté que des membres de leurs groupes avaient simplement été avalés par le Sahara.
Plusieurs femmes enceintes ont perdu leur bébé en chemin.
Les expulsions massives de l’Algérie ont repris depuis octobre 2017, quand l’Union européenne (UE) a renouvelé la pression sur les pays d’Afrique du Nord pour qu’ils bloquent les migrants qui veulent traverser la Méditerranée ou rejoindre les enclaves espagnoles au Maroc.
Un porte-parole de l’Union européenne a déclaré que l’UE était au courant des agissements de l’Algérie, mais que les « pays souverains » peuvent expulser les migrants pourvu qu’ils se conforment au droit international. Contrairement au Niger, l’Algérie ne prend aucun des fonds de l’UE destinés à soulager à la crise migratoire, bien qu’elle ait reçu 111,3 millions de dollars américains d’aide de l’Europe entre 2014 et 2017.
Marche de l’enfer
L’Algérie ne fournit aucun chiffre pour ces expulsions. Mais le nombre de personnes qui se rendent à pied au Niger augmente depuis que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a commencé à compiler des chiffres en mai 2017, quand 135 personnes ont été laissées à l’abandon, jusqu’à 2888 en avril 2018. Au total, selon l’OIM, 11 276 hommes, femmes et enfants ont survécu à la marche.
Au moins 2500 autres migrants ont été forcés d’effectuer une randonnée similaire vers le Mali voisin, et un nombre indéterminé a succombé en cours de route.
Les migrants à qui l’Associated Press a parlé ont décrit avoir été rassemblés par centaines, entassés dans des camions pendant des heures jusqu’à ce qu’on appelle « Point Zero », puis abandonnés dans le désert en direction du Niger. Ils commencent alors à marcher, parfois sous la menace d’une arme.
« Il y avait des gens qui ne pouvaient pas le prendre, ils se sont assis et nous les avons laissés, ils souffraient trop », a déclaré Aliou Kande, un Sénégalais de 18 ans.
M. Kande a déclaré que près d’une douzaine de personnes ont abandonné, s’effondrant dans le sable. Son groupe de 1000 personnes s’est promené de 8 heures à 19 heures, a-t-il dit. Il n’a jamais revu les personnes disparues.
« Ils nous ont jetés dans le désert, sans nos téléphones, sans argent », a-t-il dénoncé.
Les témoignages des migrants sont confirmés par des vidéos récoltées par l’Associated Press depuis des mois. Les images montrent des centaines de personnes s’éloignant des files de camions et d’autobus pour se répandre dans le désert. Deux migrants ont déclaré à l’Associated Press que des policiers ont tiré en leur direction, et plusieurs vidéos vues par l’AP montrent des hommes armés et en uniforme qui montent la garde.
Un Libérien, Ju Dennis, a filmé son expulsion avec un téléphone qu’il gardait caché sur son corps. Ses images font voir des gens entassés sur le plancher d’un camion ouvert, essayant en vain de se protéger du soleil et de se cacher des policiers. Il a raconté chaque étape du chemin d’une voix étouffée.
« Vous faites face à l’expulsion en Algérie — il n’y a pas de pitié, a-t-il dit. Je veux les exposer maintenant […] Nous sommes ici, et nous avons vu ce qu’ils ont fait et nous avons eu des preuves. »
Les autorités algériennes ont refusé de commenter. Mais l’Algérie a par le passé réfuté toute critique selon laquelle elle contrevient aux droits des migrants en les abandonnant au désert ; elle qualifie ces allégations de « campagne malveillante » destinée à enflammer les pays voisins.
Le Sahara est un tueur efficace qui laisse peu de traces. L’Organisation internationale pour les migrations estime que, pour chaque migrant dont la mort est connue en traversant la Méditerranée, jusqu’à deux sont perdus au désert — soit potentiellement plus de 30 000 personnes depuis 2014.
Source: ledevoir