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La CEDEAO au carrefour des incertitudes

À l’épreuve de la réalité historique, les principes de bonne gouvernance de la CEDEAO ont connu des applications à géométrie variable lorsqu’ils n’ont pas été ignorés par ceux qui sont chargés de les faire respecter.

L’Organisation de l’unité africaine (OUA), dans son architecture au moment de sa création le 25 mai 1963, a institué les communautés économiques régionales (CER) comme des laboratoires de l’intégration africaine à l’échelle continentale.

À l’image du processus d’intégration de l’Europe de l’après-guerre, dont le point de départ fut la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), sous l’impulsion du général de Gaulle et du chancelier allemand Konrad Adenauer, les pères fondateurs de l’OUA ont estimé que les partenariats économiques  entre les jeunes États africains auraient la vertu de brasser les peuples, de susciter des communautés d’intérêts qui permettraient, par cercles concentriques, de parvenir à l’intégration à l’échelle du continent africain.

C’est donc sur la base de cette vision que fut créée, le 28 mai 1975, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). À la différence des autres communautés économiques régionales, la CEDEAO a cette singularité de rassembler en son sein des pays issus des anciens territoires l’Afrique-Occidentale française (AOF) qui ont cependant connu des systèmes d’administration coloniale différents, à savoir l’administration directe d’inspiration jacobine pour les pays sous colonisation française, et l’administration indirecte, donc moins directive, pour les pays sous colonisation anglaise.

Toutefois, c’est tout à l’honneur des pays membres de la CEDEAO d’avoir surmonté ces héritages politiques coloniaux différents et d’avoir privilégié, d’une part, leurs liens séculaires précoloniaux et, d’autre part, leurs intérêts objectifs communs. À l’inverse de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), la CEDEAO a non seulement accompli des pas significatifs vers une intégration économique effective, mais elle a connu une évolution institutionnelle tout aussi importante, pour devenir une communauté politique régionale, régie par des règles de bonne gouvernance.

À géométrie variable

À l’épreuve de la réalité historique, les principes de bonne gouvernance de la CEDEAO ont connu des applications à géométrie variable lorsqu’ils n’ont pas été ignorés par ceux qui sont chargés de les faire respecter.

Les récents coups d’État à la chaîne au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et récemment au Niger ont mis à rude épreuve les principes de l’institution sous-régionale, lorsqu’ils ne l’ont pas, tout simplement, décrédibilisée. Or, il n’est point besoin de rappeler, ainsi que le disait Aimé Césaire, qu’« une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ».

En effet, alors que les textes de la CEDEAO sacralisent les constitutions des États et proscrivent toute modification constitutionnelle qui ferait sauter le verrou de la limitation des mandats, à plusieurs reprises, certains leaders ont opéré des passages en force, s’abritant derrière l’argutie juridique et spécieuse selon laquelle toute révision constitutionnelle votée par un parlement, pourtant godillot, « remettrait les compteurs à zéro ». Il s’agit en réalité – et on peut le déplorer – d’un changement anticonstitutionnel de pouvoir.

La boîte de pandore

Cette ruse manifeste avec les principes de la CEDEAO, garants de la stabilité des États, a ouvert la boîte de Pandore des changements anticonstitutionnels de pouvoir par la voie des armes et a servi de pain béni aux régimes militaires qui s’en prévalent – à tort ou à raison – pour justifier chacun son pronunciamiento. Plus préoccupant, ces coups de force ont suscité des indignations à tête chercheuse. Les condamnations des coups de force ont connu des modulations stupéfiantes, selon qu’ils furent perpétrés à Conakry, Bamako, Ouagadougou ou Niamey.

Dans le cas emblématique du Niger, la CEDEAO est clairement apparue comme une institution régionale qui ne dispose guère de moyens pour faire respecter ses principes de bonne gouvernance, parce que, à l’instar de l’Union africaine (UA), elle est soumise aux injonctions de ses principaux bailleurs de fonds et des groupes d’intérêt qui ne sont pas africains.

Ce grand écart suicidaire a rendu inaudible la CEDEAO au fil des crises que ses États membres connaissent depuis une décennie. Après avoir fait un chemin louable vers un véritable projet de civilisation, la CEDEAO, à l’instar de l’Union africaine, n’est plus guère perçue que comme un tigre de papier, une institution supranationale réduite à tenir le magistère de la parole et de l’incantation sans incidence sur le réel.

Ni le soutien ostensible de la France et de l’Union européenne ni le régime de sanctions drastiques et sans précédent n’ont fait reculer la junte au pouvoir à Niamey. Les rétropédalages récents de cette institution supranationale sont perçus comme une capitulation de fait et une incapacité structurelle de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest à assumer sa raison d’être.

Cette crise existentielle ne doit pas pour autant conclure à son implosion de fait.

Pas de défaitisme

Toutes les organisations multilatérales issues du système international actuel ont été traversées par des crises profondes. Lorsque, en 2005, les Français ont voté contre le traité constitutionnel européen, certains observateurs alarmistes ont conclu à l’échec du projet européen, parce que l’un des pays fondateurs, et non des moindres, s’en était désolidarisé. Jacques Chirac, alors aux affaires, eut la sagesse de rappeler que ce sont justement les différentes crises que l’Europe a connues, qui ont rendu.

 Mondafrique

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