Aussi longtemps que se souviennent celles et ceux qui s’étripent aujourd’hui pour mettre en avant leur courage d’être descendus dans la rue à une époque où cela pouvait conduire à la prison ou à la mort, c’est la question qui vient, revient en permanence à l’esprit quand il s’agit de parler de politique. Surtout quand le pays est aux creux de la vague et que tout va à vau-l’eau comme c’est le cas aujourd’hui. Et que ceux qui ont les leviers du pouvoir font du marketing, « non-gèrent » et s’emploient à maquiller la réalité, affligeant davantage des millions de citoyens vivant dans déjà l’affliction.
Depuis des décennies, le pays est menacé dans ses fondements : rébellions, coups d’Etat, corruption, mal gouvernance, faiblesse des institutions et l’extrémisme religieux. Au point qu’aujourd’hui, on en est arrivé à une situation de non Etat, de non droit, de non gouvernance qui a plongé le pays dans le laisser-aller général, amenant à penser que nos problèmes sont « inventés » … par l’étranger, mais surtout par la France qui, pour reprendre Yambo Ouloguem dans Lettre à la France nègre, « devient un alibi qui nous empêche de penser nos vrais problèmes ».
Mais, tout cela pose aussi la question de l’utilité de nos hommes politiques. Car, c’est vraiment à se demander à quoi ils servent réellement. Autrement dit, les politiciens sont faits pour quoi ? Tous les problèmes du Mali se ramènent à cette seule et unique question, qui peut paraître banale. Si nous la posons, c’est parce qu’il est loin, vraiment loin, le temps où la politique était le champ de tous les possibles et faisait rêver. Ceux qui ont mené le combat pour l’indépendance se rappellent encore que ces années ont été suivies d’un grand moment politique. Mais ça, c’était avant. C’était avant que la politique cesse d’être ce que Jaurès appelle « une utopie de renversement de paradigme et de poursuite de grands desseins. »
Il y a quelques mois, un collectif de jeunes auteurs sénégalais ont publié le manifeste Politisez-vous ![1],dans lequel ils appellent la jeunesse, notamment sénégalaise, à se politiser. Pourquoi ? Parce que, tout simplement, la médiocrité de la classe politique a conduit à une crise démocratique. Parce que la société s’est dépolitisée, et la politique « traine une image négative » et est perçue par le peuple, qui a déserté le champ politique, comme « une activité de mensonge et de prédation ». Parce que, enfin, les politiciens n’ont que du mépris pour le peuple et, pire, comme l’écrit si bien, Hamidou Anne, « sont imbibés dans un univers mental d’élévation social et de jouissance des privilèges ». Il ne sert à rien de dire que ces mêmes constats valent pour le Mali où sévit un profond désamour de la politique dont on pense désormais qu’elle ne sert à rien face à nos difficultés sociales, économiques etc.,.
La question est donc légitime : à quoi servent nos hommes politiques ? Ou encore : les politiciens sont faits pour quoi ? A vrai dire, ils sont sensés trouver des solutions aux problèmes qui se posent au peuple (les électeurs), qui leur délègue sa confiance dans ce qu’on appelle la démocratie participative. C’est à cela que servent les politiciens. Mais force est de constater que, sous nos latitudes, ils servent à tout sauf à cela car n’ont le plus souvent de solution à aucun problème. Et il faut se l’avouer : le personnel politique malien est d’une médiocrité inacceptable.
En son sein, il y en a qui passent le clair de leur temps à crier à la théorie du complot car à court de propositions pour sortir le pays de la marée enlisante de la crise. Dans ce pays, aux yeux d’un électeur, les paroles d’un politicien n’ont pas plus de valeur que les divagations d’un ivrogne. Et c’est à se demander si nos politiciens savent que le principe de base de la politique est de changer la vie des citoyens.
Alors, que faire ? C’est la question léniniste qui revient encore et encore. Que faire pour que la politique serve à quelque chose, ou que nos hommes politiques servent à quelque chose ? Que faire pour redorer l’image de la politique, des politiciens ? Que faire pour que la politique devienne la clef de nos problèmes ? La jeunesse doit se politiser. C’est l’argument qui sous-tend le manifeste Politisez-vous !, car nos problèmes sont « structurellement politiques ». Les auteurs du livre vont plus loin : « C’est uniquement dans la politisation de la société que se trouvent les solutions relatives à la lutte contre les inégalités sociales, la préservation de la laïcité, la sanctuarisation de l’école, le renforcement de la démocratie et la défense des libertés individuelles. »
Boubacar Sangaré