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« La Route des clameurs », ou le roman d’une famille malienne face au Jihad

RENTRÉE LITTÉRAIRE DU MALI. Ousmane Diarra nous plonge au cœur des actes de résistance d’un homme face aux islamistes : son livre sort en poche chez Folio.

Jusqu’à présent dans les librairies françaises, c’est un Africain blanc en habit vert, Erik Orsenna, qui a décrit, par la fiction et la voix de sa Madame Bâ, dans Mali, ô Mali (ed. Fayard), ce par quoi ce grand pays est passé. Et bien des écrits sur la « crise » malienne ont circulé à Bamako, à l’initiative notamment des éditions La Sahélienne, ou des éditions Tombouctou.

Une histoire du Mali

En cette rentrée, depuis la capitale malienne où il vit et travaille à la médiathèque de l’Institut français, nous arrive le formidable roman de l’écrivain Ousmane Diarra qui fait résonner à son tour le bruit et la fureur qui ont envahi la vie de ses compatriotes. Son roman, La Route des clameurs, donne la parole à un jeune garçon bientôt enrôlé malgré lui dans le Jihad, « la mère des calamités » tombée sur son pays. Son « papa » (ainsi nommé tout du long) est un grand artiste plasticien, admiré jusqu’au-delà des frontières. Il va résister du haut de son indifférence silencieuse à la multiplication des « gamins Imam » autour de chez lui, ainsi qu’à la présence des « Morbidonnes », qui, sous les ordres du calife Mabu Maba dit Fieffé Ranson Kattar Ibn Ahmad Almorbiddonne (vous avez bien lu), enrôlent les citoyens pour servir la cause soi-disant d’Allah. Jusqu’où tiendra-t-il quand il découvrira que ce faux calife n’est autre qu’un de ses condisciples d’études, connu pour son ignorance crasse (du Coran, notamment) ? Et comment sa famille va-t-elle réagir ?

L’innocence de la voix d’enfant donne encore plus de force au propos du roman

On sait combien les voix d’enfants ont porté la littérature africaine, d’Allah n’est pas obligé à Sozaboy. Celle qu’Ousmane Diarra donne à son jeune héros et narrateur mêle la curiosité, l’innocence, la bonne volonté à l’effroi, la perte des repères, les déchirements autant de sentiments par lesquels le jeune fils du peintre en passe, voyant sa mère et ses « sœurettes » se voiler, son grand-frère devenir le numéro deux des djihadistes, qui ont la mainmise sur le pays, et lui-même devenir la proie du calife en « vieux cochon »… Qui dit vrai ? Qui manipule ? Comment choisir son camp ? Ces dilemmes qui ont fait souffrir tant de familles (et continuent pour certaines) habitent profondément ce livre qui, pour autant, ne s’alourdit jamais de pathos. La prose pleine de trouvailles, la surenchère des surnoms pour dire le pire, le rythme ponctué de rires moqueurs ou rageurs, mais pleins de vitalité, apportent une énergie débordante devant la tragédie, font office de munitions intérieures pour tout un chacun, comme si la colère de l’écrivain s’était transformée en ardeur à dire, à imaginer, par exemple ce « Manuel du Morbidonne » où le viol est recommandé, ainsi que la cocaïne…

Dans ses précédents romans Vieux Lézard, très autobiographique, et Pagne de femmes, Ousmane Diarra avait déjà donné le signal d’alarme en pointant du doigt le discours montant des islamistes dans la société malienne. Ici, il s’engage à chaque page dans une écriture portée par la révolte, mais qui garde une ironie distante, salutaire et ouvre la perspective historique. Sa prose malgré tout joyeuse et à la portée de tous saura parler aux quatre coins du continent et de la planète, rapprochera les uns des autres, dans cette résistance propre que figure l’artiste de LaRoute des clameurs. Quand on suit ces pick-up du désert que Diarra nomme « dromadaires de fer », conduits par un de ces faux intégristes qui se cachent pour fumer en coupant les mains des fumeurs, on voit aussitôt les images du film Timbuktu qui a bouleversé le Festival de Cannes (et sortira en salle en décembre). C’est ainsi que des créateurs comme Abderrahmane Sissako, Ousmane Diarra témoignent en éclaireurs.

 

lepoint

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