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La IV République mort-née

Ayant annoncé au début du mois de juin 2022 que le régime se maintiendrait au pouvoir jusqu’en mars 2024, le président de la Transition, Assimi Goïta, a aussitôt décidé qu’une commission élaborerait une nouvelle Constitution ; cette mesure a été suivie de la promulgation d’une loi électorale, indispensable pour organiser des élections ; enfin, le 29 juin, un décret a permis la désignation des vingt-cinq membres chargés, en deux mois maximum, de composer une Constitution, qui devrait être soumise à référendum le 19 mars 2023. Parce qu’elles ont été prises vite, ou très vite, ces résolutions portent une part de soupçon, d’ailleurs légitime, puisqu’elles émanent des putschistes, qui dirigent le Mali sans partage depuis deux ans ; il nous faut donc chercher à les comprendre. En parallèle au texte douteux que prépare l’armée, nous nous proposons d’esquisser les dispositions constitutionnelles décrivant les institutions de la IVeRépublique auxquelles nous avons réfléchi, afin qu’elles participent à la refondation de l’État.

 

  1. Le projet retors de la junte

En déclarant que le pouvoir ne serait rendu aux civils qu’en mars 2024, au terme d’élections attendues depuis plus de deux ans, avant même la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le colonel Goïta devait faire l’effort de quelques concessions pour apaiser ceux que cette décision prévisible allait inquiéter et mécontenter davantage, les Maliens et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) en particulier. Il est ainsi parvenu, avec autant d’astuce que de ruse, à ménager non seulement le peuple, en lui faisant croire que la rédaction d’une Constitution préparant à une IVe République annonçait le retour des civils dans la direction du pays, mais aussi la Cédéao, la décision de composer une nouvelle loi fondamentale garantissant le rétablissement de la démocratie ; de la sorte, les sanctions, qui ont cours depuis deux ans, n’auraient plus lieu d’être. Ces manigances sont d’autant plus habiles qu’elles procèdent d’un plan préparé de longue date : en réalité, la nouvelle Constitution était l’une des recommandations des Assises nationales de la refondation (ANR), fin décembre 2021, dont les membres, choisis par la junte, exprimaient leur souhait de voir se prolonger la Transition… On comprend mieux ainsi l’une des dispositions de la loi électorale. Son article 155 dispose en effet que « tout membre des Forces armées ou de sécurité qui désire être candidat aux fonctions de président de la République doit démissionner ou demander sa mise à la retraite au moins six mois avant la fin du mandat en cours du président de la République » et que « pour les élections pendant la Transition, les membres des Forces armées ou de sécurité qui désirent être candidats aux fonctions de président de la République doivent démissionner ou demander leur mise à la retraite au moins quatre mois avant la date de l’élection présidentielle marquant la fin de la transition ». Voilà qui ouvre la voie de la présidence de la République à tout membre de la junte, y compris le président de la Transition, contrairement à l’interdiction posée par l’article 9 de la Charte de la Transition organisant le Mali depuis le 1er octobre 2020 et, avant lui, l’Acte fondamental du mois d’août précédent : « Le président de la Transition n’est pas éligible aux élections présidentielles et législatives qui seront organisées, pour marquer la fin de la Transition. La présente disposition n’est pas susceptible de révision. »

L’article 155 de la loi électorale, on le comprend facilement, rend caduque la Constitution de la IVeRépublique avant même qu’elle ne soit écrite. On n’imagine pas, en effet, que l’armée ne profite pas de cette mesure l’autorisant à participer à l’élection présidentielle et demeure aux commandes de l’État après des élections qu’elle aura organisées… Dès lors, l’ambition de la junte est-elle de changer de Constitution ou, plutôt, de changer la Constitution actuelle ? Étant donné son importance, la loi électorale s’impose comme une loi révisant la Constitution de la IIIe République et préparant une IVe République fantoche, de nature militaire ou, pour le dire autrement, qui s’annonce comme un échec. Encore une fois avec les putschistes, le cadre juridique semble respecté, mais il détourne l’esprit des lois. Rappelons à ce sujet qu’un acte préconstituant est impératif pour élaborer une Constitution et qu’en aucun cas les recommandations des ANR ne peuvent en tenir lieu. De surcroît, la junte n’a pas demandé leur avis aux Maliens. Un régime politique imposant l’équilibre des pouvoirs et rejetant la « monarchisation » de l’exécutif doit donc voir le jour pour le bien de l’État.

  1. Une nouvelle Constitution indispensable

Un citoyen, un juriste, constitutionnaliste qui plus est, se doit de réagir à cette situation en participant au débat politique non seulement en analysant les décisions prises, mais aussi en « faisant de la politique », c’est-à-dire en présentant des idées relatives aux institutions qui pourraient former la nouvelle Constitution à venir afin de contribuer au relèvement du Mali. Nous pensons ainsi que changer la nature du régime politique est nécessaire : il faut supprimer le régime présidentialiste pour un régime parlementaire. Une autre exigence s’impose : adapter la nouvelle Constitution et prendre en compte les aspirations du peuple en luttant contre la corruption et contre l’insécurité. Trois Républiques se sont en effet succédé et toutes se sont éteintes à la suite de coups d’États militaires iniques par nature, bien sûr, mais révélant l’impuissance des Constitutions en place et le malaise du peuple. Instaurée à l’indépendance, en 1968, la Ire République n’a duré que huit ans. Une période de transition est intervenue jusqu’en 1974, date qui a marqué le début de la IIe République. En 1991, la IIIe République la remplace. Suspendue à partir d’août 2020, elle est finalement écartée en mai 2021, lorsque la Cour constitutionnelle reconnaît la supériorité de la Charte de la Transition. Pour refonder le Mali, nous proposons les institutions originales suivantes, énumérées à grands traits.

● Le président de la République

  • Le mandat

Élu au suffrage universel direct pour sept ans, il n’est rééligible qu’une seule fois : ce principe, intangible, empêche un troisième mandat, de sorte que toute révision de la limitation du nombre de mandats est interdite.

  • Les pouvoirs et les missions

Ses pouvoirs sont limités : le président de la République n’est pas autoritaire ; il n’est ni un tyran, ni un monarque républicain. Il est le gardien de la Constitution et veille à l’indépendance de l’État et à l’intégrité du territoire. Il donne des orientations politiques et ne gouverne donc pas. Enfin, le Président promulgue les lois. Par ailleurs, il ne préside pas le Conseil supérieur de la magistrature, ni le Conseil des ministres : ces missions sont celles du Premier ministre, car le régime parlementaire est établi.

  • La vacance du pouvoir

La vacance du pouvoir intervient en cas de décès, de démission ou de destitution.

Si le président de la République viole la Constitution, il y a saisine de l’Assemblée nationale et la destitution est possible après arrêt de la Cour constitutionnelle. Un gouvernement des juges est donc instauré.

De même, la destitution est possible si deux millions de Maliens signent une pétition examinée par l’Assemblée nationale et ensuite transmise à la Cour constitutionnelle. Elle peut être soumise à référendum. La destitution vise à éviter une insurrection.

Si la vacance est constatée, le président de l’Assemblée nationale assure l’intérim pour un an, sans prolongation.

● La Cour constitutionnelle

  • La composition

La Cour constitutionnelle compte onze membres qui ne sont pas des politiciens, mais exclusivement des juristes.

Deux membres sont nommés par le président de la République. Ce choix est soumis aux membres sortants de l’Assemblée nationale.

Un membre est nommé par le président de l’Assemblée nationale et son choix est soumis aux députés, qui auditionnent le candidat.

Trois membres sont nommés par le Conseil supérieur de la magistrature.

Un membre est nommé par l’Ordre des avocats : il s’agit d’un avocat ayant au moins quinze ans d’expérience.

Deux membres sont des enseignants-chercheurs nommés par leurs pairs.

Deux membres sont nommés par les organisations de défense des droits de l’homme.

  • Le mandat

Le mandat des juges est de neuf ans et il est unique. Le renouvellement de la Cour a lieu tous les trois ans, le tiers des membres sont alors concernés.

  • La saisine

La Cour peut être saisi par :

• Le président de la République ;

• Le Premier ministre ;

• Le président de l’Assemblée nationale ;

• Tout parti politique ayant dix députés ;

• Tout citoyen ; alors, le Bureau de la saisine citoyenne verra si le problème soulevé est contraire à la Constitution.

● Le gouvernement

  • La composition

Le gouvernement est placé sous l’autorité du Premier ministre. Il compte vingt-cinq ministres ; la parité entre hommes et femmes est la règle.

Quand il entre et sort du gouvernement, tout ministre doit déclarer ses biens à l’autorité compétente, qui veille aussi à la bonne moralité de chacun. Elle rend un avis public qu’elle transmet à la Cour suprême, qui juge les détournements éventuels d’argent.

Si le Premier ministre ne peut exercer ses fonctions, il choisit un ministre pour assurer l’intérim de sa fonction.

  • Les pouvoirs et les missions

Le gouvernement est responsable devant le Parlement. Il détermine la politique de la nation : le président de la République ne fait que donner des orientations politiques. Il propose des lois. Le Premier ministre est le chef de l’exécutif. Concernant la défense nationale, président de la République et Premier ministre se concertent.

● Le Parlement

  • La composition

Les accords d’Alger imposent l’instauration d’un Sénat, mais une seule Chambre suffit. Il faut porter le nombre de députés à trois cents.

  • Le mandat

Le mandat des députés est de cinq ans. Il peut être renouvelé deux fois maximum.

  • Les pouvoirs et les missions

Les députés proposent et votent les lois ; ils contrôlent aussi l’action du gouvernement et peuvent le renverser.

Le président de l’Assemblée nationale prête serment devant la Cour constitutionnelle.

L’opposition a un statut particulier : son chef est celui du parti ou de la coalition en tête après la majorité présidentielle.

Le président de la commission des Finances est un membre de l’opposition.

Le référendum d’initiative citoyenne est instauré : une pétition signée par vingt mille citoyens peut aboutir à une proposition de loi devant l’Assemblée nationale.

● La responsabilité des gouvernants

Les membres de l’exécutif et les députés ont l’immunité constitutionnelle pendant leur mandat, comme le président de la République, mais leurs actions pénales et civiles sont condamnables. Les actes suivants sont considérés comme des crimes contre la Constitution :

  • L’utilisation frauduleuse de la Constitution ;
  • L’atteinte à l’honneur et à la probité ;
  • L’outrage à l’Assemblée nationale ;
  • Tout changement anticonstitutionnel, comme le coup d’État ;
  • Toute révision visant à prolonger le mandat présidentiel ;
  • L’assassinat politique.

Dans ces cas, il y a autosaisine de la Cour constitutionnelle.

● Autres institutions

Un organe est chargé des élections et ne se limite pas à la loi électorale, car il est constitutionnalisé.

D’autres organes sont institués :

  • Un médiateur de la République.
  • Une Cour suprême.
  • Une Cour des comptes.
  • Un Collège des sages, qui a un rôle consultatif : il veille à la stabilité de l’État, à la paix et à la cohésion nationale ; cherche à résoudre les problèmes religieux. Il est constitué de religieux et d’autorités coutumières, des chefs des grandes associations de la société civile. Ce Collège peut être saisi par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, le président de la Cour constitutionnelle, le Premier ministre, le chef de l’opposition, et par tout parti politique ayant dix députés au moins à l’Assemblée nationale.

Balla CISSÉ, Constitutionnaliste, Docteur en droit public, 

Avocat au Barreau de Paris, Diplômé en Administration électorale

Source: L’Investigateur

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