`Magistrat de classe exceptionnelle, Salif Kanouté (né en 1934 et décédé en novembre 2013) a pris les commandes de la Cour constitutionnelle suite au décès du Professeur Abdramane Baba Touré. Salif Kanouté a eu la redoutable mission de gérer le contentieux électoral de 2007 avec l’élection du président de la République sanctionnée par la réélection du général Amadou Toumani Touré et le renouvellement de l’Assemblée nationale. Lors de l’audience de proclamation des résultats du second tour de l’élection des députés à l’Assemblée nationale, Salif Kanouté, fort de sa position du Président de la Cour constitutionnelle, a prononcé un prologue dénonçant la fraude électorale des acteurs politiques. Cette sortie d’un homme qui se retira définitivement de la vie publique une année plus tard a marqué les esprits. Un vrai testament ! Au moment où le débat fait rage au sein de l’opinion publique sur le rôle de la Cour Constitutionnelle dans la gestion du contentieux électoral. Quelques morceaux de ce testament.
«Beaucoup de candidats se sont installés dans la fraude généralisée»
La règle de droit a deux fondements essentiels. Le premier est le souci d’équité qui reste, hélas, un idéal pour l’homme ; il peut s’y approcher le plus près possible s’il veut mais il ne l’atteindra jamais, lui-même étant créature. C’est Dieu seul qui peut rendre la justice parfaite.
Le deuxième fondement est le besoin de sécurité, dont la quête veut qu’on se soucie de préserver l’ordre public et c’est celui-là qui prévaut en général lorsqu’il y a lieu de faire un choix. La justice des hommes est aussi une question de preuve et de maîtrise de procédures. Pour mieux comprendre tout ça, lisez le mot introductif du président de la Cour constitutionnelle, Salif Kanouté, dans la nuit de vendredi à samedi, lors de la proclamation définitive des résultats du 2ème tour des législatives de 2007.
«Nous avons la mission de rendre la justice entre les hommes en cette matière, nous nous sommes engagés à le faire avec la confiance profonde que toute injustice, si petite soit-elle, est une atteinte à la paix future, que toute injustice surtout revêtue d’une justification d’ordre légal est une atteinte à l’ordre établi. Il entre dans la nature des choses que dans toute compétition humaine, il faut un arbitre éclairé dont les décisions empêchent les parties d’en venir aux mains et leur soient plus profitables qu’un litige prolongé dont on ne pourrait prévoir, ni l’issue ni le terme…. J’ai lu avec beaucoup d’attention les 250 à 300 requêtes qui nous ont été présentées, je dis avec beaucoup de sincérité qu’à travers cette lecture, j’ai eu le sentiment profond que beaucoup d’acteurs politiques, de candidats de tous ordres, de quelque bord que se soit, se sont installés à demeure dans la fraude généralisée ».
La fraude, a-t-il dit, la Cour doit la prouver. Ce serait facile au niveau des juridictions d’ordre public parce que là, le juge n’est pas limité par le temps. Il peut faire toutes sortes d’investigations pour parvenir à la manifestation de la vérité, mais au niveau du contentieux électoral, il existe des contraintes de temps et de délai qu’il faut absolument respecter. « Les preuves dont on parle ne sont pas faciles à apporter dans de telles conditions. Dans la rue, les esprits frondeurs lui demandent ce qu’est la preuve. Il leur répond qu’il y en a de diverses sortes qui sont établies essentiellement par les officiers ministériels, les officiers privés, les notaires, les huissiers et dans l’ordre décroissant, il ya les actes sous-seing privés et les témoignages. Au niveau du contentieux électoral, a précisé le président de la Cour, ce n’est pas facile de trouver toutes ces preuves».
« Lorsque le procès-verbal de délibération du bureau de vote est muet, lorsque les accesseurs et les présidents de bureau de vote sont muets à travers leur procès-verbal, lorsque les délégués des partis politiques sont muets, que les délégués de la Ceni sont muets et que ceux de la Cour constitutionnelle elle-même sont muets, nous n’avons pas le droit d’aller au-delà ou d’inventer des preuves. C’est pour cela que je voudrais vous dire sincèrement que ce n’est pas facile, je sais que le juge n’a jamais raison. »
En 40 ans de carrière, M. Kanouté a soutenu qu’il n’a jamais vu un plaideur qui perd son procès dire que le juge a bien travaillé ou qu’il a bien appliqué la loi. Les justiciables, selon lui, sont de deux ordres : ceux qui sont raisonnables et les autres. Ces derniers, quel que soit la valeur de la décision, ils ne l’appliqueront pas parce qu’ils ne veulent tout simplement pas comprendre. Il appartient en partie au juge, a souligné le président de la Cour constitutionnelle, de transcender et d’être en repos avec sa conscience. C’est tout son devoir.
Baba Dembélé-
Le Challenger N° 382 du lundi 13 août 2007
Le Challenger