Pour les membres de l’association « survie », leur pays, la France, est dépassée par les événements qui se passent au Mali. Lors du Forum social mondial à Tunis, ces activistes français ont rencontré la militante altermondialiste Aminata Dramane Traoré, pour cracher leur désapprobation face aux derniers ajustements opérés par l’armée française. Et se disent opposés à l’ouverture d’une base militaire française au Mali. Ils ont qualifié le nouvel ambassadeur français au Mali, Gilles Huberson, d’agent secret français et non de diplomate. Danyel Dubreuil, un membre bouillant de l’association « survie», répond à nos questions sans détours : Kidal, les enjeux, le choix du nouvel ambassadeur, les élections. Lisez plutôt ces révélations.
L’enquêteur : D’abord présentez-nous votre organisation.
Danyel Dubreuil : L’Association survie est une organisation qui milite depuis 25 ans pour la réforme radicale de la politique africaine de la France; pour des relations moins marquées par le soutien de la France aux dictateurs en Afrique et aux entreprises multinationales françaises pour piller les ressources et les matières premières de l’Afrique. Pour une relation qui soit fondée beaucoup plus sur l’amitié entre les peuples et pour le bénéfice des peuples.
Elle a trois objectifs principaux : ramener à la raison démocratique la politique de la France en Afrique (lutte contre la Françafrique et le néocolonialisme), combattre la banalisation du génocide et réinventer la solidarité internationale par la promotion des biens publics mondiaux.
Elle mène des campagnes d’information et d’interpellation des citoyens et des élus pour une réforme de la politique de la France en Afrique et des relations Nord-Sud. Elle fonde son action sur la légitimité qui incombe à chacun d’interpeller ses élus et d’exiger un contrôle réel des choix politiques dans tous les domaines.
L’enquêteur : Quelle est votre vision par rapport à l’intervention française au Mali ?
Danyel Dubreuil : Nous, nous sommes tout à fait contre l’intervention française au Mali. Parce que nous, citoyens français, nous connaissons bien l’attitude de l’armée française en Afrique. Nous sommes aussi contre le fait que la France agisse seule en premier lieu avec un tel déploiement de forces. Pour nous de l’association Survie, cette opération a d’autres objectifs que celui de la lutte contre le terrorisme dans le sahel. Connaissant les différents acteurs français qui sévissent au Mali, cette opération me parait peu crédible. C’est plutôt une opération de communication présidentielle de François Hollande, qui est en difficulté en France. La semaine dernière, il était en difficulté; cette semaine c’est la catastrophique totale.
Du coup, l’opération de lustrage de son image à travers ce qu’il pensait être une opération facile à caractère humanitaire au Mali. Ce qui n’a pas été le cas.
Le deuxième but est de servir les intérêts militaires français. Qui sont en relative difficulté dans le maintien de leur position dans certains pays du continent où ils se sont installés en catimini. D’où la guerre au Mali qui est une aubaine pour Hollande, pour tester l’ouverture d’une base militaire permanente de l’armée française au Mali. Et que nous allons, de toutes nos forces, empêcher l’installation de cette base. Parce que nous, au niveau de la Survie, on connaît les causes et les conséquences de la création d’une base militaire dans un pays. La dictature monarchique gabonaise et le chaos djiboutien en sont les parfaites illustrations.
L’enquêteur : Quel est le point de vue de l’Association survie sur l’ingérence flagrante du Président Hollande dans les affaires intérieures du Mali ? Quand il disait « je serai intraitable pour la tenue des élections en juillet prochain ».
Danyel Dubreuil : On trouve que c’est une position coloniale caricaturale. Elle est inacceptable et insupportable pour l’association Survie. La question de la posture dans les déclarations est très importante au delà de l’intention. Nous rappelons aux décideurs français qu’ils ne sont plus les gouvernants de leurs anciennes colonies. Pour se gouverner, dans les textes internationaux, les peuples suffisent à eux-mêmes. Ils ont la possibilité de voter dans des processus électoraux transparents, démocratiques et pour la libre concurrence politique. C’est inadmissible que l’ancienne puissance coloniale assène des ordres dans la tenue d’un calendrier électoral. Qui, à notre avis, nous semble intenable et même difficilement apprécié et partagé au Mali. Idem pour les diplomates occidentaux qui émettent de forts doutes sur sa crédibilité. Les propos de Hollande sur le calendrier électoral malien est un retour en arrière de 50 ans. Ce que veut la France, c’est de retrouver les mêmes compagnons qu’elle avait avant. Si possible, avec des regards bienveillants des nouvelles anciennes autorités maliennes sur les accords migratoires, accès des multinationales françaises au marché et stationnement d’une force militaire française.
L’enquêteur : Pourquoi l’armée française empêche l’armée malienne d’aller à Kidal ?
Danyel Dubreuil : C’est une longue histoire de compagnonnage. La France a toujours essayé de diviser pour mieux régner. C’est une double stratégie. Soutien aux pouvoirs autoritaires qui acceptent le maintien et la stabilité des actions françaises dans leur pays et en Afrique. Par exemple le soutien à Oumar Bongo pendant 40 ans, Paul Biya et Idriss Deby aujourd’hui, acteurs clé dans la guerre au Tchad.
Et d’entretenir des groupes non étatiques qui peuvent être utiles pour l’intérêt français. C’est le cas au Mali aujourd’hui avec les touaregs du MNLA qui sont à l’origine de l’effondrement de l’Etat et dont la relation avec l’armée française est très ambigüe. Comment comprendre que la France s’allie avec un groupe armé non étatique, avoir autorité sur un territoire et interdire en même temps à l’armée légitime d’y aller. Avec les pressions que Hollande subie en France et les critiques des maliens, il finira par abandonner les touaregs du MNLA et il va leurs demander de se débrouiller. A mon avis c’est l’une des raisons fondamentales de la visite de Fabius à Bamako la semaine dernière. Cela montre que les lignes bougent
L’enquêteur : Un mot sur le nouvel ambassadeur ?
Danyel Dubreuil : Monsieur Gilles Huberson est un militaire qui a beaucoup travaillé avec les services renseignement français (DGSE). Ça me semble illogique dans un pays qui est en guerre et dans une phase préélectorale qu’on change un ambassadeur. Les qualités ne sont plus les mêmes, le nouvel ambassadeur est plus militaire que diplomate. La nomination de cet ambassadeur à Bamako est un signal fort aux différents acteurs. Et la mission qui lui a été confiée, c’est essentiellement de faire du renseignement et de surveiller particulièrement tous les mouvements de tous les acteurs maliens, quelle que soit leur origine (société civile, politique, économique, militaire) de manière à pouvoir remettre à jour la grille de lecture française sur le Mali. Car la France est dépassée par les événements. En France, on nous annonce ici que l’intervention française au Mali n’est pas une intervention, mais un plan marshal. Alors que celui-ci doit être plutôt économique et social.
Entretien réalisé par Aliou Badara Diarra, envoyé spécial à Tunis