La lettre adressée par la Présidente de la Cour Constitutionnelle, Mme Manassa Danioko, à l’ancien président de la République, Alpha Oumar Konaré, suscite une polémique de plus en plus vive. Une proche de la famille Konaré affiche son étonnement voire sa surprise. Selon Me Mamadou Ismaïla Konaté, ancien ministre de la justice, ce n’est ni le rôle, ni la mission de l’institution.
Dans une correspondance n°082/P-CCM du 22 octobre frappée par les sceaux «confidentiel» et « très urgent », la Présidente de la Cour Constitutionnelle, Mme Manassa Danioko interpelle Alpha Oumar Konaré, Ancien Président de la République, Chef de l’Etat.
« Excellence Monsieur le Président de la République,
En vous confiant sa destinée à un moment donné de son histoire, le Peuple malien faisait de vous les dignes héritiers des Héros de l’Indépendance nationale, les Sentiments pour la Sauvegarde de l’Unité nationale et des Acquis démocratiques.
Conscient de la responsabilité que vous avez assumée et de votre capacité à influer positivement sur la vie de la nation, le Législateur ne vous a-t-il pas consacré un Statut depuis 2012 ? Dès lors, la cessation de la fonction présidentielle ne met pas fin à votre devoir moral et patriotique de préserver les fondements de la république.
Aujourd’hui, les piliers de celle-ci sont fortement fragilisés par la crise multidimensionnelle qui prévaut dans notre pays.
La Cour constitutionnelle du Mali, dans sa mission de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics, prescrite par l’article 85 de la Constitution, se doit d’attirer votre attention sur la nécessité d’un sursaut national du Peuple malien, avec au premier rang, vous qui avez eu la lourde et exaltante mission de présider à sa destinée.
Les nombreux défis qui en découlent n’offrent aucune autre alternative que le dépassement de sol au profit de l’ensemble national.
La Cour constitutionnelle du Mali n’est pas une juridiction figée. Elle a pour rôle profond de créer les conditions d’une pacification des rapports socio-politiques.
Dans l’accomplissement de ses missions constitutionnelles, elle souhaite vivement votre participation entière aux initiatives en cours pour la préservation de la cohésion et de l’unité nationale, le vivre ensemble qui a toujours caractérisé le malien, pour l’ensemble national y compris les générations futures afin que vive le Mali éternel que nous ont légué nos illustres devanciers.
Je vous prie d’agréer, Excellence Monsieur le président de la République, l’expression de ma très haute considération ».
Voici le contenu de cette correspondance largement diffusée sur les réseaux sociaux, sous la signature de Madame Manassa DANIOKO, Commandeur de l’Ordre National du Mali.
Ni le rôle, ni la mission de cette institution
Pour Me Mamadou Ismaïla Konaté, avocat et ancien ministre de la Justice, la Cour Constitutionnelle est sortie de son rôle pour écrire une lettre au contenu politique. « Non, c’est un fake ! Ce n’est ni le rôle, ni la mission de cette institution, chargée du contrôle de la conformité des lois à la Constitution, veiller au fonctionnement régulier des institutions, superviser les élections. Or, le contenu de cette lettre est intensément politique », a tweeté Me Konaté.
Un proche de la famille Konaré, cité par un confrère de la place, s’étonne de cette lettre et ne cache pas sa surprise. «Nous sommes étonnés et surpris de voir cette lettre de la Cour constitutionnelle. Elle pouvait se renseigner auprès des autorités, sur ce que le président Konaré est en train de faire », rapporte le confrère sur sa page Facebook en faisant allusion à ce proche de la famille Konaré.
Cette lettre intervient après une rencontre entre les Présidents Alpha Oumar Konaré et Ibrahim Boubacar Keïta, le 12 septembre 2019, selon l’hebdomadaire « Jeune Afrique ». Depuis son départ du pouvoir en 2002, le Président Konaré s’est imposé volontairement un devoir de réserve sur toutes les questions d’intérêt national. Même l’arrestation de son fils, Colonel Mohamed Lamine Konaré par la junte militaire de Kati d’Amadou Haya Sanogo, ne l’a pas amené à rompre le silence. Ce que Pr Issa N’Diaye qualifie de « Maradonna de la politique malienne » évite toutes les apparitions publiques. A l’exception notable de cérémonies de funérailles de quelques proches. On l’a vu s’asseoir auprès de Général Amadou Toumani Touré en 2009 lors des obsèques de Mandé Sidibé, donner des accolades à son ancien Premier ministre à la devanture des cimetières ou en marge des sommets de l’Union africaine.
Quelle mouche aurait-elle piqué Mme la présidente de la Cour Constitutionnelle ? Cette question émane surtout de ceux qui estiment qu’elle n’est pas dans son rôle. D’autres pensent le contraire. Les interrogations fusent de tous les côtés :
- S’il y a eu une concertation préalable entre le Président IBK et la Présidente de la Cour Constitutionnelle et si elle était en mission de ce dernier.
- Si ‘‘’ces manœuvres’’ ne visent pas à faire pression sur l’ancien chef de l’Etat afin qu’il sorte de son mutisme.
- Si l’institution ne se décrédibilise pas en prenant une telle position après avoir reçu des volées de bois verts pour ses ‘’prises de positions’’ durant le processus électoral passé?
- Que vaut la parole de Manassa ?
- Que va-t-il faire Alpha Oumar Konaré?
La polémique ne cesse d’enfler. Mais l’évidence est que personne ne saurait répondre à la place du célèbre fils du non moins célèbre Dougoukolo Konaré et de la regrettée Bathily Diallo.
Toutefois pendant qu’on se perd en conjectures, comme on sait si bien le faire dans ce pays, quelques rappels s’avèrent utiles. Manassa Danioko n’est pas n’importe qui dans le landerneau le politico-judiciaire malien. La célèbre magistrate a été avocate générale a occupé le banc du ministère public lors des procès crimes de sang et chargé Moussa Traoré. Avant de disparaître par la suite dans le monde de la diplomatie en qualité d’ambassadeur du Mali au Canada. Le Président de la République à l’époque était Alpha Oumar Konaré qui avait comme Premier ministre un certain Ibrahim Boubacar Kéïta !
Chiaka Doumbia
Le challenger