Lorsque l’on pense aux terroristes de la région de Kidal, on pense d’abord aux attaques de convois, aux prises d’otages, aux bombes qui explosent au bord des routes. Cependant, il ne faut pas oublier la terreur qu’ils font régner sur la population à travers les hisbas, leur prétendue police religieuse qui a moins à voir avec l’islam authentique qu’avec le racket et leur besoin de contrôle totalitaire.
Selon le contexte, le mot hisba peut inspirer le respect ou la terreur. Dans l’islam traditionnel, il s’agit d’un devoir moral pour tout croyant : celui d’ordonner le bien et d’interdire le mal. A partir de la période abbasside, ce devoir moral individuel devient collectif et est délégué aux autorités civiles. La hisba désigne alors les autorités compétentes qui ont pour mission de faire appliquer les règles de loi. A cette époque, la hisba gère non seulement les bonnes mœurs mais également des sujets comme le commerce, la régulation des corporations de métiers, etc.
Ce terme était progressivement devenu étranger à notre culture, jusqu’à la déferlante djihadiste de 2012. Les hisbas du XXIè siècle sont arrivées dans le sillage du groupe terroriste Ansar Dine et d’Iyad Ag Ghaly, qui les ont imposées dans certaines régions du Nord pour installer le règne de la terreur et casser les structures sociales et religieuses traditionnelles.
Les hisbas du Nord Mali organisées par Ansar Dine et aujourd’hui le JNIM ont en réalité deux fonctions principales. La première est de contrôler la population. Personne n’est dupe de leurs menaces plus ou moins voilées : « Dieu sait tout et punit les pécheurs. » Les bergers sont recrutés de force pour fournir des renseignements aux groupes terroristes. Devenant guetteurs, des hommes qui ne demandent qu’à vivre en paix sont ainsi forcés à être complices des terroristes.
La hisba prétend aussi veiller à l’obligation du musulman de prier. Or si la prière est un des piliers de l’islam, l’obligation ne recouvre que la prière individuelle, qui est la plus pratiquée au Nord Mali. Au lieu de cela, les populations soumises sont contraintes de fréquenter des lieux de prière collectifs désignés ; tout est prétexte fallacieux pour surveiller les populations et contrôler leurs mouvements.
De même, que dire de l’obligation imposée par les hisbas aux hommes, de remonter les jambes de leur pantalon ? Cette obsession des salafistes fondamentalistes, sans aucun rapport avec la tradition musulmane au Mali, symbolise la réalité des hisbas : perversion de l’islam et non pas respect de la religion.
Et enfin, qui dit hisba, dit surtout zakât. La zakât est un pilier de l’islam, mais celle prélevée à Tin Zaouatène ou Abeibara par les terroristes n’arrivera jamais aux nécessiteux. Il ne s’agit de rien d’autre que d’un racket bien éloigné de l’aumône des croyants. Le Nord Mali a déjà son système traditionnel d’aumône collective, prélevé par l’amghâr, intermédiaire de l’aménokal. L’objectif des djihadistes n’est donc pas de pallier un besoin mais bien de remplacer là encore les structures traditionnelles, de leur faire porter leurs trafics et de laisser la population complètement à la merci de ces hisbas.
Le Nord du Mali se cherche avec une superposition d’autorités politiques, religieuses, traditionnelles, certaines exilées à Bamako, auxquelles s’ajoutent les autorités intérimaires voulues par l’accord d’Alger. Les hisbas en profitent et nourrissent le terrorisme autour de Kidal. Casser leur fonctionnement actuel et leur extrémisme est une des clés pour mettre fin aux attentats, assassinats ciblés, au règne de la terreur et renouer avec une religion aujourd’hui tristement pervertie.
Paul-Louis Koné
@pauloukone
La rédaction